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La pluralité des définitions de l’antiféminisme dans l’espace public de 1995 à 2019

Il est important de préciser qu’il n’y a aucune raison de présupposer que ce qui sera défini comme antiféministe dans l’espace public correspond nécessairement à ce qui est défini comme tel dans les littératures scientifique ou militante, l’antiféminisme étant déjà un terme dont il est difficile de cerner les contours, souvent confondu avec le masculinisme, voire avec la misogynie – il est parfois considéré comme l’expression rationalisée de celle-ci494. Nous considérons cependant ces phénomènes comme distincts – bien que liés – et, surtout, leur contenu est intégralement dépendant du contexte socio-culturel dans lequel ils sont énoncés. Nous nous fonderons sur la définition large de l’antiféminisme en tant que « contre-mouvement qui s’oppose au mouvement féministe »495. À ces antiféminismes en tant que mouvements correspondent des idéologies ou des courants, qui dépendent d’un contexte socio-culturel, au même titre que pour les féminismes : on ne peut donc, hormis l’opposition aux féminismes, déceler de contenus invariants qui caractériseraient l’intégralité des antiféminismes à travers l’espace et le temps. S’opposant aux féminismes, les antiféministes articuleraient principalement leurs discours sur « la crainte de changements à venir » plutôt que sur la nostalgie d’un temps passé496. Nous précisons néanmoins qu’il ne s’agit pas ici d’étudier l’antiféminisme ou son discours en tant que tels, mais plutôt l’image qui en est donnée à travers les discours médiatiques à son propos – ce sont bien eux qui peuvent nous aider à identifier, par contraste, l’image du féminisme qui apparaît dans le champ médiatique.

Pour explorer les contours de l’antiféminisme tel qu’il est présenté dans l’espace médiatique, nous allons dans un premier temps utiliser l’expression globale « antiféminis* » en vue de créer un sous-corpus issu de nos données. La figure 36 montre la répartition temporelle des documents contenant de telles expressions. Nous allons ensuite procéder, comme lors de la section précédente, à une comparaison des mots-clés les plus représentatifs des documents de

493 MACÉ Éric, « Théoriser l’après-patriarcat », Trav. Genre Sociétés, n° 38, 2017.

494 DEVREUX Anne-Marie et LAMOUREUX Diane, « Les antiféminismes », Cah. Genre, n° 52, L’Harmattan, 2012.

495 « L’antiféminisme au Québec | l’Encyclopédie Canadienne », [consulté le 8 mai 2020]. 496 DEVREUX Anne-Marie et LAMOUREUX Diane, op. cit.

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chaque période – avant et après 2010 – à l’aide d’un calcul de keyness. Cela nous permettra d’obtenir un angle pour analyser qualitativement les cadres des articles de presse.

Figure 36. Évolution annuelle de l’utilisation des termes dérivés de « antiféminis* » par journal.

L’évolution quantitative annuelle des documents contenant des expressions dérivées de « antiféminis* » se distingue de celle des termes précédemment étudiés par le « retard » qu’elle accuse vis-à-vis de l’évolution du volume total du corpus. Cela accrédite l’idée selon laquelle l’antiféminisme et sa médiatisation sont une réaction à la hausse de l’intérêt pour la cause des femmes associée à la présence de cadres féministes : conséquence attendue de son caractère de contre-mouvement.

Une telle affirmation reste cependant conditionnée au présupposé selon lequel la hausse des mentions de l’antiféminisme correspond effectivement à une hausse de sa présence. En effet, une hypothèse alternative pourrait considérer que la hausse de l’intérêt pour la cause des femmes – traitée de surcroît par des cadres pro-féministes – entraîne une hausse de l’inquiétude envers l’antiféminisme, sans pour autant qu’il soit plus soutenu dans l’espace public. Cette dernière supposition pourrait être supportée par le fait que les mentions du terme sont principalement issues de journaux plus proches de la gauche, et presque inexistantes dans les journaux de droite comme Le Figaro ou les publications spécialisées dans l’économie. Cette observation est cependant clairement insuffisante pour trancher, et l’hypothèse ne nous semble

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que peu probable. En effet, la question qu’elle soulève est moins celle de la présence ou non d’antiféminisme dans l’espace public, mais celle de l’étiquettage d’acteurs et de thèses comme antiféministes.

Il est en effet raisonnable de supposer que l’étiquette d’antiféministe n’est pas activement revendiquée en France – contrairement au Québec – par des mouvements qui n’auraient pas d’autre but497, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si la structure des opportunités discursives498 a favorisé l’adoption de cadres pro-féministes dans le traitement de la cause des femmes par les médias, le fait de se revendiquer explicitement en opposition à ce cadre fait prendre le risque de devenir inaudible ou complètement marginal. Aussi, cela explique les critiques du féminisme formulées au nom des droits des femmes : ces antiféministes ne se présentent pas comme opposés aux objectifs promus par le féminisme au sens très large, mais simplement en désaccord sur les moyens, les conceptions sur les causes et effets des inégalités, ou vont contester la définition de l’égalité adoptée par tel ou tel courant féministe dénoncé. Une telle situation rend cependant complexe la démarcation entre féminismes et antiféminismes : la pluralité des courants féministes expose ainsi les plus minoritaires d’entre eux à être considérés comme antiféministes s’ils adoptent des positions contraires aux cadres d’interprétation dominants – nous pensons ici spécialement aux féminismes différentialistes. C’est pourquoi nous considérons la possibilité que la catégorisation, dans l’espace public, d’acteurs ou d’idées en tant que féministes ou antiféministes n’a pas nécessairement vocation à correspondre à une forme de « réalité conceptuelle » académique : c’est précisément lié au fait que les cadres sont en conflit dans l’espace public, aussi les étiquettes qui y sont associées n’échappent pas à une telle lutte.

Nous pouvons formuler cela selon les termes de David Westby : si un cadre est un discours issu de la négociation entre (1) des impératifs stratégiques « créés par les évolutions historiques du stock culturel et [2) l’idéologie du mouvement »499, nous aurions ici affaire, concernant l’antiféminisme formulé au nom de la cause des femmes, à un cadre qui se réapproprie une idéologie hégémonique (au sens de Westby exposé précédemment) en vertu d’impératifs stratégiques : c’est ce qu’il appelle la stratégie d’exposition de la contradiction. En

497 Ainsi des groupes d’extrême-doite revendiqueront un antiféminisme qui n’est néanmoins qu’une de leurs positions parmi d’autres et non le cœur de leur mobilisation.

498 MCCAMMON Holly, « Discursive Opportunity Structure », in The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social

and Political Movements, Blackwell Publishing Ltd, 2013, [consulté le 18 juillet 2018].

499 WESTBY David, « Strategic Imperative, Ideology, And Frame », Mobilization Int. Q., 7, Allen Press, 2002, p. 291.

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effet, ce cadre cherche à exposer l’apparente contradiction de féministes qui prétendent défendre l’égalité entre femmes et hommes en s’attaquant par exemple au patriarcat tout en négligeant selon leurs accusateurs de dénoncer les violences lorsqu’elles sont commises par des hommes originaires de pays extra-européens. Dans cet espace, étiquetter un adversaire comme antiféministe ou, à l’inverse, l’associer à une forme de féminisme supposément dévoyé est une manière d’imposer son cadre d’interprétation, de se présenter en porte-parole légitime de la cause des femmes, dans le contexte d’une idéologie hégémonique posant l’amélioration de la condition des femmes comme objectif non négociable. D’où l’intérêt de comprendre ce qui est désigné par cette étiquette dans l’espace médiatique et surtout l’évolution de son utilisation susceptible de refléter des luttes de définitions.

Figure 37. Comparaison des 20 mots-clés les plus caractéristiques des périodes 1995 – 2009 (en gris) et 2010 – 2019 (en bleu) pour les documents contenant des dérivés du terme « antiféminis* ».

La figure 37 reproduit certaines des tendances déjà observées dans les sous-corpus précédemment établis. Ainsi, la période antérieure à 2010 est notamment caractérisée par un usage plus prononcé de noms propres, avec ici « tariq » « ramadan » et « clémentine » « autain », mais aussi « muray », « sartre », « fourest » et « beauvoir ». On remarque à nouveau après 2010 une prégnance relativement plus importante de termes à teneur théorique associés

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aux sciences sociales, comme « genre », « langue », « l’historienne », « féminisme », ou « masculinités ». Les mots « musulmans », « laïcité », « intégristes » et « foulard » rappellent l’importance déjà relevée des débats autour des rapports entre l’Islam et le féminisme ou, en l’occurrence l’antiféminisme. Nous avons choisi d’explorer les mots-clés « féminisme », « langue », « masculinités », « sexuelles », « laïcité », « musulmans » ainsi que « nous ». En effet, chacun de ces termes peut nous renseigner sur les positions théoriques et caractéristiques attribuées aux antiféministes (ou revendiquées par eux). Le choix du mot-clé « nous » peut sembler surprenant : nous considérons qu’il est susceptible d’être révélateur de prises de position marquées étant donné que l’usage de la première personne suggère que les textes sont des tribunes. Nous n’aborderons pas le mot-clé « genre » : les cadres médiatiques autour du terme ont déjà été explorés – il ne renvoie ici que très peu de nouveaux articles – , et la polémique autour de « la théorie du genre » sera abordée extensivement dans la section suivante. Les controverses entourant « metoo » et « gamergate » seront également étudiées dans la section suivante et bénéficieront d’un traitement plus large qui ne se réduira pas à ce sous-corpus qui ne les mentionne que brièvement.

Le mot-clé « féminisme » n’est présent que dans un très faible nombre d’articles de notre sous-corpus antérieurs à 2010. Ainsi le lit-on dans un entretien avec Christine Delphy publié dans Libération le 21 mai 1998, où elle dit du monde universitaire d’avant 1968 qu’il n’est « même pas antiféministe, parce que le féminisme n'existe pas »500 – donnant donc au terme le sens d’une réaction, un contre-mouvement qui ne peut exister sans le terme contre lequel il faut réagir. On relève en 1999 un article dans Le Monde faisant la promotion de l’ouvrage Un siècle d’antiféminisme dirigé par Christine Bard501. Dans un document publié en 2002, Libération met en exergue une « exception » que s’est autorisée l’association des « Chiennes de Garde » à l’égard de ses propres principes relatifs aux insultes : Marcela Iacub a ainsi été insultée à de nombreuses reprises sur le forum du collectif en vertu de ses positions qualifiées d’antiféministes, fait reconnu par les « Chiennes de Garde »502. En juillet 2003, une tribune de Germaine Wattine, vice-présidente de la « Fédération nationale solidarité femmes » dénonce l’ouvrage Fausse route d’Elisabeth Badinter503. Le traitement de l’antiféminisme dans les textes contenant « féminisme » avant 2010 est donc faible et se concentre essentiellement

500 Annette Levy-Willard, « SPECIAL MAI 68. Le témoin du jour. Christine Delphi, 26 ans, assistante de recherche en sociologie à Paris. “La révolution sexuelle, c’était un piège pour les femmes” », Libération, 21 mai 1998, p. 35.

501 Pierre Lepape, « La force de la faiblesse », Le Monde, 12 mars 1999, p. 2.

502 Blandine Grosjean, « Les Chiennes de garde se mordent la queue », Libération, 9 octobre 2002, p. 20. 503 « Une violence bien réelle », l’Humanité, 2003.

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sur des anecdotes de conflits contre des personnes (le phénomène est individualisé), voire promeut des travaux sur le sujet.

En 2013, un article dans Le Figaro, publié à l’occasion d’un dossier sur le coup d’éclat médiatique de l’association « SOS Papa », cite Mélissa Blais et Francis Dupui-Déri, qui s’inquiètent de la prégnance de l’antiféminisme et du masculinisme au Québec, et avertissent le lecteur sur la possibilité du développement de tels mouvements en France504. Dans le même registre, l’anthropologue Mélanie Gourarier s’inquiète dans un entretien pour Le Monde au sujet d’un « antiféminisme virulent [qui] se propage »505. Concernant l’attribution des étiquettes de féminisme et d’antiféminisme, Le Monde fournit un exemple avec un article décrivant une opposition entre « militantes historiques » et « féminisme décolonial », où l’on peut lire la fondatrice du réseau féministe laïque « Les VigilantEs » considérer ce dernier courant comme « un antiféminisme qui sépare les femmes les unes des autres, soit au profit d'autres luttes, soit au profit des idéologies politico-religieuses » et ne ferait preuve d’aucune solidarité avec les femmes soumises à des tutelles religieuses dans d’autres pays506. Sur ce point, Libération s’intéresse à Houria Bouteldja et les réactions suscitées à gauche par son ouvrage Les Blancs,

les Juifs et nous, et relève là aussi une accusation en antiféminisme faite à son encontre par une

autre militante507. Ce conflit se retrouve également dans les pages de La Croix, qui s’intéresse aux conflits autour de l’association de femmes musulmanes « Lallab », que certains taxent aussi d’antiféminisme508. Les textes contenant à la fois « féminisme » et « antiféminisme » (et ses dérivés) dans les années 2010 se distinguent nettement de ceux de la période antérieure. On retrouve essentiellement deux cadres : l’antiféminisme comme menace imminente à l’encontre des droits des femmes, et l’antiféminisme infiltrant le féminisme à travers l’opposition entre féminismes décolonial et universaliste. Ce dernier cadre renvoie à notre hypothèse initiale selon laquelle l’étiquette antiféministe est moins, dans l’espace médiatique, une catégorie analytique qu’un qualificatif stratégique visant à discréditer un adversaire – signe là encore que les positions féministes sont plutôt soutenues. En revanche, les auteurs de tels rapprochements sont ici essentiellement des mouvements et militantes féministes, ou des chercheurs eux aussi ouvertement féministes. Cependant, le choix des intervenants et du cadre de traitement dans des articles comme celui publié dans Le Figaro509 n’est pas de l’initiative de chercheurs ou militants

504 KOVACS Stéphane, « Aux États-Unis, ils manifestent déguisés en Batman », Le Figaro, 21330, 2013. 505 JOIGNOT Propos recueillis par Frédéric, « Paroles d’hommes », Le Monde, 2017.

506 DUPONT Gaëlle, « Combattre en couleurs », Le Monde, 2016.

507 FAURE Sonya, « L’activiste Houria Bouteldja fait polémique à gauche », Libération, 2017. 508 « Une association musulmane « féministe » au coeur d’une controverse », La Croix, 40882, 2017. 509 KOVACS Stéphane, « Aux États-Unis, ils manifestent déguisés en Batman », Le Figaro, 21330, 2013.

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publiant des tribunes, c’est un angle choisi par la presse – qui plus est un journal de droite dans l’exemple donné ici. Il est cependant possible que ce résultat soit exclusif au mot-clé « féminisme », aussi faut-il poursuivre l’analyse.

Le mot-clé « langue » nous semble également important à analyser, ne serait-ce que parce qu’il est susceptible de révéler des positions antiféministes (par les étiquettes attribuées) relatives aux débats sur la féminisation des noms de métiers ou l’écriture inclusive. Il est intéressant de constater que ce mot-clé ne renvoie que deux articles, tous deux publiés après 2010. Le premier est un entretien daté du 22 janvier 2016 et réalisé par L’Humanité. Les invitées sont la sociologue Nathalie Heinich et l’ancienne députée – alors présidente du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes – Danielle Bousquet, dont nous avions noté l’engagement féministe lors du chapitre précédent. Le terme « antiféministe » y est utilisé par Nathalie Heinich précisément pour se défendre d’une telle accusation – qu’elle sait certainement possible étant donné son opposition à la féminisation des noms de métiers510. Le deuxième texte est une chronique de la philosophe et psychanalyste Sabine Prokhoris dans

Libération, où elle affirme que bien que la crispation de réactionnaires et antiféministes puisse

constituer en soi un argument en faveur de l’écriture inclusive, « on peut être féministe et sur ce point sceptique ». L’étiquette antiféministe sert encore de repoussoir, et est réduite à « quelques barbons ronchons de l’Académie française et autres réactionnaires antiféministes »511.

Les articles de ce sous-corpus contenant le terme « sexuelles » sont l’occasion de clarifier le contenu des thèses considérées comme antiféministes dans l’espace public. Ainsi,

Libération explique le 22 janvier 2013, suite à la parution de l’ouvrage de Christine Bard Le féminisme au-delà des idées reçues, que les antiféministes craignent le bouleversement de

l’ordre social que provoquerait « le renversement de la domination masculine »512. A l’occasion d’une table ronde organisée par L’Humanité sur la question de l’abolition de la prostitution, une intervenante s’indigne de l’antiféminisme du « Manifeste des 343 Salauds », dont les auteurs « sont du côté des dominants »513. Enfin, un article de Sylvie Ayral et Yves Raibaud publié dans

Libération le 20 janvier 2016 revient sur les agressions sexuelles et viols perpétrés en masse la

510 DUTENT Entretiens croisés réalisés par Nicolas, « Faut-il féminiser la langue française ? » [en ligne],

l’Humanité, 2016.

511 PROKHORIS Sabine, « Le trompe-l’oeil de l’écriture inclusive », Libération, 15 décembre 2017.

512 RIPA Yannick, « Féministes en tout genre », sur Libération.fr [en ligne], publié le 9 janvier 2013, [consulté le 13 mai 2020].

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nuit de la Saint-Sylvestre 2016 à Cologne. Sans entrer dans le détail de l’ensemble du texte – nous y reviendrons ultérieurement –, les auteurs insistent sur le caractère mondial du phénomène patriarcal et des violences sexuelles, et refusent de « hiérarchiser les problèmes » afin d’éviter de faire le jeu des antiféministes et racistes. En effet, ils condamnent toutes les violences sexuelles, en précisant que l’origine des accusés ne devrait avoir aucune incidence sur leur traitement. Celle-ci ne serait pas pertinente étant donné que la disponibilité des corps féminins organisée par la prostitution légale en Allemagne ferait partie de l’image idéalisée que les migrants entretiennent de l’Occident, de la même manière selon eux que les colons des époques moderne et contemporaine auraient été motivés par une image sexualisée des femmes des colonies514. L’antiféminisme serait donc dans ce dernier texte la manœuvre consistant à dénoncer de supposées contradictions de la part des féministes – concernant ici le traitement des violences commises à Cologne.

Le mot-clé « masculinité »515 renvoie trois articles, parmi lesquels l’entretien de Mélanie Gourarier dans Le Monde que nous avions cité plus haut516. Le Monde dénonce la provocation que constitue le « Manifeste des 343 Salauds » écrit en opposition au projet de loi contre le système prostitutionnel, texte qualifié d’antiféministe et rapproché des oppositions au Mariage pour Tous517. Le 11 octobre 2018, à l’occasion d’un numéro spécial intitulé Le libé

des historiennes, Christine Bard publie un texte dans lequel elle s’insurge de l’impunité dont a

bénéficié Brett Kavanaugh, aujourd’hui juge de la Cour Suprême des États-Unis. Elle y fustige également « le succès d’un contre-mouvement réactionnaire antiféministe », qu’elle explique par le fait que « changer ce système de pouvoir inégalitaire heurte les intérêts des hommes qui protègent leurs privilèges »518. Là encore, l’antiféminisme est perçu comme un phénomène négatif représentant un danger pour atteindre une égalité entre femmes et hommes qui fait consensus. Plus encore, on aperçoit un début d’explication sociologique au phénomène, qui serait une réaction de la classe dominante pour protéger ses privilèges.

Le terme « laïcité » se retrouve dans une tribune de Caroline Fourest publiée le 21 décembre 2004 dans Libération. Elle y dénonce la complaisance de l’ensemble de la classe politique envers les intégristes musulmans, qu’elle déclare antiféministes, entre autres

514 Sylvie Ayral et Yves Raibaud, « Cologne : une variation ethnique de la domination masculine », Libération, 20 janvier 2016, p. 22,23.

515 Le pluriel ne renvoie aucun résultat.

516 JOIGNOT Propos recueillis par Frédéric, « Paroles d’hommes », Le Monde, 2017. 517 DUPONT Gaëlle, « Prostitution », Le Monde, 2013.

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qualificatifs péjoratifs519. Concernant le mot-clé « musulmans », il ne renvoie qu’un seul article que nous n’ayons pas encore analysé. Caroline Fourest y dénonce dans un entretien à

L’Humanité le « féminisme islamique de Tariq Ramadan » qui ne serait qu’un antiféminisme

visant à se faire passer pour son contraire en présentant un visage féminin520. Le contenu de ces articles confirme une intuition issue de l’observation de la figure 38, à savoir que le débat autour de l’antiféminisme était, avant 2010, articulé autour d’un faible nombre d’acteurs et fortement personnalisé. Le terme est en revanche invariablement péjoratif.

Les articles renvoyés par le mot-clé « nous » sont, comme nous l’attendions, des tribunes. Ainsi peut-on lire une critique assez forte des positions abolitionnistes du Parti Socialiste formulée par des travailleuses du sexe et publiée dans Libération le 12 juillet 2006. Elles s’insurgent contre une proposition de loi de Danielle Bousquet et Christophe Caresche visant à pénaliser l’achat d’actes sexuels, et considèrent qu’il est « antiféministe [et infantilisant] de s'opposer à la libre disposition de [leur] corps »521. Le 16 novembre 2007, l’association « Ni putes ni soumises » se désolidarise de l’instrumentalisation qui est faite de leur mouvement par l’intermédiaire de la présence de Fadela Amara au sein de l’administration Fillon. Elles s’insurgent de la mise sous tutelle de cette dernière sous l’égide de Christine