Du pouvoir politique traditionnel et de ses fondements
I.4. Le système juridique
Le droit traditionnel est l’expression du respect des normes coutumières. Les tribunaux coutumiers sont organisés au sein des villages, groupements et chefferies. Au sein des chefferies particulièrement, le pouvoir traditionnel impose son droit coutumier comme l’unique instance de règlement des différends. En effet, au sein du pouvoir traditionnel, « le pouvoir judiciaire
organise l’ordre intérieur au sein de la communauté. Il repose sur un appareil judiciaire qui connaît des règles précises de compétence et de hiérarchie »47.
Cela est autant justifié par la capacité régulatrice du pouvoir coutumier. Dans le système traditionnel Ndengese, au Kasaï Occidental, existe un organe « Isendjeyi » qui est une institution judiciaire de droit coutumier. Il est composé des juges traditionnels appelés « Etendji » et dirigé par le juge principal, « Devo »48. Au sein de ce/e organisation politique traditionnelle, les juges sont choisis parmi les notables « Etotshi » et les hommes libres. L’institution judiciaire coutumière détermine la souveraineté d’une communauté vis‑à‑vis des communautés voisines.
Parlant du pouvoir coutumier de Munene Mutombo Mwaku Leng Leng dans le territoire de Popokabaka, Mvunzi Ibanda écrit : « Malgré
l’intervention énergique et bienfaisante de l’autorité coloniale, les populations locales continuent à recourir au chef traditionnel pour régler les affaires civiles et pénales. Plusieurs cas d’assassinat, de meurtre ou crime simulé, de vol ou adultère sont portés à la connaissance du chef coutumier alors qu’il existe à côté une autorité administrative ou judiciaire »49. Il faut ajouter autorité administrative ou judiciaire « moderne ».
Notons que les juridictions coutumières appliquent les sanctions souvent sociales à l’égard des membres de la communauté qui transgressent les normes sociales ou comme/ent, pour tout dire, des infractions. Ces sanctions sont morales et peuvent être aussi graves que les sanctions privatives des libertés propres au droit positif particulièrement au droit pénal.
47. BASA NKOY BAMPEMBE, L’impact de la colonisation sur l’organisation politique tradi-
tionnell Ndengese, Mémoire de licence en sciences politiques et administratives, UNI-
KIN, 1999-2000, p. 30. Les ndengese habitent le Territoire de DEKESE, situé au Nord de la Province du Kasaï Occidental.
48. BASA NKOY BAMPEMBE, op. cit., p. 30
49. MVUNZI IBANDA, Mode d’acquisition et d’exercice du pouvoir coutumier chez les Yaka.
Cas du pouvoir coutumier de Munene Mutombo Mwaku Leng Leng, Mémoire de licence
L’inobservance des règles sociales de conduite viole les normes coutumières, autant elle constitue une infraction punissable par le droit positif où la sanction, quand elle peut être prononcée, peut être plus sévère. D’où la préférence des instances judiciaires coutumières dans les milieux ruraux. On s’y réfère également par respect de la tradition. Aussi, les tribunaux de paix sont‑ils éloignés des milieux ruraux. Parfois aussi, l’auteur de l’infraction trouve une justification mystique de la commission de son infraction pour échapper au tribunal moderne alors que la vengeance aveugle peut être la raison profonde à la base de l’infraction. Lors d’une chasse collective, à laquelle participe un grand nombre de jeunes d’un village, – « la chasse collective se réalise toujours à travers une coopération élargie » 50 – et dans l’ambiance de collaboration agissante, un chasseur animé d’esprit de vengeance à l’égard d’un jeune vivant en concubinage avec son épouse peut se décider de liquider physiquement son jeune rival et l’aba/re à coup de feu. Quand le meurtrier est entendu sur les circonstances et les raisons de son crime, il allègue simplement qu’il a vu un gibier sur lequel il a tiré. L’ayant aba/u, « le gibier s’est transformé en homme ».
Du coup, le prétexte est trouvé pour que le meurtre se transforme en affaire coutumière parce qu’il y aurait eu « sorcellerie ». Le délinquant peut ainsi échapper au tribunal pénal, l’affaire pouvant être réglée par le tribunal coutumier. Dans ce cas, l’auteur du délit n’est considéré que comme instrument par lequel le sorcier venait d’opérer, il est donc pénalement irresponsable. Mais l’arme par laquelle la mort est survenue doit être saisie par l’autorité coutumière. A titre de réparation, parfois quelques verres de sel de cuisine sont versés à la famille de la victime. La réparation n’est ni juste ni équitable qu’elle pouvait reme/re en cause l’ordre social de la communauté. En effet, si la famille de la victime s’oppose au jugement rendu par l’instance coutumière et surtout à la réparation proposée par elle, ce/e famille a la possibilité de faire intervenir une instance judiciaire moderne, en occurrence le parquet, pour départager les deux parties au conflit.
Selon que la population croit en la coutume – la plupart sinon tous y croient dans nos milieux ruraux –, le pouvoir des juges traditionnels est légitimé. A ce propos, Pathé Diagne écrit : « grâce au pouvoir qui lui (juge) est
confié, ses jugements bénéficient à la fois de l’indépendance requise pour la sérénité de la justice et de l’autorité nécessaire pour lui conférer une force d’exécution
réelle »51. Le pouvoir judiciaire traditionnel constitue un moyen d’arbitrage et de maintien de la cohésion sociale interne à la communauté. Il constitue un instrument du pouvoir politique.
Les juges traditionnels s’imposent comme arbitres de différents conflits que connaît la communauté. Cependant, ce/e justice revêt un caractère symbolique. L’essentiel pour elle est, souvent, de réconcilier les parties en conflit.
Ce/e réconciliation n’est toujours pas évidente. Certains membres de la famille de la victime peuvent considérer le jugement rendu par le tribunal coutumier comme trop mou et léger. Ainsi, ces membres peuvent porter l’affaire devant un tribunal pénal d’une part; d’autre part le Ministère public, en quête des infractions et représentant les intérêts de la société, peut devant des hésitations des uns et des autres se saisir du dossier dans les milieux proches des tribunaux de paix ou de grande instance pour rendre l’affaire pénale.
En somme, le pouvoir judiciaire traditionnel, en dépit de sa mollesse par rapport au droit positif particulièrement le droit pénal et le droit civil, régit des communautés entières en République Démocratique du Congo. Bien plus, le droit positif se réfère au droit coutumier dans les domaines où celui‑ là est muet. Ainsi, le système judiciaire traditionnel constitue‑t‑il le substrat du pouvoir politique traditionnel en ce qu’il commande l’ordre social au sein des communautés traditionnelles.