acteur sur le plan politique national
III.1. La reconnaissance constitutionnelle du pouvoir politique traditionnel
Le pouvoir traditionnel est un pouvoir légal en République Démocrati‑ que du Congo. Cela remonte à 1891 comme nous l‘avons démontré précé‑ demment dans ce/e étude.
A certaines périodes, le pouvoir traditionnel a été consacré par des constitutions. Le pouvoir politique traditionnel a reçu du constituant de rôles politiques multiples au sein de l’Etat congolais.
Ainsi, la loi fondamentale123 du 19 mai 1960 reconnaît certains pouvoirs aux chefs coutumiers et aux notables. Aux termes de l’article 88 de ce/e loi, le terme chefs coutumiers vise les chefs de chefferies ; celui de notables est consacré aux chefs de groupements composant les secteurs.
123. La loi fondamentale est la constitution rédigée par le législateur belge pour le Congo à son accession à l’indépendance.
En effet, aux termes de l’article 87 de la loi fondamentale, le Sénat se compose de sénateurs élus par les assemblées provinciales à raison de quatorze par province dont au moins trois chefs coutumiers ou notables.
Les articles 111, 116 à 121 de ce/e loi fondamentale précisent la procédure de dépôt des candidatures des chefs coutumiers et des notables qui se portent candidats à un mandat de conseiller provincial coopté. C’est la voie qui conduit au Sénat. A cet effet, l’article 111 dispose que les chefs coutumiers et les notables qui se portent candidats à un mandat de conseiller provincial coopté, présentent leur candidature pour la première fois au collège exécutif provincial et ultérieurement au bureau de l’assemblée, le quatrième jour au plus tard avant le scrutin.
Il est nécessaire de souligner le fait que la cooptation des chefs coutu‑ miers au Sénat partant au parlement tel qu’institué par la loi fondamentale du 19 mai 1960 est dictée par l’influence politique que ce/e catégorie de dirigeants des entités administratives de base exerce sur la population. Le principe est la cooptation des chefs coutumiers pour accéder aux fonctions d’Etat au sein des institutions politiques nationales.
Les candidatures proviennent des chefs coutumiers et des notables eux‑mêmes ; la sélection des candidats et le vote sont réalisés par les chefs coutumiers et les notables aussi en vertu des dispositions de l’article 119 qui stipule : « les candidats sénateurs au titre de chef coutumier ou de notable
doivent être présentés sur une liste double par les chefs coutumiers et les notables de la province, le quatrième jour au plus tard avant la date fixée pour le scrutin
(alinéa 1). Tous les chefs coutumiers et notables sont convoqués et réunis par le
collège exécutif provincial et ultérieurement par le gouvernement provincial, au chef lieu de la province ou en tout autre lieu que celui‑ci détermine » (alinéa 2).
L’article 121 précise la manière de pourvoir aux sièges entre chefs coutumiers et notables après le vote : « Le vote se fait à un tour. Le ou les candidats
sont désignés dans l’ordre des voix obtenues. En cas de partage des voix entre un chef coutumier et un notable, le chef coutumier l’emporte. En cas de partage des voix entre deux chefs coutumiers ou deux notables, le plus âgé l’emporte » (alinéa 2).
Disons enfin que les chefs coutumiers constituent la catégorie sociale des gouvernants pour qui la cooptation a été instituée par la loi fonda‑ mentale comme mode d’accession aux charges publiques d’Etat au niveau provincial et national. Le vote prévu au sein de la corporation des chefs coutumiers ne pouvait pas susciter d’inquiétudes étant donné que la renommée et le prestige liés à chaque pouvoir coutumier assureraient l’élection de ces chefs coutumiers par des notables qui, souvent leur sont vassaux. Mais aussi, ce vote institué par l’article 121 de la loi fondamentale
est, pour le moins, « censitaire ». Néanmoins, ce vote n’est pas lié à l’impôt payé mais à la dignité des votants. Il met les chefs coutumiers et leurs nota‑ bles à l’abri d’un vote au suffrage universel. Celui‑ci ne garantit nullement l’élection d’un chef coutumier par ses sujets parce que le chef coutumier n’est pas nécessairement aimé par ses sujets. La cooptation telle qu’elle est décrite par l’article 121 de la loi fondamentale est une élection corporatiste. La constitution du 1er août 1964 dite constitution de Luluabourg en son article 75 alinéa 3 dispose que l’un des six sénateurs représentant chaque province est un chef coutumier ou un notable élu en ce/e qualité.
L’article 111 donne des indications sur la composition de l’Assemblée provinciale. En effet, l’Assemblée provinciale se compose :
1° des conseillers provinciaux élus au suffrage universel direct et au scrutin secret ;
2° des conseillers provinciaux cooptés par les conseillers élus parmi les notables et les chefs coutumiers (alinéa 1). Le nombre de chefs et notables cooptés est égal au cinquième du nombre des conseillers élus sans toutefois être inférieur à trois (alinéa 2).
Il y a lieu de noter que la fonction de chef coutumier n’est pas incompatible avec d’autres fonctions publiques : « un chef coutumier traditionnel élu ou
coopté membre d’une assemblée provinciale ou du parlement continue à exercer dans la chefferie qu’il administre, les fonctions qui lui sont confiées et à bénéficier des avantages qui y sont afférents » (art.172 alinéa 2).
Comme dans la loi fondamentale du 19 mai 1960, la constitution du 1er août 1964 consacre l’accession des chefs coutumiers au pouvoir d’Etat à l’échelon provincial et national en vertu de leur statut de chef traditionnel et de l’hérédité de leurs charges politiques. Sur ce/e base, la cooptation est le mode d’accession au pouvoir d’Etat.
Il n’y a pas de différence entre les chefs coutumiers et notables coop‑ tés à l’Assemblée provinciale sous le régime de la loi fondamentale et ceux cooptés en vertu de la constitution du 1er août 1964. Ils sont dans les deux cas cooptés par les conseillers provinciaux élus au suffrage universel. Ainsi en dispose l’article 107 de la Loi Fondamentale et l’article 111 de la Consti‑ tution du 1er août 1964 aux termes duquel : « L’Assemblée provinciale se compose :
1° des conseillers provinciaux élus au suffrage universel direct et au scrutin secret ;
2° des conseillers provinciaux cooptés par les conseillers élus parmi les notables et les chefs coutumiers ». Quant à la représentation des chefs
coutumiers au Sénat, l’article 87 de la Loi Fondamentale dispose: « Le Sénat se compose de sénateurs élus par les assemblées provinciales à raison de quatorze par province dont au moins trois chefs coutumiers ou notables » ; tandis que les articles 74 et 75 de la Constitution du 1er août 1964 stipulent : « Les sénateurs élus par les Assemblées provinciales représentent chacun la province à laquelle appartient l’assemblée (article 74 alinéa 3) ; l’un des six sénateurs représentant chaque province est un chef coutumier ou un notable élu en ce/e qualité » (article 75 alinéa 3) .
La constitution du 24 juin 1967 dite constitution révolutionnaire par les mobutistes et qui connut dix‑sept modifications du 24 juin 1967 au 25 novembre 1990 n’avait pas prévu de cooptation des chefs coutumiers à un poste administratif ou politique quelconque dans la structure politico‑ administrative du pays. La fonction de chef de chefferie et celle de chef de groupement étant héréditaires, deux raisons expliquent ce/e situation. D’abord, la suppression du Sénat comme chambre du parlement dans la constitution du 24 juin 1967 supprime du coup la représentation des dignitaires locaux par cooptation au parlement par voie du Sénat d’une part ; d’autre part, le bannissement du pouvoir coutumier pendant la décennie 1970 rend impossible ce/e représentation. En effet, au cours de ce/e décennie, les expressions chefferie, groupement et chef coutumier furent élaguées de la constitution et de toutes les lois portant organisation administrative et politique de l’Etat. Ce/e suppression ne se justifie pas pour des raisons de « retour » à l’authenticité, mais plutôt pour infliger une sanction conséquente aux chefs coutumiers devenus politiquement indisciplinés. Cela contrarie, dans la pratique, l’idéologie du recours à l’authenticité que prône le président Mobutu pendant la décennie 1970. Par contre, il veilla à la représentativité, par voie de nomination, des chefs coutumiers au Comité central du M.P.R. où siégèrent le Nimi, les Bami notamment M’siri, etc. Certains chefs coutumiers se présentèrent aux élections de 1977 et échouèrent tels que Kabeya Nkashama des Bakwa Kalonji au Kasaï Oriental, Kalamba Mangole des Lulua, au Kasaï Occidental. La constitution du 03 avril 2003 signée par les composantes au dialogue inter congolais de Sun City en Afrique du Sud à la faveur de l’« accord global et inclusif » note en son article 140 que le mandat de député ou de sénateur est incompatible avec les fonctions ou mandats de cadre politico‑ administratif de la territoriale, à l’exception des chefs de collectivité chefferie et de groupement.
Le fait révélateur dans ce/e disposition demeure la reconnaissance des autorités traditionnelles comme cadres politico‑administratifs de l’Etat
susceptibles de cumuler leurs fonctions administratives avec le mandat de député ou de sénateur. Ceci n’est pas nouveau mais dans le contexte de partage global de responsabilité124, le pouvoir traditionnel a gardé sa stabilité apparente.
La constitution de la République Démocratique du Congo promulguée le 18 février 2006 institue l’autorité coutumière nantie d’un pouvoir susceptible de jouer un rôle social et politique essentiel. Aux termes de l’article 207, l’autorité coutumière est reconnue (alinéa 1). Elle est dévolue conformément à la coutume locale, pour autant que celle‑ci ne soit pas contraire à la constitution, à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs, précise l’alinéa 2. Ce/e disposition n’innove pas quant à la source de légitimité du pou‑ voir traditionnel et même à sa reconnaissance. La reconnaissance de l’auto‑ rité coutumière par l’autorité étatique remonte à 1891. Cependant, les dispositions de l’alinéa 3 de cet article 207 ajoutent : « Tout
chef coutumier désireux d’exercer un mandat public électif doit se soume-re aux élections (…) ». Dans son esprit et dans sa le/re cet alinéa fait remarquer que
le chef coutumier exerce déjà un mandat public mais non électif au regard de l’hybridation du système politique congolais.
Faut‑il rappeler que les entités politico –administratives traditionnelles de la R.D. Congo font partie de la structure administrative du pays. Néanmoins, le propos de Nicolas Banneux, Boshab, E., Bob Kabamba, Bossyt, M. et Pierre Verjans affirment : « l’autorité traditionnelle passe pour le
seul pouvoir à même de se prévaloir d’une certaine légitimité tirée des règles non étatiques qui les régissent »125.
In fine, les auteurs de cet article affirment que les règles régissant le pouvoir traditionnel sont non étatiques. Nous pensons pour notre part qu’il s’agit, dans le contexte de la République Démocratique du Congo, des règles étatiques coutumières dans la mesure où l’Etat a intégré structures et règles coutumières en son sein. Cela participe à l’hybridation de pouvoir politique au Congo. Au sein de l’administration publique congolaise, certaines entités notamment la chefferie, le groupement et les villages sont régis par des règles coutumières ; d’autres entités tels que le territoire et
124. Lire à ce propos les annexes I à V de l’accord global et inclusif signés à Pretoria (RSA) le 17 décembre 2002 par les composantes au dialogue national.
125. BANNEUX, N., Boshab, E., Bossuyt, M., Bob Kabamba et Verjans, P., « République Démocratique du Congo : Une constitution pour une troisième République équilibrée », in Fédéralisme –Régionalisme. La III ème République Démocratique du Congo. Un nou-
la province sont par contre régis par le droit positif mais toutes sont des entités administratives d’un même Etat.
Il ne peut en être autrement dans la mesure où certaines constitutions du pays et particulièrement la constitution de la Troisième République institutionnalise et consacre le pouvoir traditionnel dans la loi fondamentale du pays. D’ailleurs, une loi est appelée à fixer le statut des chefs coutumiers (art. 207, alinéa 5), sans doute, à la manière des statuts des magistrats, des agents de services publics de l’Etat, du personnel de l’enseignement supérieur et universitaire. A ce propos, Héritier Mambi Tunga‑Bau et Mvunzi Musuku écrivaient : « Un compromis au sujet du statut du chef coutumier devra être dégagé entre
ce dernier et l’Etat afin que l’autorité coutumière s’assume en connaissance de cause »126. La loi qui fixera le statut des chefs coutumiers fera d’eux une catégorie, entièrement à part. Ils deviendront acteurs socio‑politiques, agent de développement du pays. Il en est de même de leur mode d’acces‑ sion au pouvoir d’Etat et de la dévolution de leur pouvoir.
Enfin, la constitution de la Troisième République innove également en confiant au chef coutumier le devoir de promouvoir l’unité et la cohésion nationales. Ce rôle est typiquement national. Rôle qui sort le chef coutumier du carcan traditionnel local où il fut autrefois confiné. Le chef coutumier devient vecteur de la réconciliation nationale. En réalité, il est question de responsabiliser les chefs coutumiers en matière de la cohésion nationale pour qu’ils ne continuent pas de profiter de la décomposition de l’Etat et de participer activement à sa désintégration.
Le chef coutumier est au centre de l’enjeu politique national et a un rôle important à jouer. C’est ce que perçoit Mabiala Mantuba au sein du système congolais quand il écrit : « Ce système dégage un rôle pour les chefs
coutumiers dans la promotion de l’unité nationale et le fonctionnement normal de l’Etat. Si le chef de l’Etat est au‑dessus de la mêlée, les chefs coutumiers peuvent être au centre des liens entre le Parlement, le Sénat et le gouvernement comme organe de «palabre». Cet organe assure le règlement politique des
conflits. Il ne remplace pas les juridictions judiciaires moins encore la cour constitutionnelle, mais assure la restauration de l’harmonie dans le fonctionnement de l’Etat. En tant qu’organe de l’Etat, la « palabre » dirigée par un chef coutumier se tient quand le besoin se fait sentir. Le président
126. MAMBI TUNGA-BAU,H. et MVUNZI MUSUKU, « De la fonctionnarisation des chefs cou- tumiers en République Démocratique du Congo. De Léopold II à Joseph Kabila : Bilan de plus d’un siècle de législation », in Mouvements et enjeux sociaux ,n° 14, novembre- décembre 2003, p. 54.
de la « palabre » peut avoir un mandat et doit être désigné par ses pairs. Elle est une instance de communication qui dédramatise la conflictualité au moyen des proverbes, des contes, des paraboles, des symboles et des chansons »127.
Il y a lieu d’envisager le rôle politique que les différentes lois électorales a/ribuent au chef coutumier.