Du pouvoir politique traditionnel et de ses fondements
I.6. Pouvoir traditionnel en tant que pouvoir monarchique
I.6.1. La monarchie en Occcident
La monarchie est ce/e forme de gouvernement d’un Etat dans laquelle le pouvoir est détenu par un seul homme, le plus souvent un roi héréditaire. Selon que le pouvoir du souverain est illimité ou limité par une constitution, la monarchie est dite absolue ou constitutionnelle. Historiquement, avant ce/e différenciation, la monarchie a existé comme mode de gouvernement dans l’antiquité romaine. « L’histoire de l’Etat Romain contient presque tous les modèles des Etats occidentaux : la royauté aristocratique, la République – oligarchique ou populaire ‑, la monarchie tempérée, la monarchie théocratique. Pendant quatorze
63. ADLER, A., Le pouvoir et l’interdit. Royauté et religion en Afrique noire, Albin Michel, Paris, 2000, 12.
siècles s’élaborèrent, se superposèrent, se composèrent ces modèles, qui ont inspiré les systèmes politiques médiévaux, modernes et contemporains »65.
L’Occident avait connu l’époque des monarchies absolues liées à la conception de l’origine divine du pouvoir. Nous savons que le grand Empire romain, dont l’apport capital dans le domaine politique demeure l’invention de l’Etat, sa puissance et sa souveraineté, fut une monarchie.
La monarchie absolue fut fonctionnelle aussi bien en Grande Bretagne, en France, en Espagne qu’en Russie d’avant 1917 avec le régime des Tsars qui s’illustra par l’autoritarisme. Pendant ce/e période des monarchies absolues en Europe, « le roi peut faire des lois, abroger les lois impériales, imposer
des nouvelles constitutions. Il a le jus plenum, jus potestatis. Il a une souveraine liberté, n’étant soumis à personne. Lorsqu’il concède un privilège, il peut toujours le révoquer »66.
La Grande Bretagne (1689) et bien d’autres pays scandinaves, par des révolutions pacifiques – révolution par le droit –, à leur mesure, ont progressé des monarchies absolues, primauté des désirs du monarque, vers des monarchies constitutionnelles, primauté du droit, de la loi sur les senti‑ ments et les désirs du monarque. Le pouvoir est exercé suivant les prescrits de la constitution. Celle‑ci n’est pas écrite en Grande Bretagne.
C’est à travers des grandes révolutions que ces Etats ont dû évoluer en Europe occidentale. La France, par sa révolution de 1789, changea fondamentalement son régime de la monarchie en République. Cela lui a réussi après une longue période d’autoritarisme.
« Les pouvoirs du souverain sont limités, l’évolution a pratiquement dépouillé la fonction royale de toutes les prérogatives effectives, transférant la réalité du pouvoir au gouvernement et aux chambres. Le rôle du monarque ressemble étran‑ gement à celui du Président de la République » qui67, règne mais ne gouverne pas sauf aux Etats‑Unis depuis 1787. On constate aussi la situation inverse où le président de la République ressemble au roi constitutionnel. Le monarque s’efface au profit du gouvernement et du parlement. Tout au début de la constitutionnalisation de la monarchie, la constitution pose le principe de la souveraineté nationale tout en maintenant la monarchie.
65. LANCON, B., L’ETAT ROMAIN : Quatorze siècles de modèles politiques, Ed. Nathan, Paris, 1994, p. 11.
66. ELLUL, J., Histoire des institutions. Le Moyen Age, op. cit., p. 315.
67. REMOND, R. et alii, Les civilisations du monde contemporain, Hâtier, Paris, 1966, p. 61.
En effet, « le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire dériveront de l’élection,
quant au roi, la constitution décide qu’il est le délégué de la nation. Son pouvoir lui est délégué. Il devient le premier fonctionnaire. Il représente pleinement la nation à l’extérieur, moins ne-ement à l’intérieur et il peut perdre son pouvoir en cas d’opposition avec la nation. Mais la souveraineté nationale sera exercée par l’intermédiaire des représentants »68. La consécration du pouvoir royal qui, jadis était coutumier – la Grande Bretagne faisant toujours exception –, par une loi positive, la constitution inaugure l’ère des monarchies consti‑ tutionnelles. Ce régime s’est ainsi répandu en Europe et mérite encore res‑ pect en Grande Bretagne, Belgique, Norvège, Danemark, Finlande, Hol‑ lande, Espagne, Suède qui ont su garder leurs dynasties.
Toutefois, le problème suscité par l’hérédité du trône et des charges publiques y afférentes mérite une a/ention particulière pour ce/e institution, la royauté. L’origine de la monarchie n’est pas élucidée après l’avènement des monarchies constitutionnelles en Europe. Il semble que le premier roi fut soit conquérant, soit qu’il fut élu, tiré au sort, soit qu’il fut usurpateur. Son pouvoir est, ensuite, devenu héréditaire. La nature héréditaire du pouvoir dans une monarchie revêt un caractère oppressif.
Au nom de quel principe quelques hommes se considèrent‑ils nés pour régner et les autres nés pour obéir ? En un mot, la royauté et le droit de la rendre héréditaire ne sont qu’une injustice dont le fondement n’est que mythique. Toute proportion gardée, le changement de nature de monarchies absolues en monarchies constitutionnelles n’efface nullement les privilèges et l’insolence de la famille régnante en Occident. Notons enfin que la décomposition de la partie européenne de l’empire O/oman a permis la naissance des premiers Etats Slaves dans les Balkans dès le XIXè siècle : Roumanie, Bulgarie, Serbie, Monténégro. Ce processus se poursuivit après la première Guerre mondiale avec les traités de Versailles, de Saint‑Germain‑en‑Laye, de Neuilly et de Trianon qui procédèrent à la division, pas toujours équitable et rationnelle, des empires austro‑hongrois, allemand et russe. On assista ainsi à la renaissance de la Pologne, à l’agrandissement de la Roumanie, à la création de deux Etats plurinationaux : Tchécoslovaquie et Yougoslavie autour de la Serbie.
68. ELLUL, J., Histoire des institutions : le XIXè siècle Tome 5, 6ème édition, PUF, Paris, 1969,
En résumé, en Occident, les monarchies absolues et autocratiques – comme celles de Louis XIV en France, de Jacques II Stuart en Angleterre, de la Grande Catherine en Russie –, ont cédé la place , à la suite d’une évolution lente et réelle, à des Républiques nationalistes modernes ou des monarchies constitutionnelles. De Gaulle et Churchill observèrent la nation comme l’entité réelle par où s’exprime sa souveraineté absolue.
Les monarchies qui persistent en Occident ont fondamentalement changé de nature : l’expression « le monarque fait les lois » ne vaut pas son pesant d’or aujourd’hui ; le monarque respecte les lois : c’est la monarchie constitutionnelle. Toutes les libertés sont garanties.