la désacralisation des absolus du pouvoir coutumier
IV.2. La cohabitation entre autorités politiques traditionnelle et moderne : quelques facteurs de tension
IV.2.3. Le non-respect des principes de succession au trône
L’installation des régents « neutres », c’est‑à‑dire des personnes non ayant droit au pouvoir coutumier concerné, et l’anarchie des autorités provinciales et locales en matière de reconnaissance, d’investiture des chefs coutumiers et de découpage des groupements se réalisent au mépris de toute règle de légalité. Les cas suivants peuvent être cités pour illustrer notre propos.
Dans le groupement de Kai Mbaku, secteur de Maduda en territoire de Tshela, Monsieur Mbaku Sambu228, dénonce l’éviction illégale d’un chef de groupement intérimaire neutre au profit d’un candidat conflictuel installé d’office par l’autorité de district à la tête du groupement.
Pour la petite histoire, ce conflit de succession remonterait aux années 1972 sous le règne de Mananga Ngoma qui accéda au pouvoir au mépris de la règle de rotation entre branches cheffales ayant droits au pouvoir coutumier de Kai Mbaku.
Ngoma Bueya accéda au pouvoir plus tard. Il perdit ce pouvoir du fait de son arrestation à Boma pour cause de meurtre commis dans le village et dont la responsabilité lui incomberait. Pour ce/e cause, il sera remplacé par Bakula ba Bueya. Celui‑ci fut reconnu officiellement par l’arrêté ministériel n° 84/0158 du 16 mars 1984. Monsieur Mbaku Sambu se fera reconnaître puis sera contesté par le candidat Ngoma Bueya Manzambi. Celui‑ ci réussira, à son tour, à se faire reconnaître aussi par arrêté ministériel.
A la suite de ce cafouillage, une commission d’enquête conduite par l’Administrateur de territoire de Tshela descendit à Kai Mbaku le 4 novembre 1999 pour me/re fin au désordre.
A l’issue de ce/e enquête, c’est Mwanda Kinzama qui sera désigné chef de groupement de Kai Mbaku. Il fut installé au pouvoir par message phonique
227. Idem
n° 11/06.11/B.2/027/2000 du 10 juin 2000. S’ensuit une autre contestation de la part de deux précédents chefs rivaux écartés du pouvoir.
Comme on le constate, la confusion s’ajoute à la résolution du conflit longtemps vécu dans le groupement de Kai‑Mbaku.
C’est ainsi que Monsieur Longo di Mbenza, commissaire de district du Bas‑fleuve, se portera sur les lieux le 20 juillet 2001 pour installer d’office, sur l’ordre du Secrétaire général du ministère de l’intérieur, Monsieur Ngoma Bueya François comme chef de groupement de Kai‑Mbaku en remplacement de Ngoma Bueya Manzambi jusqu’à nouvel ordre. Il est chef de groupement intérimaire.
Ce/e longue histoire aboutit, après des années, à une solution à la fois provisoire et illégale qui démontre suffisamment combien les autorités administratives sont incapables de maîtriser les tensions. Elles sont aussi à la base des tensions et de dysfonctionnements du système politique traditionnel. Ce/e solution est dictée, en partie, par la non maîtrise des règles de succession par les intéressés eux‑mêmes : qu’il s’agisse des communautés vivant sous le matriarcat ou le patriarcat.
Sans oublier que de nombreux groupements sont de création coloniale du fait que dans les sociétés segmentaires, des clans étaient autonomes. L’Etat peut, s’il se veut moderniste s’appuyer sur les structures segmentai‑ res pour démocratiser le pouvoir à la base.
Toujours dans ce/e province du Bas‑Congo, nous avons le cas du groupement Kimongo, en secteur de Lubuzi dans le territoire de Tshela (Bas‑fleuve) où la famille régnante Tsimba Phukutu fustige les a/itudes des autorités territoriales de base en ces termes : « nous prenons la respectueuse
liberté d’exprimer notre désolation sur la manière qui ne garantit pas le respect des règles coutumières en matière de succession au pouvoir coutumier dès qu’il y a vacance »229. Bien avant sa mort le 26 septembre 2000, le dernier chef de groupement Tsasa‑Tsasa avait confié la régence à sa petite‑fille Muaka Ditonda Caroline depuis 1995 par un acte de délégation de pouvoir coutumier du groupement Kimongo approuvé par l’administrateur de territoire de Tshela daté du 28 décembre 1995.
Après la mort de Tsasa‑Tsasa, une enquête conduite par l’administrateur de territoire de Tshela reconnut Madame Muaka Dikonda comme chef de groupement au détriment de Monsieur Khonde Kimbimbi. Ce dernier introduira un recours qui aboutira à une nouvelle enquête conduite ce/e
229. Lettre des membres de la famille régnante TSIMBA PHUKUTU du groupement KIMONGO au Gouverneur du Bas-Congo en date du 14 juin 2001.
fois‑ci par le commissaire de district du Bas‑Fleuve, Longo di Mbenza afin de statuer sur ce dossier, désormais, devenu conflictuel.
A l’issue de ce/e enquête : « la seule alternative est de me-re fin à la
délégation de pouvoir donnée à Madame Muaka Dikonda avec la suspension de tous ses droits (salaire dû au chef) pour être remplacée par un intérimaire neutre en la personne de Monsieur Mbaku Muanda qui, désormais prend les destinées du groupement jusqu’à nouvel ordre », soutient la le/re de la famille régnante
Tsimba Phukutu.
L’enquête du commissaire de district aboutit à des résultats d’impuis‑ sance : il y a désordre. Le commissaire de district suspendit le prétendant et confia le pouvoir à un intérimaire neutre. Ce/e solution accentue et élar‑ gie, le moins que l’on puisse dire, les conflits qui autrefois étaient internes au clan régnant.
Eu égard à ce qui précède, l’on remarque que les autorités territoriales alimentent les tensions et créent des nouveaux chefs qui, sans doute, prendraient goût à l’exercice du pouvoir qui leur était naturellement étranger. Aux termes des instructions en vigueur, toute installation de chef de groupement ou de chefferie qui déroge à la reconnaissance préalable du ministre de l’intérieur est illégale.
L’Alliance Nationale des Autorités Traditionnelles dénonce d’une part les faux chefs coutumiers qui se recrutent parmi les fonctionnaires et agents de l’Etat à Kinshasa se réclamant représentants des chefs coutumiers comme si l’on peut être ambassadeur dans son propre pays; d’autre part, elle fustige l’anarchie des autorités provinciales et locales du fait que celles‑ ci procèdent à :
1. « la scission et la création illégale des nouveaux groupements dans certaines provinces alors que seule la loi est habilitée à le faire ;
2. la suspension abusive et illégale des chefs coutumiers en violation flagrante de l’immunité coutumière juridictionnelle et des lois en la matière ;
3. la désignation et au remplacement par les Administrateurs de Territoire des chefs coutumiers sans passer par la procédure coutumière parce qu’ayant été corrompus »230.
En dépit des textes réglementaires et des instructions interdisant des scissions des groupements, des suspensions, des remplacements et des re‑ connaissances des chefs coutumiers, les autorités provinciales et certains
230. A.N.A.T.C., Note technique sur le contrôle physique des chefs coutumiers adressée au Ministre de l’Intérieur le 20 août 20001.
fonctionnaires du secrétariat général du ministère de l’intérieur se permet‑ tent d’alimenter les tensions au sein du pouvoir coutumier à travers leurs actes.