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Chapitre 4 : Les résultats

4.3. La nature des émotions

4.3.4. Synthèse par classe d‘émotion

La classe d‘émotions surprise est, avec la classe peur, le groupe d‘émotion le moins important avec 3,5 % des recours aux émotions. Cosnier (1994) émet d‘ailleurs une réserve quant à la surprise, ne la jugeant pas assez importante pour être distinguée des autres catégories. Cosnier ne définit pas de catégorie surprise dans son adaptation du modèle de Shaver et al. (1987). Nos données semblent aller dans le même sens que le jugement de cet auteur. Comme pour la classe surprise, la catégorie d‘émotions peur ne joue pas un grand rôle. En effet, c‘est la seule classe d‘émotion qui est absente de l‘infodivertissement et la majorité des émotions de ce groupe est observée dans des entrevues d‘émissions d‘information.

La classe d‘émotions colère est celle qui a le plus attiré l‘attention des chercheurs s‘intéressant aux discours politiques. Cependant, elle semble moins importante que ce que suggère la littérature. La colère est principalement présente dans les entrevues d‘émissions d‘infodivertissement. Trois pourcent des recours aux émotions dans les émissions d‘information touchent à une émotion de cette classe contrairement à 21 % pour l‘infodivertissement. Le Téléjournal 22 h est la seule émission d‘information à présenter des émotions de cette catégorie. L‘extrait 4.9 présente ce recours à la colère. De plus, les recours à la colère sont beaucoup plus longs dans les émissions d‘infodivertissement. Ils durent en moyenne 22 secondes dans les émissions d‘infodivertissement contre 6 secondes pour les émissions d‘information. La colère est généralement exprimée à travers une désignation verbale indirecte. Les paramètres paraverbaux y sont aussi plus présents. L‘extrait

suivant présente un passage de l‘entrevue de Pauline Marois à Tout le monde en parle où la politicienne exprime sa colère envers le comportement de Jean Charest de manière indirecte.

Extrait 4.8. Pauline Marois, Tout le monde en parle, 2008.

Guy A. Lepage questionne Pauline Marois sur sa santé à la suite d’une opération qu’elle a subie quelques mois avant l’entrevue et celle-ci reprend qu’elle est « fatiguée », mais dans un sens imagé.Cette expression utilisée par Pauline Marois signifie qu’elle est exaspérée par le comportement de son adversaire.

Guy A. Lepage

Le soir, hein?

Pauline Marois

Je suis très fatiguée de Jean Charest. Je suis très fatiguée de Jean Charest.

Pauline Marois dit cette expression avec un ton humoristique. Lors de la répétition, la politicienne met l’accent sur «très fatiguée».

Guy A. Lepage

En quoi Jean Charest vous rend malade?

Pauline Marois

Il me rend malade parce qu’il est irresponsable. Jean Charest a décidé d‘amener les

Québécois en élection alors qu‘ils ne le souhaitaient pas.

La colère est souvent exprimée à travers des expressions comme celles de Pauline Marois, ce qui contribue à diminuer l‘intensité de l‘émotion. En effet, les extraits présentant de la colère ne sont pas ceux où l‘émotion est la plus intense. De plus, la colère est souvent dirigée contre une personne plutôt que contre un parti politique. Ces caractéristiques sont les principales différences entre la catégorie de la colère et celle de la joie.

La classe d‘émotion amour représente 9,3 % des recours aux émotions (voir tableau 4.3). Il est à noter que cette catégorie d‘émotion est totalement absente des émissions d‘information. Cette observation laisse penser que le divertissement est plus propice à cette classe d‘émotions. En effet, le tableau 4.5 indique que cette classe englobe 14% des recours aux émotions dans les émissions d‘infodivertissement et 22% dans les émissions de divertissement. La catégorie de l‘amour est représentée par des recours à l‘admiration. À titre d‘exemple, Pauline Marois exprime son admiration pour Lucien Bouchard dans une entrevue aux Francs-

tireurs en 2004 et André Boisclair montre le même sentiment envers René Lévesque dans une entrevue à Tout le monde en parle en 2007. Pauline Marois est la politicienne ayant le plus eu recours à cette classe

politicienne. À l‘opposé, Mario Dumont n‘a jamais eu recours à un sentiment de cette catégorie. Cette différence sera reprise dans le chapitre suivant lorsqu‘il sera question des différences entre les politiciens.

La catégorie de la tristesse occupe la deuxième place en importance pour les émissions d‘information avec 17,6% des moments émotionnels alors qu‘elle occupe la troisième place, à égalité avec la classe de l‘amour, pour l‘infodivertissement avec 14 % des émotions. Le divertissement ne présente que 7,7 % des recours aux émotions de cette catégorie. Jean Charest a recours à cette catégorie d‘émotions de différentes façons. Dans une entrevue donnée au Téléjournal 22 h, Jean Charest se dit déçu de Mario Dumont. Il utilise un ton de voix neutre qui ne traduit pas la déception exprimée (extrait 4.9). Dans un entretien avec Guy A. Lepage, le politicien exprime sa tristesse face à la tuerie qui a eu lieu au collège Dawson en 2006. Dans cet extrait, le politicien a plutôt un ton de voix bas et des mimiques faciales (voir figure 4.1) qui traduisent davantage l‘émotion exprimée (extrait 4.10)14. La catégorie tristesse apparaît donc de différentes manières et présente généralement une déception ou un regret.

Extrait 4.9. Jean Charest, Téléjournal 22 h, 2007 Bernard Derome

Mais est-ce que c'est un crime que d'être autonomiste, que de vouloir plus de pouvoirs, de la même façon qu'ont été tous les premiers ministres qui vous ont précédé?

Jean Charest

Bien, voyons! Le bilan de ce qu'on a fait. On a créé le Conseil de fédération. On a réussi à avoir la reconnaissance du fédéralisme asymétrique. Pour la première fois dans l'histoire du Canada, tous les premiers ministres ont signé ça. La reconnaissance du Québec comme nation. On a rapatrié le programme de congés parentaux depuis qu'on est au gouvernement. Un très beau programme, en plus. On a la reconnaissance du rôle du Québec à l'international et la voix au chapitre à l'UNESCO. Ça, à mes yeux à moi, c'est des gains réels. Alors ça, c'est une autonomie réelle, pas une autonomie de discours. Dans le cas de

monsieur Dumont, ce qui est décevant, c'est le fait qu'ils disent vouloir abolir le Conseil de fédération et se retirer des instances, faire la chaise vide. Ça, ça ne marche pas. On sait que ce n’est pas, que ce n’est pas la recette pour réussir ce que nous on a réussi depuis les quatre dernières années.

Extrait 4.10. Jean Charest, Tout le monde en parle, 2007 Guy A. Lepage

M. le premier ministre, quelle est la première loi que vous allez faire adopter?

Jean Charest

Moi, j‘aimerais qu‘on adopte une loi, au Québec, qui va contrôler les armes semi- automatiques et leur transport. Une des choses que j’ai vécues, moi, de plus difficile,

14 En parlant de la tuerie qui a eu lieu au Collège Dawson, Jean Charest baisse le ton de la voix et baisse les yeux vers le sol, signifiant

moi, depuis que je suis premier ministre du Québec, c’est l’affaire de Dawson College, parce que… Un drame terrible, d’abord, pour les familles, la victime et les victimes.

Figure 4.1. Jean Charest, Tout le monde en parle, 2007

La classe d‘émotions joie est la plus récurrente. En effet, 53,5 % des recours aux émotions appartiennent à cette catégorie. Peu importe le genre télévisuel, la joie est, de loin, la classe d‘émotions la plus importante. Elle représente 71 % des recours aux émotions dans les émissions d‘information, 42 % des émotions de l‘infodivertissement et 44 % des émotions du divertissement. Cette observation vient à contre-courant des propositions voulant que les campagnes électorales soient majoritairement négatives. Ce point sera repris lors de la conclusion. La joie est principalement marquée par le recours à la fierté. En effet, cette émotion est souvent utilisée lorsqu‘il est question des réalisations. La désignation verbale directe est le principal moyen de repérage de cette émotion. L‘extrait suivant montre bien un recours à la fierté.

Extrait 4.11. Jean Charest, Tout le monde en parle, 2008.

Dans cet extrait, il est question du remboursement de la péréquation que le gouvernement fédéral avait versé en trop au Québec en 2003. Les calculs du vérificateur général du Québec ne correspondaient pas aux calculs des libéraux. Jean Charest explique cette différence dans les calculs comptables.

Guy A. Lepage

Ce n‘est pas comme une auto, nous ne l‘amortissons pas.

Jean Charest

Non. Alors après, d‘ailleurs ça été débattu lors de la dernière campagne. Après nous l‘avons rencontré (le vérificateur général du Québec) et nous avons mis sur pied un comité et des recommandations, que nous avons mis dans la loi. La loi n‘a pas encore été adoptée. C‘est juste ça. Mais les chiffres sont exactement les mêmes. Ce qu‘il y a de nouveau par contre, c‘est qu‘au Québec, pour la première fois depuis longtemps nous avons une réserve. Je le

dis avec beaucoup de fierté parce que ça été cinq ans d’efforts pour en arriver là.

Le modèle de Shaver et al. présente entre 15 et 35 émotions pour chacune des classes, excepté pour la surprise qui en compte seulement trois. Cependant, l‘analyse du discours politique ne présente pas autant

d‘émotions que le modèle. En effet, peu importe le genre télévisuel, chacune des classes est marquée par des émotions prédominantes. La classe amour est principalement observable par des recours à l‘admiration, la classe joie est caractérisée par la fierté et la satisfaction, et la classe surprise est concrétisée par l‘étonnement. La classe colère est marquée par la présence de la colère et de l‘indignation, alors que la classe de la tristesse l‘est par la déception et la tristesse. Dans le prochain chapitre, il sera question des limites du modèle utilisé, mais il est déjà possible d‘observer un écart entre la richesse du modèle et celle des discours politiques dont le répertoire émotionnel est plus restreint.

Tableau 4.5. Pourcentage des recours aux émotions positives et négatives selon le genre télévisuel