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La différence dans les recours aux émotions selon le genre télévisuel

Chapitre 4 : Les résultats

4.2. La fréquence des émotions

4.2.4. La différence dans les recours aux émotions selon le genre télévisuel

Une caractéristique intéressante à comparer est la durée des recours aux émotions, tout en considérant que la mesure de la durée est nettement moins stable que celle de la fréquence. Cosnier (1987) rappelle que la verbalisation des émotions peut se faire de manière plus ou moins longue selon le mode d‘évocation (exclamation, discussion, etc.). La durée moyenne des recours aux émotions dans les émissions d‘information est de 9,21 secondes contrairement à 11,33 secondes pour les émissions d‘infodivertissement et 12,00 secondes pour le divertissement. Les moments émotionnels sont donc un peu plus longs dans les émissions d‘infodivertissement que dans les émissions d‘information. La différence est un peu plus grande entre l‘information et le divertissement. Les caractéristiques du divertissement favoriseraient donc une verbalisation plus longue des émotions. Cosnier et al.(1986) identifient des catégories d‘émotion qui demandent une verbalisation plus longue. La prochaine section reviendra sur cet élément en analysant la variation dans la nature des émotions identifiées. Il sera alors possible de voir si la variation dans la durée des recours aux émotions est due au genre télévisuel ou à la nature des émotions comme le soutient Cosnier.

La répartition des émotions dans les entrevues montre aussi une différence peu importante entre les genres télévisuels. Les émissions d‘information contiennent en moyenne 0,33 émotion par minute contre 0,35 émotion par minute pour l‘infodivertissement, ce qui donne une différence de 0,02 émotion par minute ou encore de 0,10 émotion pour un extrait de cinq minutes. Le divertissement se distingue peu des deux autres genres télévisuels précédents en présentant 0,30 émotion par minute.

Si l‘on pousse l‘analyse un peu plus loin et que l‘on regarde les écarts types, on obtient 14,26 secondes pour l‘information, 18,55 secondes pour l‘infodivertissement et 3,16 secondes pour le divertissement. Les données dans l‘information et l‘infodivertissement sont influencées par des valeurs extrêmes. En effet, plus un écart- type est élevé plus les données sont étendues par rapport à la moyenne ce qui suppose qu‘il y a des données éloignées de la moyenne. De plus, les écarts importants entre la moyenne et la médiane renforcent cette idée de la présence de valeurs extrêmes dans les données.

Tableau 4.2. Durée des moments émotionnels selon les genres télévisuels (en secondes)

Écart type

Moyenne

Médiane Minimum Maximum Information 14,26

9,2

2,5 2 60

Infodivertissement 18,55

11,33

3 2 101

Les écarts types de l‘information et de l‘infodivertissement suggèrent que la durée des recours aux émotions est très variable. Le plus long moment émotionnel de l‘information dure 60 secondes et se trouve dans une entrevue de Jean Charest au Téléjournal 22h en 2007.

Extrait 4.5. Jean Charest, Téléjournal 22h, 2007. Bernard Derome

Euh... Parlez-moi du Québec que vous aimez.

Jean Charest

Le Québec que j'aime, c'est beaucoup le Québec des régions, autant que le Québec de Montréal. Je pense que l'histoire du Québec, c'est l'histoire d'abord d'un peuple qui a su grandir pendant 400 ans, qui va fêter en 2008 le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain. Et quand je suis à l'extérieur du Québec et que je parle du Québec, je leur parle de cette histoire magnifique d'un peuple qui a su garder sa langue, sa culture et, en même temps, intégrer et inclure. J'inclus là-dedans une fête récente, celle des Irlandais qui sont venus ajouter leur pierre à notre histoire. À mes yeux à moi, là, l'histoire des Irlandais au Québec et de leur intégration, là, ça incarne, en quelque sorte, tout ce qu'il y a de beau au Québec. Et l'avenir du Québec, bien, c'est celui d'un peuple qui, à mes yeux à moi, sera un exemple de justice sociale, de développement économique.

Pour l‘infodivertissement, le moment émotionnel le plus long dure 101 secondes. Il s‘agit d‘un extrait de Mario Dumont aux Francs-tireurs en 2007. Dans l‘extrait, il est question d‘une comparaison qui a été faite entre Mario Dumont et Jean-Marie Le Pen. L‘extrait est particulièrement long parce que l‘animateur, Patrick Lagacé, renchérit sur les propos de Mario Dumont ce qui fait en sorte que le politicien précise plus longuement ce qu‘il ressent et les indicateurs paraverbaux sont très explicitent sur la colère que ressent le politicien.

Reprise de l’extrait 3.9. Mario Dumont, Les Francs-tireurs, 2007 Patrick Lagacé

En commençant, j'ai envie de vous entendre sur le sujet de Jean-Marie Le Pen. Pourquoi ça vous a fait jumper comme ça d'être comparé au leader de l'extrême droite française?

Mario Dumont

Mario Dumont a un ton de voix agressif. Deux raisons, peut-être même 3 raisons. La première, c'est que c'est faux, profondément contraire à tout mon engagement politique depuis le début. Ça fait 20 ans bientôt que je suis en politique, c'est contraire à tous les principes que j'ai défendus dans mon engagement politique. J'ai une vision pluraliste de la société, inclusive. Et deuxièmement, je pense que c'était le genre de comparaison qui était destinée à désinformer la population, à essayer d'amener le débat là où il ne doit pas du tout aller, et troisièmement, on était une semaine avant le début de la campagne et je pense que les Québécois méritent un débat d'idées. On peut attaquer durement le programme des autres, mais je ne trouverais pas ça méchant, d'une certaine manière, qu'en partant, on campe clairement que si quelqu'un va sur ce terrain-là, il va se faire taper sur les doigts sévèrement.

Patrick Lagacé

Mais vous qu'est-ce que vous trouvez dégueulasse dans la personne de Jean-Marie Le Pen?

Mario Dumont

Bien, je n‘ai pas à juger, il y a des gens qui votent pour lui en France, mais je ne partage rien de sa vision politique. Moi, personnellement. C'est quelqu'un, par ailleurs, qui a déjà fait... il a eu des condamnations en prison pour violence et autres. Mais outre ça, sa vision de la société, de retourner chez eux les immigrants, je partage zéro de ça. Moi j'ai une vision inclusive de la société et le débat sur les accommodements raisonnables n'a aucune comparaison, aucun parallèle avec ce que propose le parti de Le Pen en France. Il s'agit ici de défendre nos valeurs communes et seulement rappeler que dans l'ensemble des grands pays d'Europe, ce sont des partis de centre, des partis très modérés qui ont pris la position que l'ADQ a prise au Québec, celle de la défense de valeurs communes, celle de s'assurer qu'on va unir la population autour de ces valeurs communes. Et ici, au Québec, ce qui a fait la différence, c'est qu'il y a 2 partis sur 3 qui ont eu peur d'en parler.

Patrick Lagacé

OK, quand Pierre Arcand vous a comparé à Le Pen, c'était une déclaration stupide, moi je l'ai dit, sauf que, écoutez, on est entre nous deux, là, vous pouvez me le dire. Vous deviez être content, ça vous plaçait dans la position de la victime. Ça vous a permis de mettre le Parti libéral sur la défensive pendant 24, 36 heures. C'est un cadeau du ciel pour vous.

Mario Dumont

Non parce que, quand même, sur le plan personnel, moi, compte tenu de ma vision des choses c'était très insultant.

Patrick Lagacé

Oui, mais il a été désavoué partout.

Mario Dumont

Non, je comprends qu'il a été désavoué partout, mais quand même... Deuxièmement, il y avait quelque chose, profondément, dans son refus de s'excuser. J'ai été hautement

insulté par cette espèce de petit communiqué d'après-midi qui venait dire: j’ai dit ça, mais ce n’est pas vraiment ça, mais dans le fond c'est ça. Mario Dumont monte le ton de la voix. Et ça, il y a une règle dans la vie, quand tu t'excuses, il y a une règle

d'honneur, quand tu t'excuses, tu t'excuses. Si tu ne t’excuses pas puis tu penses que ce que t'as dit est bien correct, tiens-toi à tes propos puis va les défendre sur toutes les tribunes. Si tu t'excuses, tu t'excuses. Tu fais pas de commentaires, tu ne fais pas de « j'ai voulu dire », tu dis: « J'ai tenu des propos qui ont dépassé ma pensée, je m'en excuse », on passe à un autre appel. On tourne la page et je pense qu'il a commis une 2e erreur en faisant un communiqué de 3-4 lignes dans lequel il zigonnait sur les mots si tu me passes l'expression pour essayer de s'expliquer sans s'excuser.

Pour résumer, l‘analyse des entrevues a permis de relever 86 recours aux émotions. Trente-quatre émotions ont été évoquées dans une émission d‘information contrairement à 43 pour les émissions d‘infodivertissement et 9 pour le divertissement. De plus, les recours aux émotions représentent 5,05 % du temps total des

entrevues pour l‘information comparativement à 6,62 % pour l‘infodivertissement et 5,94 % pour le divertissement.

La question à la base de cette section était de savoir si la fréquence des recours aux émotions dans les discours des politiciens varie selon le genre télévisuel. Les données recueillies – le pourcentage des entrevues occupé par un recours à l‘émotion, le nombre moyen de moments émotionnels par minute et la durée moyenne des verbalisations d‘une émotion – ne permettent pas de conclure que le genre télévisuel a un effet sur le nombre d‘émotions évoquées dans les discours politiques.