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La relation entre l‘animateur et le politicien

Chapitre 5 : Interprétation des résultats

5.2. Autres caractéristiques expliquant le recours aux émotions

5.2.2. La relation entre l‘animateur et le politicien

Un deuxième élément peut être pris en compte. Il ne s‘agit pas d‘une caractéristique observée par des données quantitatives, mais plutôt d‘une observation faite lors de l‘analyse des entrevues. Si la personnalité du politicien peut influencer le recours aux émotions, il est légitime de penser que la personnalité ou le style d‘entrevue de l‘animateur ou du journaliste, de même que l‘interaction intervieweur/interviewé, peuvent avoir le même effet.

Chaque animateur a sa façon d‘aborder les politiciens, d‘appréhender les divers sujets et de diriger les entrevues. Il y a certes des constantes selon les genres télévisuels. Les journalistes d‘émissions d‘information respectent généralement un style journalistique traditionnel marqué par un haut degré de formalité entre eux et les politiciens (voir chapitre 2). Les animateurs d‘émissions d‘infodivertissement adoptent un style moins formel. Malgré ces caractéristiques générales des genres télévisuels, il y a des différences entre les animateurs et les journalistes d‘un même type d‘émission.

Les deux émissions d‘information analysées sont Les Coulisses du pouvoir animé par Daniel Lessard et Le

Téléjournal 22h tenue par Bernard Derome. Daniel Lessard est plus formel que Bernard Derome dans sa

relation avec le politicien interviewé. Le début des entrevues est un bon exemple pour mettre en lumière les différences entre ces deux journalistes. Dès le deuxième échange, Daniel Lessard pose une question sur la campagne électorale :

Extrait 5.2 : Mario Dumont, Les Coulisses du pouvoir, 2008 Daniel Lessard :

Je joins le chef de l‘ADQ, Mario Dumont, chez lui ce matin à Rivière-du-Loup. M. Dumont, Bonjour.

Mario Dumont :

Bonjour.

Daniel Lessard :

M. Dumont, je sais que vous n‘aimez pas commenter les sondages, mais ils sont là, vous les avez vus comme moi hier dans La Presse.

Est-ce que vous avez l‘intention de faire un virage important, de changer complètement la direction de votre campagne?

À l‘opposé, Bernard Derome suit un modèle journalistique classique, mais il y inclut quelques moments informels. À titre d‘exemple, les entrevues débutent toutes avec une conversation non politique dans un lieu différent de celui où l‘essentiel de l‘entrevue est tourné. Cet élément du format correspond à ce que Eugénie Saitta appelle le récit politique qui « offre une lecture désacralisante de la vie politique » (2008 : 116). Le récit politique s‘intéresse aux informations politiques traditionnelles tout en faisant un portrait humain des politiciens. Cet élément représentant l‘évolution de l‘information politique et l‘effacement des frontières entre les genres télévisuels sera abordé plus en profondeur dans la conclusion de ce mémoire. Cette approche plus informelle crée une atmosphère de confidence qui pourrait amener le politicien à avoir plus recours aux émotions dans son discours :

Extrait 5.3 : Pauline Marois, Le Téléjournal 22h, 2008

Introduction faite en studio

Bernard Derome

La possibilité de voir Stéphane Dion devenir premier ministre du Canada grâce à l‘appui du Bloc Québécois est tout un revirement de situation. Cette alliance contre nature survient en pleine campagne électorale au Québec. Pauline Marois la voit d‘un bon œil. J‘ai rencontré ce matin Mme Marois au Centre des sciences dans le Vieux-Montréal.

Pauline Marois et Bernard Derome se retrouvent dehors devant le Centre des science de Montréal.

Pauline Marois

Ce n‘est pas chaud ce matin.

Bernard Derome

Bonjour Mme Marois.

Pauline Marois

Bernard Derome

Vous avez fait votre marche ce matin ?

Pauline Marois

Oui je l‘ai faite à 5h ce matin.

Bernard Derome

C‘est vrai ?

Pauline Marois

Oui, oui, c‘était le seul temps que j‘avais aujourd‘hui. Il n‘y avait pas de vent.

La même observation peut être faite avec les entrevues des émissions d‘infodivertissement. Patrick Lagacé, animateur des Francs-tireurs, et Guy A. Lepage, animateur de Tout le monde en parle, adoptent tous deux une approche moins formelle que les journalistes des émissions d‘information. Par contre, Patrick Lagacé a un ton plus confrontant que Guy A. Lepage.

Reprise de l’extrait 3.9. Mario Dumont, Les Francs-tireurs, 2007 Patrick Lagacé

OK, quand Pierre Arcand vous a comparé à Le Pen, c'était une déclaration stupide, moi je l'ai dit, sauf que, écoutez, on est entre nous deux, là, vous pouvez me le dire. Vous deviez être content, ça vous plaçait dans la position de la victime. Ça vous a permis de mettre le Parti libéral sur la défensive pendant 24, 36 heures. C'est un cadeau du ciel pour vous.

[…]

Patrick Lagacé

Oui, mais il a été désavoué partout.

[…]

Patrick Lagacé

Mais vous, il y a quelques années, vous avez défendu un animateur de radio, Jeff Fillion.

Mario Dumont

Non, une station de radio.

Patrick Lagacé

Les dérapages c’était surtout Fillion. Vous avez défendu la liberté d’expression dans sa forme des fois un peu extrême.

Mario Dumont

En fait, je n‘ai jamais défendu des propos. Je n‘ai jamais défendu d‘animateur. J‘ai défendu une station de radio, qui soit dit en passant, est restée ouverte et aujourd‘hui il n‘y a personne qui s‘en plaint. Et dans l‘épisode Pierre Arcand, je n‘ai pas demandé la fermeture de Radio-Canada parce que les propos ont été tenus en ondes à Radio-Canada. Je pense que les tribunaux sont là...

Patrick Lagacé

Non, mais il y a quand même une différence entre l‘époque Jeff Fillion à CHOI et Radio- Canada.

Extrait 5.4. Mario Dumont, Tout le monde en parle, 2007. Guy A. Lepage

On va parler de votre ex-candidat dans Deux-Montagnes, Jean-François Plante. Il a démissionné — ou il a été démissionné — à la suite de ses nombreux commentaires jugés sexistes, racistes et homophobes. Pourquoi vous avez attendu une semaine pour vous départir de ce candidat gênant?

Mario Dumont

D‘abord, ça n‘a pas pris une semaine, de un, ça a pris quelques jours. Parce que ce qu‘il avait déclaré ne correspondait pas plus aux valeurs de l‘ADQ qu‘aux valeurs des Québécois, qu‘à mes valeurs personnelles dans mon engagement politique, qu‘on vient de dire qui a quelques années d‘âge.

Guy A. Lepage

Mais c‘est un membre de l‘exécutif national de l‘ADQ et c‘est un rouage important au niveau de votre organisation. Est-ce qu‘il reste membre du parti et de l‘exécutif?

Mario Dumont

Ah, ben là, par exemple, soyons quand même prudents. Pour être membre, pour avoir une carte de membre du parti, participer à la vie démocratique, je ne pense pas…

Guy A. Lepage

Ça il a le droit.

Mario Dumont

Je ne pense pas qu‘on va lui enlever ce droit-là.

Guy A. Lepage

Mais membre de l‘exécutif?

Mario Dumont

Ben là, l‘exécutif ne se réunit pas pendant la période électorale; on verra après. La décision que j‘avais à prendre cette semaine était une décision difficile de campagne électorale et voilà.

Dans ces deux extraits, l‘animateur relance Mario Dumont sur des sujets délicats. Cependant, Patrick Lagacé le fait avec plus d‘insistance et va jusqu‘à sous-entendre que Mario Dumont appuie la liberté d‘expression

seulement lorsque ça lui convient (voir la section en italique de l‘extrait 5.5). Cette interaction crée une tension entre l‘animateur et le politicien. Cependant, aucun indicateur verbal ne permet d‘identifier une plus grande présence d‘émotions dans le discours de Mario Dumont aux Francs-tireurs qu‘à Tout le monde en parle. D‘ailleurs, le discours de Mario Dumont contient 0,12 émotion par minute aux Francs-tireurs contre 0,19 émotion par minute à Tout le monde en parle. La différence est donc négligeable.

Les deux points précédents sont issus d‘observations survenues lors de l‘analyse du corpus et proposent des pistes de réflexion qu‘il serait intéressant d‘approfondir afin de mieux saisir le discours politique dans les différents genres télévisuels, le corpus et la méthodologie définis pour ce travail ne permettant pas d‘appréhender ces éléments.