• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : La problématique

1.5. Synthèse et analyse critique

Les travaux sur la résolution de la crise proposés par Bernier (1994) ont le mérite d’appréhender le processus du retour au travail dans sa globalité et de le séquencer en différentes étapes clairement définies. Le moment du retour au travail, caractérisé par diverses formes de ruptures, coïncide au moment où les travailleurs se distancent de certains aspects irritants du travail afin d’en arriver à une nouvelle situation professionnelle. Toutefois, les travaux de Bernier ont été menés exclusivement auprès de personnes qui ont complété le processus de résolution de la crise. Cette sélection de cas à succès, bien qu’elle soit nécessaire pour tracer le processus complet du retour au

29

travail, se concentre sur une seule perspective et délaisse tous les cas où la crise n’a été résolue ou l’a été partiellement.

Plusieurs études se sont réalisées depuis celle de Bernier (1994) et il est maintenant connu que pour favoriser le retour au travail des employés absents pour des problèmes de santé mentale, la possibilité d’apporter des changements aux conditions qui ont contribué au retrait influence positivement le retour (St-Arnaud et al., 2007; Brenninkmeijer et al., 2008). Or, effectuer des modifications à la tâche ne relève pas directement des travailleurs, mais dépend de la volonté des entreprises et leur capacité à mettre en place de telles mesures (St-Arnaud et al., 2006). Malgré une préoccupation liée à la présence de facteurs nuisibles dans le travail, la démarche proposée par Bernier ne tient pas compte de ces aspects. L’accent est davantage mis sur le travailleur et les stratégies d’ajustement utilisées pour résoudre la crise, sans rendre compte des liens entre le travail et la santé mentale. À cet égard, le modèle de St-Arnaud et al. (2003) permet d’élargir la compréhension du retour au travail puisque le travail lui-même est au centre des facteurs impliqués dans le processus et il y joue un rôle crucial.

En effet, l’étude de St-Arnaud et al., (2003) accorde une place centrale au travail dans le processus de rétablissement et de retour au travail. Plusieurs autres études mentionnent que le travail est un élément important du processus de retour, car l’exposition à des facteurs de risques au travail a des répercussions tant sur l’apparition de symptômes dépressifs que sur la durée de l’absence (Breinninkmeijer & al., 2008; Caveen, et al., 2006; Labriola, Lund, Christensen & Krinstensen, 2006). D’ailleurs, des études ont démontré qu’il est possible de réduire les impacts psychologiques lors de situations difficiles au travail par l’implication des gestionnaires et des supérieurs immédiats dans des mesures de soutien pour les travailleurs (Caveen, et al., 2006; St- Arnaud et al., 2011a). Comme le suggère St-Arnaud et al., (2003), prendre en

30

considération la place qu’occupe le travail est un élément essentiel pour en arriver à une meilleure compréhension du processus de retour au travail et du recouvrement des capacités.

Cependant, même si le modèle de St-Arnaud et al. (2003) a ouvert sur le champ des pratiques de soutien au retour au travail, peu de recherches ont été menées à long terme pour faire état du maintien en emploi des travailleurs s’étant absentés en raison d’un problème de santé mentale. Pourtant, il est reconnu qu’après une première tentative de retour, il peut y avoir récurrence de périodes d’absence (Baldwin, Johnson & Butler, 1996; Bültmann, & al., 2007; Butler, Johnson & Baldwin, 1995; Conti & Burton, 1994; Druss, et al., 2001). Le sentiment de vulnérabilité qui est vécu lors du retour au travail reflète le niveau d’appréhension des travailleurs qui, souvent, retournent au travail même si les symptômes de la maladie ne sont pas complètement dissipés (St-Arnaud et al., 2007). Cela signifie qu’au sein même de l’activité de travail, la santé se reconstruit. Ainsi, le processus de retour au travail ne serait pas pleinement achevé parce que la personne reprend ses activités professionnelles.

D’ailleurs, St-Arnaud et al. (2003) et Bernier (1994) n’ont pas fait d’observation à long terme du processus de retour au travail. Pour cette raison, le processus de réintégration au travail de Young et al. (2005) permet de mieux saisir comment le processus prend la forme du maintien ou de l’avancement pour les travailleurs qui se sont absentés en raison d’un problème de santé mentale. Cependant, même si leurs travaux permettent de comprendre comment l’atteinte de la satisfaction permet ou non de se maintenir en emploi, les auteurs ne suggèrent aucun moyen pour y arriver. Pourtant, des activités en lien avec le maintien en emploi doivent faire partie intégrante

31

du processus de retour au travail afin de faire diminuer le risque de rechute (Briand, Durand, St-Arnaud & Corbière, 2007).

De plus, les travaux qui ont mené à la création du modèle de St-Arnaud et al., (2003) ont été menés auprès des travailleurs issus des secteurs publics ou parapublics, tout comme ceux de Bernier (1994). De plus, même si Bernier a pris le temps d’inclure deux groupes de travailleurs appartenant à des catégories d’emplois différentes, les personnes rencontrées travaillaient dans le secteur public et parapublic, n’incluant pas de travailleurs du secteur privé. Ainsi, il est possible de se demander ce qu’il advient des personnes qui œuvrent dans le secteur privé?

En résumé, le retour au travail se déroule dans une période de temps allant des événements déclencheurs jusqu’au stade du maintien en emploi, surmontant ainsi la période de rechute. De plus, plusieurs recherches sur le retour au travail à la suite d’une absence en raison d’un problème de santé mentale ont été menées auprès de travailleurs des secteurs publics et parapublics (Bernier, 1994; Duxbury & Higgins, 2003; St-Arnaud et al., 2003; 2007). Ainsi, peu d’études se sont intéressées, de façon spécifique, au processus de retour au travail des travailleurs du secteur privé qui se sont absentés à la suite d’un problème de santé mentale (Millward, Lutte, & Purvis, 2005; Nieuwenhuijsen et al., 2006; Briand et al., 2007).

On peut se demander ce qu’il advient des personnes du secteur privé qui s’absentent du travail en raison d’un problème de santé mentale En effet, les conditions de travail entre les secteurs diffèrent, notamment en matière de syndicalisation. Or, des études ont démontré qu’au Québec, les travailleurs non syndiqués et ceux œuvrant dans le secteur privé ont moins de journées de vacances et de congés de maladie que ceux

32

travaillant dans le secteur public ou les travailleurs syndiqués. De plus, selon Andersen, Nielsen et Brinkmann (2012) on connaît encore peu comment les expériences passées et l’anticipation du retour au travail influencent le vécu des travailleurs en processus de retour au travail.