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Chapitre 3 : Les résultats

3.3. L’arrêt de travail

L’arrêt de travail a fait l’objet de beaucoup de résistance de la part de certains travailleurs. L’acceptation de la maladie est un processus douloureux pour ceux qui se sont toujours sentis à l’abri de ce type de problème. C’est ce que racontent Donat lorsqu’il se décrit :

Bien, je n’avais jamais été malade, je me suis tout le temps considéré comme une personne forte, même sans prétention là, très forte. J’avais de la misère à admettre ceux qui étaient faibles. Comme directeur, je donnais l’exemple : soyez comme moi, soyez fort! Il n’y a pas de problème, on est capable! J’ai tout le temps émis cette image-là.

Cette image de force et d’invulnérabilité n’est pas seulement le lot des hommes. C’est également ce que raconte Donia :

J’étais la femme qui passe à travers tout. Celle qu’on décrit comme étant capable, puis bonne. Je voulais être vue comme ça. Juste de reconnaître qu’on n’est pas vraiment une femme forte, superwomen, ce n’est pas facile.

Parce que les problèmes de santé mentale sont encore méconnus et empreints de préjugés, les travailleurs mettent parfois beaucoup de temps à consulter leur médecin ou écouter leurs recommandations. Dina raconte la difficulté à faire face à ses collègues : « Je ne voulais pas faire face aux gens, je ne pouvais pas. J’ai toujours été une performante, j’ai toujours été au-dessus des autres puis je me sentais mal que les gens m’aient vue dans l’état où j’étais rendue. »

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Comme le mentionne Donat, c’est son médecin qui a dû insister pour qu’il arrête de travailler, car il remettait constamment en doute le diagnostic :

Je pensais que j’étais physiquement malade. Je ne pensais pas que c’était causé par le stress ou une dépression, je ne le croyais pas. Même le médecin a essayé de me l’expliquer, puis je ne voulais pas écouter. Je n’y croyais pas. Le discours de Donalda va dans le même sens :

Je suis allée voir un médecin, parce que moi j’ai toujours nié que j’étais en épuisement. Je suis une personne très forte, qui a toujours soutenu tout le monde partout, je ne peux pas, moi, être à terre. Je ne peux pas me le permettre et pour l’estime de moi puis tout, on ne peut pas réaliser, on n’a pas le droit de dire qu’on est à terre.

Pour les participants, la rencontre avec le médecin signera le début de l’arrêt de travail. Ensuite, c’est durant la période d’absence que le processus de rétablissement des capacités s’amorce. L’arrêt de travail ne survient pas de la même manière pour tous. Si la plupart des participants (12) ont été retirés pour congé de maladie, certains ont été congédiés (4) alors que d’autres ont démissionné (4) mais tous, en bout de piste, retourneront sur le marché du travail.

La période d’arrêt de travail (nombre de mois) varie d’une personne à l’autre, allant de 4 semaines jusqu’à 18 mois. La moitié des participants se sont absentés du travail pour une courte durée, soit moins de 6 mois. Le tableau 2 suivant montre la répartition des participants selon les modalités de retrait du travail et la durée de l’absence.

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Tableau 2

Répartition des modalités de retrait du travail et de la durée d’absence Modalités de

retrait/durée de l’absence

Moins de

6 mois 6 à 12 mois 13 mois et plus Total

Congédiement 2 1 1 4

Démission aucun 4 1 5

Congé maladie 9 3 aucun 12

Total 11 8 2 21

Il est intéressant de constater que les participants qui ont quitté en congé de maladie prennent généralement moins de temps pour retourner au travail que ceux qui ont démissionné ou ont été congédiés. Déjà, il est possible d’observer des caractéristiques qui distinguent les trajectoires des travailleurs qui ont dû s’absenter du travail en raison d’un problème de santé mentale.

L’arrêt de travail est un moment pour se refaire, se reconstruire. C’est aussi au cours de cette période que les participants expérimentent différents traitements, consultent des professionnels, ont besoin de soutien et se remettent en question tant sur le plan personnel que professionnel.

3.3.1. Le traitement et les professionnels consultés

Pour participer à cette étude, les travailleurs devaient tous avoir reçu une certification médicale signifiant que l’arrêt de travail était en lien avec un problème de santé mentale cliniquement évalué par un médecin. Ainsi chez les travailleurs rencontrés, les premiers professionnels consultés sont leurs médecins, généralement un omnipraticien, qui les suit de longue date. C’est lui qui s’occupe de signer les papiers nécessaires au retrait du travail et qui prescrit une aide de nature pharmacologique pour

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contrôler et diminuer les symptômes de la maladie. Certains ont exprimé leur réticence à prendre des médicaments en espérant que quelques semaines de repos suffisent au rétablissement :

Mon médecin m’avait proposé un médicament, mais je ne voulais pas. J’ai dit: « Je vais attendre, peut-être qu’avec deux semaines pour me reposer je vais peut-être me ressaisir ». Mais, au contraire, les deux semaines que j’ai passées à Noël, j’étais comme un zombie. Je n’étais pas là. J’avais toujours de la misère à dormir la nuit. Puis quand je suis retourné la voir après 2 semaines, je suis reparti encore à brailler. J’ai braillé pendant une heure de temps dans son bureau. Elle m’a dit : « Je vous dis de prendre les médicaments. » Puis c’est ce que j’ai fait.

Mais en bout de piste, seulement deux personnes ont refusé la médication proposée par le médecin; tous les autres ont utilisé le traitement pharmacologique, malgré la réticence de la part de certains.

Ensuite, les psychologues ont été les professionnels les plus consultés, soit par 14 personnes. Certains participants ont même commencé leurs consultations avant leur arrêt de travail pour les aider à surmonter les difficultés qu’ils vivaient. C’est ce que raconte Debora :

Pour essayer de m’aider, je suis allée voir une psychologue. Là je lui ai dit: « Je viens vous voir parce que j’ai un problème au travail puis je veux avoir des succès d’ici septembre. Je veux garder mon travail, ils ne m’auront pas; ce n’est pas vrai, ils ne m’auront pas. Je veux savoir comment agir. »

Pour certains, les frais des consultations en psychologie ont été défrayés par leur assurance ou encore par le programme d’aide aux employés (PAE) alors que d’autres ont dû défrayer les coûts des consultations eux-mêmes. Les travailleurs ont été très discrets

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au sujet de leur thérapie et, pour les plus explicites, ce qui ressort le plus de leur discours concerne l’utilité et la longueur du traitement :

J’ai été suivi par un psychologue. Puis ça a été excellent. Beaucoup de support, très utile. Ça été jusqu’au retour au travail. Ça a été à peu près neuf, dix semaines peut-être.

Pour Dina cela se résume à ceci :

On apprend à penser différemment avec l’aide de la psychologue. On apprend à penser autrement puis à voir les choses autrement. Puis il faut travailler sur nous autres aussi. Il ne faut pas retourner dans les mêmes choses. Avec la psychologue on parlait beaucoup de ce que j’étais pour changer.

Enfin, la troisième personne qui a abordé ce thème évoque également des éléments qui l’aideront à cheminer dans le futur :

Dans ma période noire, j’ai consulté une psychologue. Je me suis rendu à l’évidence qu’il fallait que je fasse un peu de ménage là-dedans et puis ça m’a permis de cheminer d’une façon assez positive, de voir un peu qu’est- ce qui s’est passé puis pourquoi que je suis comme ça. Ça m’a surtout permis de voir le futur d’une façon différente. En connaissant plus ton passé, bien t’es capable de voir plus le futur.

Toutefois, certains travailleurs, comme Donald, ont exprimé leur méfiance face à l’aide offerte par leur employeur : «Donc moi, les douze séances avec le psychologue payées par la compagnie d’assurance, pour moi c’est clair qu’il y a conflit d’intérêt. » Le seul fait que la compagnie soit impliquée dans le processus d’aide les rebutait. C’est ce que révèle Damien lorsqu’il s’exprime sur l’aide fournie par l’entreprise : « Je peux vous dire que dans les premières semaines, j’avais juste à penser à la compagnie, ça me donnait mal au cœur. J’en avais des nausées.»

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À ce stade-ci, déjà plusieurs travailleurs sont en rupture avec leur employeur. Or, pour profiter d’un programme d’aide aux employés, cela suppose que les individus doivent avoir un lien avec l’entreprise. Ainsi, tous les répondants ayant quitté leur employeur ne réunissent plus les critères d’admission aux programmes d’aide et sont souvent laissés à eux-mêmes.

Certains ont eu recours aux services offerts par des centres communautaires, à divers groupes de soutien et autres professionnels. Daphnée relate sa consultation à l’urgence alors qu’elle se sentait désemparée :

J’ai été tellement stressée que je suis rentrée à l’hôpital pas longtemps après. Puis à l’urgence, je braillais tellement qu’ils m’ont suggéré d’aller une semaine dans une maison de repos pour des adultes qui ont des problèmes de santé mentale. Alors ça m’a fait du bien, je me suis reposée un peu.

Pour surmonter cette période cruciale et difficile, les participants ont eu recours à l’aide de professionnels mais aussi, du soutien de leurs proches.

3.3.2. Surmonter l’épreuve, rechercher du soutien Soutien des proches

Lors de la convalescence de leur proche, le conjoint, la conjointe, la fratrie et les amis ont été une source de soutien. Que l’aide apportée soit de nature financière ou psychologique, le fait de pouvoir compter sur un proche est une expérience rassurante pour les travailleurs qui vivent avec un problème de santé mentale. Comme le raconte Denis, le fait que sa sœur profite de ses séjours à Montréal pour venir le voir lui a été

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d’un grand soutien : « Heureusement, j’ai une sœur qui m’a aidé psychologiquement. Elle restait à Québec puis, une fois par mois, elle venait me voir puis elle m’encourageait, elle m’aidait psychologiquement. Psychologiquement et financièrement. »

La femme de Damien qui travaille en pharmacie connaissait bien les effets secondaires des médicaments et a pu être une source de rassurance pour son mari : « Au niveau mental, j’en discutais avec ma femme qui était aussi très ouvert, parce qu’avec sa formation en pharmacie, les Effexor [nom du médicament], elle savait à quoi ça servait. Puis du monde en dépression, elle en avait déjà vu. Donc, au niveau du support, elle a été extraordinaire là. »

Daphnée se souvient que ses amies ne l’ont pas laissée tomber malgré la maladie. Elles se sont occupées de lui changer les idées en lui proposant diverses sorties : « Mais j’avais mes chums de fille aussi qui m’ont aidée beaucoup, deux de mes grandes amies, des filles de mon âge m’ont beaucoup soutenue la fin de semaine. »

Soutien des collègues et du supérieur

Malgré l’ampleur des préoccupations vécues par les participants lors de la période d’absence, peu d’entre eux ont pu compter sur le soutien de leur milieu de travail. En effet, ce sont surtout ceux qui ont effectué un retour au travail chez le même employeur qui ont pu bénéficier du soutien de leur supérieur. De manière générale ce type de soutien est absent. Or, quand il existe, les travailleurs l’apprécient et en retirent des bienfaits « il m’a tendu une perche, ce qui m’a permis d’envisager mon retour à cette compagnie » affirme Damien. « Le seul soutien que j’ai eu c’est mon big boss. Il aurait pu ne rien dire, ne rien faire, bien non, il a voulu me rencontrer juste pour voir comment

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j’allais, pas rien que pour parler de ce qui s’était passé, mais pour prendre des nouvelles. »

Pour Daphnée, sa rencontre avec le directeur a été une source de soulagement et lui a offert l’occasion de s’expliquer et d’être entendue par la haute direction. Toutefois, maintenir le contact avec le travail n’est pas toujours bénéfique pour le travailleur. C’est ce que raconte Dina qui a l’impression de ne jamais avoir vraiment arrêté de travailler :

Je me sentais très coupable d’être chez nous, à la maison, car je le savais qu’il y avait des problèmes au bureau. Il [supérieur immédiat] m’appelait plusieurs fois par semaine, je lui parlais. Des fois j’étais obligée d’ouvrir mon ordinateur pour sortir des fichiers et lui envoyer. Tout ça, c’était un problème.

La réflexion qui habite les travailleurs tout au long du processus leur permet, non seulement de trouver des explications à ce qui leur est arrivé, mais aussi d’élaborer des stratégies pour se reconstruire et se protéger.

3.3.3. Le questionnement des valeurs

Pendant l’arrêt de travail, outre le repos et le recouvrement des capacités physiques, tout un travail de réflexion s’engage. Plusieurs se questionnent sur les événements passés et tentent de comprendre comment ils en sont arrivés là, comme le relate Damien : « Il y a toute une évolution, toute une introspection qui se fait dans le cadre de l’arrêt de travail. » En d’autres mots, l’arrêt de travail permet de mettre de l’ordre dans les idées et de considérer ce qui a été le plus blessé: la personne elle-même.

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Les atteintes à l’identité et au sentiment de compétence

Au-delà de l’arrêt de travail, c’est l’intégrité de la personne qui est atteinte. C’est ce que décrit Désirée : « J’étais tellement blessée et meurtrie. J’ai fait confiance à des gens, je me suis sentie violée dans ma personne. On s’est servi de moi pour me passer par-dessus la tête.» Malgré des conditions difficiles à tenir, plusieurs formulent des critiques sévères envers eux-mêmes où la honte et la culpabilité prédominent. Damien décrit : « Je voyais que c’était un constat d’échec personnel, car je n’avais pas réussi à rencontrer les attentes. » Les commentaires de Dina vont également dans ce sens : « Moi, je prends ça comme un échec parce que, dans le fond, je n’ai pas réussi à remplir le mandat qui était là. »

Le manque de confiance en soi et la perte d’estime de soi ont été nommés par certains participants. Comme le mentionne Daphnée à la suite de sa rupture amoureuse et de son arrêt de travail: « Je le savais que j’avais un manque de confiance en moi et que ça me nuisait beaucoup dans le travail, puis dans beaucoup de choses dans ma vie, […] mais c’était très difficile avec mon conjoint puis, je n’avais plus d’estime de moi, je n’en avais plus. » Dalida aussi révèle comment elle se sentait : « C’est comme une sorte de deuil de se rendre compte que toi tu ne peux pas performer comme ta collègue. C’est ton estime qui en prend un coup. » Pour sa part, Dorianne également fait allusion à la perte de l’estime de soi : « Je fais maintenant attention. Je suis plus aguerrie, car ça m’a posé beaucoup de problèmes, parce que j’ai baissé mon estime de moi. Elle a baissé. J’étais tellement rendue insécure. »

La remise en question des compétences pour réaliser les tâches ou pour occuper le poste ont également été au centre des réflexions pendant l’arrêt de travail. Comme le raconte Damien, le sentiment d’avoir failli à la tâche le fait douter de ses compétences : « Je suis en train de me questionner sur ma compétence personnelle. Est-ce que je suis

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un imposteur dans ce que je suis en train de faire? Est-ce que je suis vraiment capable de réaliser ce qu’on attend de moi? »

Les travailleurs, qui ont connu une mise à pied ou qui ont démissionné, sont ceux qui se sont le plus questionnés sur leur compétence. À la suite de plusieurs évaluations négatives et de demandes d’aide refusées, Dalida raconte:

J’étais souvent évaluée sur le négatif. C’est sûr, ça rentre dedans c’est effrayant. […] Un moment donné, on me dit que je ne suis pas bonne, alors coup donc, je ne suis pas bonne, tu sais! […] Quand on ne se sent pas valorisée dans son travail puis on ne se sent pas appréciée, moi je pense que je suis du type qui n’est pas capable de vivre avec ça.

Pour Dalia, le manque de confiance que lui témoignent ses patrons, à la suite de certaines erreurs qui ont été commises alors qu’elle était en situation de double tâche, lui fait douter de ses compétences : « Je me remets beaucoup en question. Mon potentiel puis ma relation au niveau professionnel, face au travail en général. Je remets tout ça en doute. »

Cette remise en question des capacités a été pour certains déterminante et les a conduits à une rupture complète avec leur domaine de compétence. C’est le cas de Désirée qui remet en question sa capacité de travail dans son domaine : « Je savais que je serais probablement barrée du milieu. J’avais probablement été « brûlée » puisque j’ai fait vingt ans dans ce domaine-là […] alors je pense que je vais faire une croix là-dessus, on oublie ça ce domaine-là. »

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Pour David, le blâme, la détérioration de son état de santé et l’impossibilité d’entrevoir un avenir au sein de sa profession d’ambulancier ne sont pas étrangers à son désir de renoncer à ce métier :

Je serais bien capable de travailler, sauf que toutes les portes sont fermées. Un moment donné, je ne suis plus capable. Je vais me ramasser avec des jobs occasionnels à temps partiel pendant des siècles, en plus, je ne suis plus capable [de travailler] de nuit. J’ai très peu de chance de me retrouver avec un poste à temps plein, fait que ce que j’ai fini par décider que le médical, j’aurais jamais dû faire ça, c’est du temps perdu.

Remise en question de l’importance du travail : se mettre des limites

Le travail occupe souvent une place importante dans la hiérarchie des valeurs des participants. Cependant, l’arrêt de travail en raison d’un problème de santé mentale bouleverse le système de valeurs des travailleurs. Après avoir constaté que plusieurs aspects de leur vie avaient été négligés à cause du travail, le temps est venu de rétablir l’équilibre pour faire de la place à autre chose. C’est ce que raconte David, pour qui le travail d’ambulancier exigeait de longues heures de travail réparties sur différents quarts :

Maintenant, je vais à un rythme de travail très acceptable. Je ne fais pas de temps supplémentaire, c’est très rare, ça ne m’intéresse plus. Mon job, je l’aime bien, mais il y a bien d’autres choses que j’aime dans la vie aussi.

L’importance de circonscrire le temps accordé au travail est aussi une question de santé. Après être allés au-delà de leurs capacités, les participants affirment que maintenant, ils sont plus critiques et s’imposent des limites au travail, comme le relate Dona:

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J’en suis venu à la conclusion que ma vie, ou ce qui en reste, c’est plus important que de se faire mourir comme ça pour le travail. Je me discipline un peu plus. Je me suis fait des horaires normaux. Si j’ai à en faire plus, je ne le ferai pas aveuglément. Je suis plus raisonnable, je ne veux pas tomber dans le même panneau. Non, je ne veux pas abuser de mon corps. Je fais