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Chapitre 4 : Discussion

4.3. L’exploration des possibilités de retour au travail

Entre la période du questionnement et le retour au travail, on observe une période de transition qui débute lorsque les personnes commencent à se mettre à la recherche des possibilités qui s’offrent à eux pour leur retour au travail. D’ailleurs, Bernier (1994) avait nommé cette étape l’exploration des possibles pour distinguer le moment où les travailleurs font l’inventaire des opportunités qui s’offrent à eux avant de reprendre leur activité professionnelle.

L’analyse des résultats permet de comprendre comment le maintien du lien d’emploi, durant la période d’absence, oriente le cheminement des personnes et comment cette exploration des possibilités de retour se réalise de manière différente selon le lien d’emploi. La section qui suit décrit le cheminement des travailleurs lors de la période d’exploration des possibilités de retour en regard du maintien ou non du lien d’emploi durant l’absence.

4.3.1. Revenir au même endroit : lorsque l’organisation du travail fait partie de la réflexion

La période d’exploration débute lorsque les participants commencent à se mettre à la recherche des possibilités qui s’offrent à eux pour le retour au travail. C’est à ce moment que le maintien ou non du lien d’emploi influence le processus de retour puisque les travailleurs placent les caractéristiques de leur travail au centre de leur réflexion. Toutes ces caractéristiques font alors l’objet d’une mise en contexte selon les

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avantages et les inconvénients qui y sont rattachés. Il semble que ce soit un moment opportun pour intervenir, car il n’est pas trop tôt dans le processus et les travailleurs sont réceptifs à l’aide qui peut leur être offerte. D’ailleurs, dans une étude sur la conception et l’implantation d’un programme intégré de soutien au retour au travail, une période est dédiée à l’accompagnement du travailleur et à l’identification d’obstacles et leviers pour le retour au travail (St-Arnaud, Briand, Durand, Corbière, Pelletier & Kedl, 2011b). Dans ce programme, un agent de soutien entre en contact avec l’employé et lui offre un espace de discussion qui permet de « penser » le travail, de mettre des mots sur l’expérience vécue, de discuter des facteurs personnels et organisationnels ayant contribué à la détérioration de son état de santé et de commencer à cibler les besoins du travailleur en matière de retour au travail. Ainsi, lorsqu’il y a le maintien d’un lien d’emploi, cela permet au travailleur de garder le contact avec l’entreprise et de préparer le retour au travail. En effet, l’analyse des résultats a révélé que, pour les travailleurs qui ont l’opportunité de discuter des facteurs qui ont mené au retrait, cela favorise le retour au travail au sein de l’entreprise.

Dans cette étude, l’intervention des supérieurs immédiats dans le processus de retour a été une expérience très positive chez les travailleurs qui en ont eu l’opportunité. En effet, le rôle central des supérieurs immédiats dans le processus du retour au travail a été documenté dans plusieurs études (Caveen et al., 2006, Janssen, Heuvel, Beurskens, Nijhuis, Schröer, van Eijk, 2003; St-Arnaud et al., 2004b; Shaw, Robertson, Pransky & McLellan, 2003; Thorpe & Chénier, 2011). En plus de se sentir soutenus et d’avoir l’opportunité d’exprimer leur point de vue, les travailleurs rencontrés qui ont pu profiter d’un moment privilégié avec leur supérieur immédiat ont pu négocier des arrangements et imposer certaines limites dans l’exercice de leur travail. Cela rejoint les travaux de Nieuwenhuijsen, et al., (2004) sur le rôle central des supérieurs immédiats dans le processus de retour au travail à la suite d’un problème de santé mentale. Les auteurs ont

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montré que le comportement du supérieur lors de l’absence peut favoriser et prédire retour au travail. Une bonne communication entre le supérieur et son employé serait associée au retour au travail à temps plein, sauf pour les personnes qui présentent un haut niveau de symptômes dépressifs. Toutefois, les travaux de Bernier (1994) montrent également que même si elles sont déterminées à retourner au travail, les personnes demeurent en mode d’autoprotection. En contact avec leur état de santé encore fragile, Bernier (1994) mentionne que les travailleurs demeurent prudents dans leurs échanges et vont davantage se protéger en faisant valoir leurs droits comme salariés.

En plus d’avoir l’opportunité d’apporter certains changements à leur travail, la rencontre avec le supérieur immédiat ou un dirigeant de l’entreprise a été un point tournant pour le retour au travail des travailleurs du secteur privé. L’attention portée au travailleur en absence par une personne d’importance au sein de l’organisation a permis d’alimenter le processus de retour. Les personnes se sont senties attendues et davantage motivées à retourner travailler. Selon St-Arnaud et al., (2011a), en plus de permettre au travailleur d’aborder les appréhensions liées au retour au travail et de faire diminuer les craintes liées à ce dernier, la rencontre avec le supérieur immédiat permet de préparer les conditions de retour au travail. Aussi, la rencontre avec le supérieur immédiat et le sentiment d’avoir un contrôle sur les modalités et les conditions du retour au travail sont une source de renforcement du sentiment d’efficacité personnelle du travailleur. Cela va dans le sens des résultats de la présente étude qui montrent que les travailleurs qui ont eu la chance d’organiser leur retour au travail, avec l’aide de leur supérieur, ont préservé leur sentiment de compétence et ont maintenu une certaine confiance en leurs capacités. Comme l’indique Briand et al., (2007), ce type de soutien contribue à l’augmentation de la disposition à s’engager dans le processus de retour au travail. Notre étude montre également que dans une situation de blâme, lorsque le travailleur a été en mesure de donner sa version des faits, de s’expliquer et de se faire entendre auprès de son

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supérieur, cela a redonné confiance au travailleur et a contribué à la protection de son estime de soi.

Toutefois, à lui seul, le maintien du lien d’emploi n’est pas garant du retour au travail au sein de l’entreprise. Selon les résultats obtenus, malgré la présence d’un lien entre l’employeur et l’employé, certains travailleurs ont décidé de quitter l’entreprise. En effet, même si le maintien du lien peut permettre d’apporter des changements et de préparer le retour, en revanche il dévoile au travailleur ce qui n’a pas été fait ou ce qui demeure inchangé. D’ailleurs, cela fait écho à ce que Thorpe et Chénier (2011) affirment en mentionnant qu’en dépit de l’existence de mesures de soutien et d’accommodation mise à la disposition des travailleurs, ces derniers affirment que l’organisation a été peu aidante dans le processus de retour. Cela pourrait s’expliquer par le fait que revenir au travail dans des conditions identiques est une épreuve pour les travailleurs ayant à y faire face. Cela suggère que l’anticipation d’un retour dans les mêmes conditions de travail est un élément à prendre en considération dans le processus. Cela corrobore les données de St-Arnaud et al. (2007) ainsi que de Brenninkmeijer et al. (2008) à l’effet qu’anticiper un retour au travail dans les mêmes conditions, surtout lorsqu’elles ont mené à la dégradation de l’état de santé, est un important facteur de non-retour.

Ainsi, les personnes qui maintiennent leur lien d’emploi durant leur absence vont principalement explorer les possibilités de retour qui s’offrent à eux à l’intérieur des dispositifs de leur organisation. Cependant, plusieurs travailleurs du secteur privé n’ont pas maintenu leur lien d’emploi durant leur absence; ce qui modifie le cheminement emprunté lors de la période de l’exploration des possibles. La section suivante aborde le cheminement de ces travailleurs qui ont dû pousser plus loin leurs démarches d’exploration.

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4.3.2. Dans l’absence du lien: les possibilités à explorer

Pour les personnes qui n’ont pas maintenu de lien d’emploi durant leur absence, la période d’exploration des possibilités a été différente, car ils ont dû élargir leurs perspectives de recherche pour s’ouvrir à de nouvelles opportunités. Certains vont s’engager dans des activités de bénévolat, d’autres dans des loisirs, ou encore, dans une formation académique ou même s’engager dans de petits emplois temporaires afin de reconstruire leur avenir professionnel. Le point commun de ces activités est la recherche d’une activité moins exigeante qui offre la possibilité de se reconstruire une estime liée au travail et de retrouver la confiance en ses capacités. Pour ces travailleurs, cette étape semble avoir été essentielle à la reconstruction de leur capacité de travail. À titre de comparaison, ces activités semblent servir d’entraînement progressif au retour au travail. En effet, dans leur démarche de retour thérapeutique au travail, Durand et Briand (2011) font état d’un mécanisme d’entraînement permettant au travailleur de retrouver sa capacité et sa performance à la suite d’une période d’absence (Durand & Briand, 2011).

Cet entraînement au travail trouve également son équivalent dans les programmes d’emploi de transition offerts à la clientèle ayant des troubles mentaux sévères. Ces programmes sont conçus en vue d’aider à se familiariser avec le travail et leur but ultime est que les clients acquièrent un certain degré de confiance en eux-mêmes afin d’obtenir un emploi sur le marché du travail ordinaire (Marrone, 1993 ; Marrone, Balzell & Gold, 1995). En ce qui concerne les personnes s’étant absentées du travail en raison d’un problème de santé mentale, l’objectif de la période d’exploration n’est pas d’obtenir un emploi sur le marché ordinaire, puisqu’elles y sont déjà parvenues dans le passé, mais bien de renouer avec ce dernier et de se rebâtir la confiance nécessaire pour y retourner.

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Cette manière d’envisager le travail et de s’y entraîner influence grandement le cheminement des personnes rencontrées dans le cadre de cette l’étude. D’une part, le travail est envisagé dans un nouvel environnement de travail et d’autre part, l’inventaire des opportunités n’est plus restreint au seul milieu de travail mais s’ouvre à une multitude de possibilités. Comme le mentionne Denave (2006), les travailleurs sont motivés à se sortir d’une impasse ou d’une insatisfaction au niveau du travail et ils sont ouverts à saisir les opportunités qui s’offrent à eux.

Ainsi, la période d’exploration des possibles est décisive en ce qui concerne le retour au travail, dans le sens où elle va teinter la suite du cheminement des travailleurs. Plus l’exploration est importante, plus les changements qui l’accompagnent le seront également. La fin de cette période survient lorsque le travailleur se sent prêt à s’engager à nouveau sur le marché du travail, lorsque la période d’absence est belle et bien terminée.

4.4. Le retour au travail : de la continuité à la discontinuité