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Chapitre 3 : Les résultats

3.1. Portrait des participants

Au total, les entretiens de 21 travailleurs (12 femmes et 9 hommes) ayant effectué un retour au travail, à la suite d’un problème de santé mentale, ont été analysés. Les participants sont âgés de 28 à 58 ans avec une moyenne de 49 ans. Tous les travailleurs interrogés proviennent du secteur privé et la distribution selon les catégories d’emploi est la suivante : trois cadres, deux professionnels, six techniciens, six employés de bureau et quatre ouvriers. Les hommes sont plus nombreux à occuper des postes de cadre, tandis que les femmes prédominent dans les occupations de bureau. Toutefois, on

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n’observe aucune différence entre les hommes et les femmes en ce qui concerne le niveau de formation. Malgré cette segmentation, il n’y a pas de différence entre le niveau de formation atteint par les individus des deux sexes.

Tableau 1

Répartition des participants selon leur genre et leur catégorie d’emploi avant de s’absenter du travail

Catégorie d’emploi Hommes Femmes

Ouvriers et employés de

bureau 3 7

Techniciens 2 4

Professionnels et cadres 4 1

Total 9 12

3.2. Les éléments qui précèdent l’arrêt de travail

La grande majorité des travailleurs rencontrés ont fait mention de difficultés vécues dans le cadre de leur travail pour rendre compte de la détérioration de leur état de santé et de leur arrêt de travail. Plusieurs ont également rencontré des difficultés dans leur vie personnelle qui ont contribué à la fragilisation de leur état de santé. Les sections qui suivent décrivent ces principaux événements à travers une sélection de différents extraits qui représentent leur expérience.

3.2.1. Difficultés professionnelles

Les difficultés vécues dans le cadre du travail occupent une place importante dans le discours des participants. Que ce soit par l’expression d’un événement marquant ou de la superposition de plusieurs, certains aspects du travail ont été rapportés comme étant particulièrement difficiles à vivre pour les participants. Ces difficultés professionnelles

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concernent principalement le « trop de travail », le contexte de réorganisation et de fusion d’entreprise, les situations de conflits ou de harcèlement avec un supérieur ou un collègue, les blâmes et les sanctions disciplinaires.

Le « trop de travail»

Plusieurs employés rapportent avoir été confrontés à une surcharge de travail qui s’est traduite par le sentiment d’avoir trop donné, de s’être investi corps et âme au travail jusqu’à l’épuisement. Le « trop de travail » caractérise l’histoire de Donat qui, après la restructuration de l’entreprise, est passé de superviseur de la production à directeur de production. Cette nouvelle fonction s’est tout simplement ajoutée à celle qu’il occupait déjà. En plus de conserver la gestion des employés de l’usine, il devait maintenant coordonner les activités de l’usine au niveau international. Un travail considérable qui exigeait une présence constante et le sollicitait à toute heure du jour et de la nuit :

L’entreprise m’en a remis de plus en plus. C’était devenu un emploi qui était 24 heures par jour, sept jours semaine. Mes clients étaient en Europe et avec le décalage horaire, on pouvait m’appeler la nuit. En plus, mes employés m’appelaient la nuit aussi. Ça n’arrêtait jamais. L’accumulation, au fil des années, même si je la niais, commençait à m’affecter.

Le « trop de travail » peut aussi découler du départ d’un collègue de travail. C’est ce que raconte Doris qui, à la suite de la mise à pied de la réceptionniste, a dû prendre la relève en attendant l’embauche d’une remplaçante qui n’est jamais arrivée. Malgré le cumul des fonctions, Doris sent que sa surcharge n’est pas prise en compte. Au contraire, on lui reproche de prendre du retard : « On m’a donné le travail de la réceptionniste en plus du mien. Après ça il disait que mon travail prenait du retard. Même si j’avais beau leur dire que je faisais l’ouvrage de deux… Aucune compréhension, on m’en mettait encore. »

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Cette expérience est aussi rapportée par Dalia qui a dû faire face à une importante surcharge de travail à la suite d’une réorganisation du travail et du départ de ses collègues :

Là, au mois de mai deux gars de l’entrepôt sont partis. Ensuite, la représentante a aussi quitté. Au mois de juin, c’est ma collègue qui a donné sa démission. Bien là, moi, je me retrouvais toute seule. Il a fallu que je gère l’été toute seule. Puis en plus les patrons me disent qu’ils n’engageront pas. Déjà, on se tapait des 40 soumissions chacune par jour; bien là ça veut dire que je m’en tapais 80 par jour. J’ai fait des heures supplémentaires, il y a des matins que je rentrais à six heures et demie puis je quittais à sept heures le soir.

De son côté, Dina se voit parachutée dans une nouvelle fonction durant la pire période de l’année. Sans formation, elle devait assumer les exigences d’un nouveau poste qui demandait déjà de longues heures de travail par semaine :

Ça commençait en novembre puis ça devait se terminer en mars. Par contre, la personne qui était là avant était expérimentée et faisait le travail en 70 heures par semaine. Moi, pas de formation, je ne connais absolument rien à ce travail-là, c’est sûr que ça ne peut pas me prendre 70 heures. Ça m’a pris beaucoup plus que ça, parce que je devais chercher, tout apprendre.

Changements, réorganisations, fusions

D’autres participants ont, pour leur part, vécu des changements découlant de réorganisations ou de fusions d’entreprise. C’est le cas de Damien qui a vu son entreprise rachetée par une multinationale et son poste a été scindé en deux divisions hiérarchiques. Pris entre deux chaises, Damien s’est retrouvé dans le flou d’une double direction avec peu d’autonomie et des attentes de résultats élevées :

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Ça a toujours été un poste un peu bizarrement décrit, avec des fonctions plus ou moins claires avec deux patrons, deux façons de faire, deux lignes hiérarchiques pas claires. On dirait que c’est un poste qui ne servait pas à grand-chose, puis j’ai toujours été un peu en porte-à-faux, par exemple, par rapport à la compagnie à travailler avec ce poste-là.

Petit à petit, cette situation ne tient plus la route et Damien n’arrive plus à rencontrer les nouveaux standards de production toujours plus élevés : « Je voyageais beaucoup, beaucoup. On me demandait d’être imputable des résultats des usines alors que je n’avais pas l’autorité sur les travailleurs que je rencontrais. Ça fait que je me ramassais quasiment dans un cul-de-sac. »

Pour Devon, cadre dans une entreprise, le coup de grâce survient à la suite d’une grève durant laquelle il a tenté, tant bien que mal, d’en réduire les impacts en assumant diverses fonctions au sein de l’entreprise. Ainsi, au lieu de prendre ses vacances, il est resté à son poste de cadre en plus de prendre les tâches des employés qui étaient en grève. Ses efforts pour soutenir l’entreprise ne l’ont pas protégé des coupures de postes qui ont été effectuées à la suite du conflit de travail : « Et ce qui devait arriver arriva. Quand la grève fut terminée, on a refait une évaluation des postes. Étant donné que j’avais réalisé mon mandat, que mon job était fait, on n’avait plus besoin de moi. Ils ont fait un ménage puis on était quatre ou cinq qui ont été limogés. »

L’absence de formation et le manque de suivi à la suite de changements au sein de l’entreprise créent une situation particulièrement difficile à supporter pour Donald. L’entreprise pour laquelle il travaille vient d’implanter la norme ISO-9002 relative à la gestion de la qualité publiée par l’Organisation internationale de normalisation et il se retrouve démuni devant cette nouvelle façon de procéder :

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Le vendeur et le représentant sont venus, puis à un moment donné j’avais ça sur mon clavier : Procédure en quatre pages sur 71 points. Aucune formation, aucune réunion, rien. Ça été mal intégré, il y a des problèmes, on ne s’en occupe pas. Comment voulez-vous ne pas venir fou là-dedans? On a les procédures ISO pour les fichiers, mais j’ai aucune idée comment ça marche, ces choses-là.

Cette situation crée des tensions au sein des équipes de travail. Ne sachant plus comment produire les documents et devant se plier aux exigences de deux superviseurs qui, eux, ne s’entendent pas sur l’application des procédures, la table était mise pour que Donald sombre, petit à petit, dans un état d’amertume et d’épuisement. S’ajoute à cela l’arrivée de nouvelles technologies qui contribuent à faire augmenter la pression au quotidien :

En plus, les ordinateurs aussi ça change. En seize ans, je pense que je dois être rendu à pas loin de dix ordinateurs différents. Là, on n’est pas informé, on n’a pas de réunion pour parler de nos besoins, pas de formation pour se mettre à jour.

Pour Debbie, ce sont les changements d’horaires, les nouvelles affectations, les pratiques de surveillance et la crainte d’avoir à augmenter ses heures de travail qui ont été ses sources de difficultés au travail :

Son plaisir, c’était de nous changer d’horaire continuellement. Il chambardait tout le monde. Il changeait les horaires des pauses aussi, il aimait ça tout chambarder là. Puis il me promenait, en plus! Quand ce n’était pas assez occupé, il nous affectait à un autre endroit. Je passais mon temps à monter et à redescendre d’un comptoir à l’autre. Des fois, je changeais trois fois de place juste le matin. Puis un moment donné, ça m’insécurisait, parce qu’il voulait me faire travailler cinq jours semaine au lieu de quatre.

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Situations de conflits et de harcèlement

Sur le plan émotionnel, les conflits avec un supérieur ou un collègue de travail sont toujours difficiles à vivre. Le cas de Debora illustre bien comment les comportements de certains collègues ont pu affecter son état de santé. Alors qu’elle se sent appréciée des clients, Debora se sent surveillée par sa patronne : « Elle essayait de me prendre en défaut. Elle me faisait toujours des reproches. » En effet, le poste qu’elle a obtenu était également convoité par une de ses collègues. Déçue de ne pas avoir obtenu le poste, cette dernière ne cessait de reprendre Debora et de se plaindre à sa chef d’équipe : « C’était une fille très dure, très harcelante. En plus, j’avais une chef de service qui avait peur de cette fille-là et qui ne se tenait pas debout. »

Les problèmes peuvent aussi survenir lorsque la nature même du travail entre directement en conflit avec celle d’autres travailleurs. C’est ce qui caractérise le cas de Derek qui travaille dans une agence de sous-traitance dans un département de livraison. Un conflit s’installe entre les travailleurs affectés aux contrats de sous-traitance et les employés syndiqués réguliers. Les employés syndiqués craignent que les performances de l’équipe de Derek, en contrat de sous-traitance, deviennent les nouvelles normes de production. Des moyens de résistance s’organisent et la tension monte entre les employés de la sous-traitance et les employés syndiqués jusqu’aux menaces et aux coups :

Il m’a engueulé sur le bord de la porte, il m’a menacé, il m’a poussé dans l’encadrement de porte, il me donnait des coups sur la poitrine en me criant après. Il m’a poivré bien comme il faut là. Il me menaçait en me disant que j’aurais du trouble à l’avenir, mais c’était toujours en sous-entendu.

Victime d’agressions (verbale, physique et psychologique), la situation s’envenime et Derek se trouve isolé de ses collègues de travail qui craignent de subir le même sort.

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La situation atteint son niveau critique lorsque des employés syndiqués le menacent et tentent même de le blesser. Incapable de porter plainte, se sentant impuissant, complètement isolé et abandonné par sa direction, Derek va sombrer dans le désespoir et aller jusqu’à la tentative de suicide :

Je voyais, en fin de compte, que c’était vraiment la guerre entre l’entreprise puis l’agence. Puis que moi, comme j’étais le frère de l’employeur, j’ai été comme le bouc émissaire entre les syndiqués puis l’agence. On s’est servi de moi pour nous taper sur la tête.

Portée devant la commission de la santé et la sécurité du travail (CSST) pour harcèlement psychologique, la cause de Derek aura finalement gain de cause mais, le mal est déjà fait. Derek aura à se reconstruire d’une difficile expérience où il s’est senti utilisé, menacé et trahi par son milieu de travail.

Le blâme

Se faire juger négativement par un supérieur est une expérience douloureuse pour les participants qui l’ont vécue. Le blâme, qui se concrétise souvent par des commentaires négatifs, des avertissements disciplinaires ou encore une suspension, demeure un événement marquant pour les travailleurs qui en ont fait l’expérience. Comme le raconte David, le sentiment d’impuissance et d’incompréhension qui prédomine lorsque le jugement négatif tombe, ce fut la « la goutte qui a fait déborder le vase » d’un climat de travail déjà empreint de méfiance et de malentendus. Après sa période de suspension, il n’est jamais retourné travailler comme ambulancier :

Un moment donné, il est arrivé un événement dans l’ambulance que je n’ai pas réussi à ramener. J’ai été blâmé et le gars qui travaillait avec moi a conté des menteries à tour de bras. Je n’ai même pas eu l’occasion de me défendre, c’est sa version qu’ils ont crue. Je n’ai pas eu un mot à dire là-

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dessus. Quand ils m’ont fait passer dans le bureau pour me poser des questions, la lettre de suspension était déjà dans les mains du superviseur et puis j’étais d’ores et déjà suspendu.

3.2.2. Difficultés personnelles

Des problèmes d’ordre personnel tels que la maladie, une séparation ou des difficultés financières ont également été mis de l’avant par les participants pour rendre compte de situations difficiles vécues avant l’arrêt. Même si elles ne sont pas nécessairement la principale cause de l’arrêt de travail, elles contribuent à l’effritement des espaces de récupération souvent nécessaire pour répondre aux exigences du travail.

C’est ce dont témoigne Devon pour qui l’annonce consécutive du cancer de sa mère et de sa sœur est venue l’affecter dans son travail : « À un moment donné je tremblais. Au bureau, j’avais de la misère à tenir ma tasse ou bien à me concentrer. T’es agressif, t’as plus de patience. »

Dans le cas de Didier, c’est le cumul des difficultés personnelles et professionnelles qui l’a mené à l’épuisement à la fois physique et mental : « Je suis le seul revenu à la maison. Ma femme, qui est malade, reste à la maison, fait que je travaille avec la maladie chez nous. » Au travail, il a vécu des compressions, puis le poste qu’il partageait avec un collègue, lui a été entièrement confié : « Avant, mon ouvrage, on le faisait à deux, mais maintenant, c’est moi qui opère la machine puis c’est moi qui emballe en même temps, ça fait que c’est assez dur physiquement. » Cette situation de double contrainte a eu des répercussions sur sa santé physique et mentale.

L’exemple de Daphnée montre comment des difficultés personnelles peuvent interférer avec le travail et créer des situations conflictuelles. Après une rupture

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amoureuse qui laisse des traces, un déménagement qui épuise et le maintien d’un double emploi pour boucler ses fins de mois qu’elle assume maintenant seule, Daphnée raconte comment ces événements l’ont perturbée et ont eu des effets sur son travail et ses relations avec ses collègues : « J’arrivais souvent en retard à mon travail le matin parce que je dormais tellement mal à cause que j’étais peinée de ma rupture avec mon conjoint. Je me sentais dévalorisée complètement, puisque je dormais très mal. » Le manque de sommeil et les difficultés de concentration sont, selon Daphnée, à l’origine d’une série de petits oublis et plus tard, d’erreurs de sa part, ayant mené à un conflit avec un collègue, puis à une suspension.

Le problème se présente différemment lorsque la charge familiale exige que les deux parents travaillent. Pour Donalda, qui décide de rentrer au Québec après 6 ans de travail à l’étranger, la situation ne peut être envisagée autrement:

Bon, de retour il a fallu que je cherche un emploi. J’ai aussi vu le médecin et il m’a dit : « Je pense que t’es trop fatiguée ». Mais, en tout cas, je lui ai dit : « Écoute, je n’ai pas le choix de travailler! J’ai deux enfants à faire vivre et, sans emploi, impossible. »

Malgré la connaissance de son état dépressif (elle avait été diagnostiquée alors qu’elle était encore à l’étranger), elle réussit à se trouver un emploi dans une institution scolaire privée, mais dans des conditions de travail relativement exigeantes :

À l’école, les ordinateurs fonctionnent à moitié, on n’a pas de bibliothèque. Sur l’heure du dîner, on surveille nos élèves au lieu d’avoir un service de garde. Un matin par semaine on rentre à sept heures et demie pour faire le service de garde. On fait beaucoup plus qu’une seule tâche. En fin d’année, pour diminuer l’impact d’un départ, j’étais titulaire de deux classes, je m’occupais un peu de tout. En plus, avec le directeur on avait souvent des

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petits conflits, ça arrivait, mais moi j’étais en épuisement, monsieur était en épuisement, il est sur médication, moi aussi […].

Sa santé fragile, jumelée aux exigences de sa tâche, représente une situation particulièrement risquée pour sa santé mentale et ce, malgré tous ses efforts. Elle n’est pas seule dans ce genre de situation, puisque le tiers des participants ont mentionné s’être déjà absentés du travail pour des raisons de santé mentale. Aussi, même si certains reconnaissent que le travail a joué un rôle dans la détérioration de leur état de santé, certains questionnent leur vulnérabilité et en viennent à douter d’eux. C’est ce que raconte Dalia après son deuxième arrêt de travail:

Coup donc, c’est la deuxième fois que la même situation revient puis je me dis : Est-ce que c’est moi qui crée ça quelque part? Est-ce que c’est inconsciemment puis je ne m’en rends pas compte? Est-ce que j’étais rendue à un niveau de stress trop élevé pour ce que moi je suis capable de gérer?

Désirée pense que des traits de sa personnalité sont probablement responsables de toute la pression qu’elle se met sur les épaules :

Je suis une personne excessivement organisée, peut-être trop perfectionniste, c’est peut-être ça aussi qui me mène à l’épuisement. Mais moi ça me dérange si ça ne fonctionne pas bien. Fait que j’en prends trop, effectivement, j’en prends beaucoup trop dans ma tâche.

Que ce soit dans des contextes personnels ou professionnels, les participants ont expliqué comment, petit à petit, les signes de la maladie sont apparus. Malgré ces conditions très variées, la santé des travailleurs s’est détériorée et elle affecte maintenant leur capacité de travail. Tous, sans exception, cheminent vers un arrêt et vont devoir s’absenter.

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