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Le retour au travail : de la continuité à la discontinuité

Chapitre 4 : Discussion

4.4. Le retour au travail : de la continuité à la discontinuité

possibilités est un moment déterminant dans la reprise de l’activité professionnelle. En fait, la décision de revenir ou non au sein de la même organisation est déjà amorcée lors de cette étape; autrement dit, le retour au travail est en fait une configuration des cheminements déjà observés chez les travailleurs. Cette étude a permis d’identifier quatre différents cheminements de retour au travail selon s’il y a continuité ou non avec l’organisation et la tâche.

Le premier cheminement est celui de la continuité, tant au niveau d’un retour au travail chez le même employeur qu’au maintien des mêmes fonctions et de la même

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tâche. Autrement dit, les personnes reviennent au même poste que celui occupé avant l’arrêt de travail. Dans ce genre de cheminement, il semble que la maladie et l’arrêt de travail figurent comme un accident de parcours ne faisant pas dévier la trajectoire initiale. Pour ces personnes, le sens attribué à l’arrêt de travail et à la maladie ne fait pas office d’un événement déclencheur susceptible de modifier leur trajectoire. Cependant, il faut nuancer ces résultats. Ce n’est pas parce que le retour se fait en continuité que cela signifie qu’il est plus facile. Revenir au travail au même endroit signifie faire face aux mêmes conditions et aux mêmes collègues qui ont été témoins ou acteurs du processus de désengagement du travail. Cette situation peut présenter un obstacle pour les travailleurs qui effectuent un retour.

Le second cheminement n’est pas si éloigné du premier, mais on observe une nuance importante. En effet, à travers son retour au sein de la même organisation, le travailleur vit une forme de rupture dans sa tâche; par exemple, il n’a plus à faire la gestion du personnel. Cette rupture est possible lorsque des changements ont été apportés dans le travail, mettant ainsi à distance des éléments irritants pour le travailleur. En fait, il est maintenant connu que la possibilité de revenir chez le même employeur, tout en bénéficiant de certaines mesures de soutien, facilite le retour au travail et la reprise de l’activité professionnelle. Ces résultats vont dans le sens de ceux obtenus par Brenninkmeijer et al., (2008) à savoir que le fait de changer la tâche de l’employé ou d’y apporter des modifications est la seule mesure organisationnelle qui a des effets positifs sur la diminution des symptômes dépressifs. De même, l’étude menée par Blank et al., (2008) auprès de travailleurs s’étant absentés du travail en raison d’un problème de santé mentale, montre que les interventions liées au travail, comparativement à celles qui se concentrent uniquement sur les individus, favorisent le retour au travail chez les personnes qui se sont absentées moins de 6 mois en raison d’un problème de santé mentale.

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Les troisième et quatrième cheminements de retour au travail sont caractérisés par une rupture avec l’organisation. Dans ces types de cheminements, les travailleurs ont décidé de démissionner ou bien se sont fait licencier et ont connu un épisode de précarité financière. Ils ne font pas figure d’exception, puisqu’une enquête québécoise a récemment révélé qu’environ le quart des travailleurs qui s’absentent du travail en raison d’un problème de santé mentale ne reçoivent aucun revenu durant leur absence et que 22 % reçoivent une compensation de l’assurance emploi laquelle ne représente que 55 % du salaire (Vézina et al., 2011). Malgré tout, pour ces travailleurs la précarité est le prix à payer pour reconquérir leur santé mentale et leur capacité de travail. Toutefois, il faut être prudent lorsqu’on aborde le thème de la précarité car, en dépit de l’objectif premier poursuivi par les travailleurs, la précarité peut entraîner d’autres risques pour la santé mentale. En effet, simplement de se percevoir dans des conditions précaires est associé à une moins bonne santé physique et mentale (Benach, Muntaner & Santana, 2007). De plus, le statut d’emploi précaire est associé à un plus faible niveau d’accès à des avantages sociaux et à des conditions de travail favorables à la santé (Cloutier, Lippel, Boulianne & Boivin, 2011).

Une autre particularité de ces cheminements est que le nouveau départ est difficile à réaliser puisque la reprise des capacités fonctionnelles se fait progressivement à la reprise du travail. Or, les travailleurs doivent reprendre leur activité professionnelle à titre de nouvel employé, peu importe leur degré de récupération et en dépit de leur vulnérabilité. Ils n’ont pas accès au retour progressif au travail, qui est reconnu comme étant une mesure essentielle pour soutenir le rétablissement et la récupération des capacités fonctionnelles (Durand & Loisel, 2001). Cela s’ajoute aux conditions de travail précaires et à l’insécurité d’emploi vécue dans les cas de rupture avec l’employeur.

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Concernant spécifiquement le troisième cheminement, malgré une rupture avec l’employeur, les travailleurs ont effectué un retour dans le même domaine souvent pour y effectuer le même type de tâche. L’analyse des résultats suggère que ces travailleurs semblent avoir conservé leur savoir-faire et ont préservé leur sentiment de compétence et d’estime de soi, ce qui semble favoriser le retour au travail dans le même type d’emploi. Selon Mègemont et Baubion-Broye (2001), les personnes qui sont en transition professionnelle redéfinissent leur identité selon leurs liens d’appartenance. Pour ce faire, ils revisitent leur parcours existentiel et fonction des choix qui prolongent ou contredisent leur parcours. Dans le cas des travailleurs qui ont quitté leur employeur, il semble que le choix s’est fait à mi-chemin entre les deux, puisqu’ils ont décidé se poursuivre dans le même domaine d’expertise tout en s’engageant dans une nouvelle organisation.

Enfin, le dernier cheminement est celui de la double rupture. Non seulement les travailleurs quittent l’entreprise, mais ils s’engagent dans un processus de réorientation professionnelle. Ce cheminement en double rupture, majoritairement observé dans le cadre de cette étude, semble beaucoup plus rare que ce qui a été observé par Bernier (1994) et St-Arnaud et al., (2003; 2004b) dans leurs recherches menées auprès d’employés œuvrant dans les secteurs publics et parapublics. Ces résultats suggèrent que les dispositifs d’aide et de soutien au retour au travail sont différents d’un endroit à l’autre. La présence syndicale prédominante dans les secteurs publics et parapublics par rapport au secteur privé, soit respectivement 82,2 % et 26,3 % (Institut de la statistique, 2011) pourrait rendre compte des différences observées entre les études. En effet, l’accès à des mesures de couverture salariale en cas d’absence est souvent négocié à même les conventions collectives et la présence syndicale protègerait les travailleurs de mesures discriminatoires en matière de réinsertion au travail (Baril & Berthelette, 2000). De plus, les mesures d’accommodation et de soutien au retour ne sont pas toujours offertes de la

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même façon aux personnes aux prises avec un problème de santé mentale et des divergences subsistent entre les organisations. C’est ce que révèle une étude canadienne menée auprès de 1010 personnes qui se sont absentées du travail à la suite d’une lésion physique ou psychologique. Les données ont révélé que 31 % des personnes interrogées qui ont déclaré avoir vécu un problème de santé mentale auraient voulu bénéficier de mesure d’aide, mais n’en n’ont reçu aucune (Thorpe & Chénier, 2011).

Le cheminement en double rupture apparaît comme étant le cheminement le plus difficile puisque les personnes doivent reconstruire complètement leur l’avenir professionnel. Cependant, pour un certain nombre d’entre eux, cette expérience difficile va se transformer en un tremplin vers de nouvelles opportunités. En effet, certaines personnes arrivent à vivre cette double rupture tel un « heureux concours de circonstance » (Hélardot, 2010, p.166). Pour eux, la maladie semble faire office d’élément déclencheur et l’arrêt de travail va leur permettre de se dégager les marges de manœuvre nécessaires pour repenser leur situation professionnelle et se soustraire d’une situation insoutenable. Ce basculement dans le parcours professionnel s’avère une voie d’entrée vers un nouvel avenir. C’est particulièrement le cas des personnes qui ont suivi une formation avant de retourner au travail.