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Synthèse des résultats obtenus en population adolescente

II MATERIELS ET METHODES

IV. DISCUSSION GENERALE

IV.2 Synthèse des résultats obtenus en population adolescente

Nos travaux auprès des adolescents ont permis d’enrichir la littérature existante sur quelques points. D’abord, en articulation avec l’étude des jeunes adultes, nous avons pu montrer l’existence d’une continuité du schéma général d’association entre gradient social et usages de drogues, licites et illicites, tout au long du cycle de vie : les effets observés à l’âge adulte existent au début de celui-ci, mais sont déjà présents à l’adolescence. Ainsi, globalement, nos travaux montrent que les adolescents des milieux modestes sont plus concernés par les usages quotidiens et ou problématiques de produits psychoactifs (alcool, tabac et cannabis) que ceux des milieux favorisés. Toutefois, nous avons également montré que ces derniers expérimentent plus souvent l’alcool ou le cannabis, et étaient plus nombreux à en consommer lorsqu’il s’agit d’usages peu fréquents. Nos travaux sur l’alcool et le cannabis, mobilisant de nombreux indicateurs, ont ainsi pu montrer que l’association entre milieu social et niveau d’usage de drogues variait et même s’inversait avec l’intensité des usages. Ils montrent également plus généralement que l’adolescence ne peut être considérée homogène et abstraite des conditions de vie familiales même pour les usages de produits aussi répandus que l’alcool et le tabac.

Relativement à la population adulte, il existe toutefois une différence de taille : si les usages sont bien plus répandus parmi les garçons que les filles, les effets du statut socioéconomique familial sur ces consommations sont pratiquement identiques pour les deux sexes. En effet, seuls quelques OR liés au sexe masculin présentés pour la consommation régulière d’alcool (figure 9), pour les ivresses régulières (figure 10) apparaissent significatifs dans des analyses multivariées, montrant une tendance à une surconsommation masculine plus marquée dans les milieux populaires et parmi les familles d’agriculteurs que parmi les cadres. Ceci contraste avec ce qui est observé au sein des 18-25 ans où les étudiants présentent des usages nettement plus entre hommes et femmes que les travailleurs ou les chômeurs, et où même le statut étudiant joue des rôles opposés pour les femmes et

toutefois des indicateurs différents, aussi bien pour le statut socioéconomique que pour les usages de drogues, ce qui rend la comparaison assez délicate.

Nous avons également souligné que la consommation supérieure de produits des garçons relativement aux filles est peu sensible pour ce qui est de l’expérimentation (de tabac, d’alcool et de cannabis) et des usages peu fréquents (de cannabis et d’alcool) mais devient très rapidement importante à mesure que l’on observe des fréquences d’usages plus élevées ou des usages plus problématiques.

Parallèlement, nous avons souligné que la situation scolaire jouait un rôle important dans le processus de transition vers des usages plus intensifs. Ce résultat suggère que les indicateurs de redoublement mais surtout de sortie du système scolaire pourraient bien constituer des éléments de statut socioéconomique propre à l’adolescence comme cela avait été souligné dans le contexte américain (Glendinning et al., 1994).

Les critiques que l’on peut faire à ces travaux sont nombreuses. Nous avons enrichi la description des carrières d’usage de drogues ou bien certaines versions de la théorie de l’escalade67

par la mise en évidence de l’influence différentielle du milieu économique et social à l’adolescence. Mais il n’en reste pas moins que notre approche séquentielle ou rétrospective souffre de lacunes importantes, notamment parce que les étapes décrites sont grossières, leur nombre dans la carrière d’usage réduit à deux et que très peu de variables biographiques étaient disponibles. Il conviendrait par ailleurs de développer pour la suite des analyses mettant en évidence les facteurs qui jouent différemment sur les progressions vers des usages plus intensifs suivant le milieu social : nous avons déjà mis en évidence que l’effet des difficultés scolaires apparaissait plus délétère au sein des milieux favorisés que parmi les autres pour ce qui est de la consommation de tabac et de cannabis.

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Théorie controversée qui postule que les expérimentateurs d’un produit licite augmentent graduellement leurs fréquences d’usage puis passent à un produit illicite et reproduisent ce schéma vers des drogues toujours plus dangereuses. Les séquences observées sont bien celles prédites par la théorie, mais le caractère causal de la prise d’un produit sur la prise d’un autre est très largement discuté. L’existence de facteurs génétiques, psychologiques ou sociaux sous-jacents est fréquemment évoquée, de même que l’accessibilité des différentes drogues et les normes en usages dans les sociétés : alcool, tabac, cannabis et autres produits illicites sont présents à des niveaux différents suivant les pays, et expérimentés à des âges variables. La carrière typique peut donc largement varier d’un pays à l’autre : (Degenhardt, Dierker, Chiu et al.)

Mais d’autres questions pourraient par exemple trouver une réponse : le rôle de la consommation des parents est-il le même dans tous les milieux ?

Nos travaux soulignent la nécessité de chercher les mécanismes (familiaux, motivationnels et scolaires) susceptibles d’être à l’œuvre au sein des familles favorisées, qui freinent la progression vers des consommations plus fréquentes ou mènent à la cessation des usages. Les travaux qualitatifs menés à l’OFDT autour du volet parisien de l’enquête Escapad soulignent que l’attachement à la réussite scolaire et la projection dans l’avenir pourraient être des clefs importantes (Spilka et al., 2010). Dans le questionnaire du volet parisien 2010 et dans celui de l’enquête nationale de 2011, l’ajout d’un questionnement sur le souhait de faire des études supérieures est un premier pas dans cette direction mais des questionnaires d’attachement à l’école et de soutien parental à la réussite scolaire pourraient se révéler utiles pour approfondir cette investigation.

La description plus fine de la population des adolescents de milieux modestes semble nécessaire, car la dimension culturelle, notamment relativement à l’évitement de l’alcool, pourrait bien expliquer une partie des résultats paradoxaux observés (rareté relative des usages peu fréquents, mais abondance relative des déclarations d’usages plus intensifs). L’inclusion de questions relatives à l’origine ou bien aux motivations religieuses ou familiales d’évitement des produits serait un plus. Un pas a été fait en ce sens par l’inclusion de questions motivant le refus de la consommation dans l’édition parisienne de l’enquête Escapad 2010. Mais une description simple des représentations de l’alcool et de sa tolérance dans le milieu familial serait déjà un élément intéressant.

Figure 18 : Schéma des trajectoires d’usages de tabac et de cannabis à l’adolescence en fonction du statut socioéconomique familial

Légende :

Dans la partie supérieure, en noir, le schéma pour les adolescents des familles au statut économique et social (SES-F) élevé

Dans partie inférieure, en gris, le schéma pour les adolescents de familles au SES-F faible.

L’épaisseur des flèches indique la force des liaisons. Les liaisons négatives (OR significativement inférieurs à 1) sont en pointillés.

Les liens réciproques entre cannabis et tabac ne sont pas représentés.

Ce graphique résume les analyses de survie séquentielles abstinenceÆexpérimentation, expérimentationÆusage quotidien. Il ne représente pas un modèle structural.

Dans le cas de l’alcool et du cannabis, en retenant le même type de schéma conceptuel, même si les analyses ne sont pas longitudinales mais transversales, il est possible de proposer le résumé suivant :

SES-F élevé

SES-F faible

Expérimentation Usage quotidien

Redoublement Abandon scolaire

Redoublement Abandon scolaire

Figure 19 : Schéma des associations entre milieu socioéconomique familial et usages d’alcool ou de cannabis à l’adolescence

Légende :

Dans la partie supérieure, en noir, le schéma pour les adolescents des familles au statut économique et social (SES-F) élevé

Dans partie inférieure, en gris, le schéma pour les adolescents de familles au SES-F faible.

L’épaisseur des flèches est proportionnelle à la force des liaisons. Les liaisons négatives (OR significativement inférieurs à 1) sont en pointillés. Ce graphique ne représente pas un modèle structural.

Nos travaux en cours sur le contexte politique et économique, et notamment la parité entre les sexes, sont prometteurs. Leur principal apport est de montrer qu’outre l’existence d’un lien entre type de consommation d’alcool et indicateurs macroéconomiques, les indicateurs d’alcoolisation chez les jeunes sont de bons reflets des indicateurs de parité économique et politique entre les sexes. En ce sens, ils contribuent à mettre en évidence que les inégalités économiques, politiques et de comportements de santé font système avec le système du genre (Hitchman et Fong, 2011).

SES-F élevé SES-F faible Expérimentation, usages épisodiques Usages intensifs ou problématiques Usages fréquents