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Une comparaison des actifs, des chômeurs et des étudiants de 18-25 ans

II MATERIELS ET METHODES

II. 4 : Les techniques d’analyse statistique utilisées

III.2 Une comparaison des actifs, des chômeurs et des étudiants de 18-25 ans

Dans la partie introductive, nous avons rappelé qu’hommes et femmes présentent des niveaux d’usage de drogues variables suivant leur niveau de diplôme, leur statut face à l’emploi et leur catégorie professionnelle pour ceux qui sont employés. Par rapport à l’article publié dans la revue de l’Insee et commenté dans l’introduction, nous avons entrepris de prendre en compte davantage de caractéristiques des personnes interrogées (vie de couple, taille de l’agglomération de résidence, religion déclarée, type d’équipement téléphonique et niveau de diplôme détaillé en six postes), mais aussi de décrire davantage d’usages de drogues, au sein d’une tranche d’âge où les prévalences sont plus élevées pour les drogues illicites autres que le cannabis. Ce travail a été publié dans la Revue d’épidémiologie et de santé publique en 2008. Titre original : Le rôle du statut scolaire et professionnel dans les usages de drogues des hommes et des femmes de 18 à 25 ans.

L’idée sous-jacente à ce travail est que la population étudiée constitue un intermédiaire important entre la population générale adulte et la population adolescente. Les données du Baromètre santé montrent en effet d’une part que la diffusion du tabagisme, mais également des usages d’alcool, de cannabis et d’autres drogues illicites n’est pas achevée à la fin de l’adolescence, de l’autre que les jeunes adultes constituent une population particulière du fait qu’une partie d’entre eux poursuit des études alors que l’autre entre dans le marché du travail, qu’elle exerce un emploi ou bien qu’elle soit au chômage. Elle constitue donc une cible de choix la description des parcours de consommation et des influences que sont susceptibles d’exercer sur eux les milieux scolaires et professionnels.

L’analyse a été réalisée uniquement sur les jeunes âgés de 18 à 25 ans actifs ou étudiants, les personnes au foyer, rares à cet âge, ayant été écartées de l’analyse. L’objectif était de rassembler dans une population bien définie l’essentiel des étudiants et des actifs occupés afin de pouvoir les

ici potentiellement une grande importance en raison de la transformation rapide des modes d’usages de drogues, mais aussi des modes de vie (installation en couple, arrivée des enfants) durant cette période de la vie. L’autre objectif était de recourir à un grand nombre d’indicateurs d’usages de drogues, licites ou non, afin d’esquisser le tableau le plus complet de la situation. Cet article devait combler un double vide dans l’épidémiologie des usages de drogues en France, du fait d’une part de l’absence d’enquêtes représentatives nationales en milieu étudiant à cette époque45, et du fait que les

études existantes n’offraient pas la possibilité de comparer les usages des étudiants à ceux de la population générale du même âge, notamment parce que les modes de collecte, les dates d’enquêtes mais aussi les questions différaient.

L’analyse a été conduite sur 1290 étudiants de l’enseignement supérieur dont le niveau d’études46 était connu, 538 chômeurs et 1480 actifs exerçant un emploi, tous âgés de 18 à 25 ans. La

méthode statistique employée était la régression logistique. L’analyse était conduite d’abord pour l’ensemble de l’échantillon, puis par sexe, puis dans une base combinant les deux sexes et à l’aide d’une interaction entre le sexe et le statut scolaire et professionnel et du recours à un contraste, afin de mesurer les écarts hommes/femmes au sein de tous les statuts scolaires et professionnels (cf. le chapitre Méthodes pour plus de détail sur cette méthode). Dans chaque modèle, la catégorie de référence était l’activité professionnelle. Les résultats montrent que la poursuite d’études est associée à une diminution du tabagisme chez les hommes et les femmes (OR=0,4 et 0,6) mais exhibe des effets contrastés par sexe pour les autres usages. Parmi les hommes, les études sont liées à une diminution de la consommation régulière d’alcool47 (OR=0,5) et à une diminution des épisodes de

binge drinking48. Parmi les femmes, les études sont liées à des déclarations plus fréquentes d’ivresses

alcooliques durant les 12 derniers mois (OR=1,4 pour une ivresse et plus, 2,3 pour trois et plus),

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Cette situation a partiellement changé, la mutuelle des étudiants (LMDE) ayant depuis conduit quelques études à échantillonnage aléatoire auprès de ses assurés ; toutefois, à notre connaissance, aucune étude n’existe qui rassemble dans un seul échantillon représentatif les étudiants de tous les régimes de sécurité sociale étudiants.

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La filière était en revanche inconnue, ce qui constitue une limite de cette étude.

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Définie par la déclaration d’au moins 10 usages durant les 30 derniers jours.

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d’usage de cannabis dans l’année et le mois écoulés (OR=1,5 pour chaque). La situation de chômage n’est liée qu’à une augmentation, parmi les hommes, des consommations régulières de cannabis (OR=1.5) et de consommation d’une autre drogue illicite quelle qu’elle soit durant l’année (OR=2,0). La conséquence de ces comportements différents des hommes et femmes suivant le statut scolaire et professionnel est que globalement les usages sont beaucoup moins différenciés sexuellement parmi les étudiants que parmi les actifs occupés et les chômeurs, où ce sont les hommes qui consomment très largement le plus : en moyenne, les usages sont deux fois moins masculins parmi les étudiants que les actifs occupés pour ce qui est de l’alcool, des ivresses, du binge drinking, du black out49

alcoolique et enfin la consommation régulière, ou simplement durant l’année, de cannabis.

La conclusion est d’abord que la poursuite d’études n’est pas systématiquement liée à une augmentation des consommations de drogues relativement à l’exercice d’un emploi, même si cela est partiellement vrai pour les femmes. La consommation de tabac par exemple, est plus faible parmi les étudiants que les travailleurs pour les deux sexes et la consommation d’alcool des hommes étudiants n’est pas supérieure à celle de leurs homologues qui travaillent, voire même inférieure pour ce qui est du binge drinking. Le deuxième point est que la poursuite d’études rapproche donc les comportements de consommation des hommes et des femmes, surtout par la consommation plus importante des femmes étudiantes relativement à leurs homologues qui travaillent. Ce résultat rappelle ce qui est observé en population générale et qui a été rappelé dans la partie introductive de cette thèse : les femmes occupant des positions sociales élevées consomment généralement plus de tabac et surtout d’alcool que leurs homologues occupant des positions moins favorables. L’explication que l’on peut en effet imaginer, bien qu’elle ne soit pas testable en l’état des données, est que les femmes qui poursuivent des études sont appelées à occuper des positions sociales plus élevées que celles qui travaillent, et que ces consommations plus élevées qu’elles manifestent participent de la constitution de cette future position sociale en devenir et en construction. Le

troisième point est que les hommes en situation de chômage déclarent des consommations de drogues augmentées relativement à ceux qui travaillent alors que ce n’est pas le cas parmi les femmes, ce qui pourrait souligner le poids plus important de l’exercice d’une profession dans la constitution de leur identité sociale.

Les limites que l’on peut trouver à ce travail sont nombreuses. D’abord, sur le plan statistique, certains indicateurs modélisés ne sont pas indépendants mais recouvrent des catégories non exclusives (comme la consommation de cannabis dans l’année qui comprend éventuellement celle du mois et la consommation régulière). Cela a deux conséquences. Cela rend d’une part plus délicate leur interprétation : les consommations de l’année qui sont plus fréquemment rapportées sont-elles des consommations régulières ou non ? Cela diminue également le pouvoir discriminant et partant la puissance des analyses des consommations élevées. En effet, la catégorie de référence de la variable modélisée « consommation régulière » comprend des abstinents mais aussi des consommateurs presque réguliers dont les consommateurs réguliers sont sans doute assez proches. Le dernier problème est l’impossibilité théorique de comparer les OR et les intervalles de confiance dans deux modélisations séparées (par exemple d’un côté la consommation durant l’année, de l’autre la consommation régulière) (Mood, 2010). Eviter ce genre de problème implique soit de ne considérer qu’un seul indicateur à modéliser par usage (ce qui appauvrit la description) soit de recourir à une analyse logistique généralisée (ou multinomiale) où toutes les fréquences d’usages sont définies de façon exclusives (usage dans l’année mais pas dans le mois, 1-9 usages dans le mois, 10+ usages dans le mois) et comparées dans un modèle unique à une catégorie de référence, par exemple l’absence de consommation dans l’année écoulée. Mais ce type de modélisation rend le choix des indicateurs plus difficile et est peu commun en épidémiologie. Toutefois, c’est ce type d’analyses qui a été retenu pour deux des articles présentés qui concernent la population adolescente (voir partie IV).

Sur le plan de la collecte des données et de l’échantillon, certaines limites sont également à considérer, comme le fait que les étudiants restent plus difficiles à joindre au téléphone et à questionner longuement que des individus plus avancés en âge : ils sont plus souvent équipés seulement d’un téléphone portable et leur mode de vie moins centré sur le foyer les rend plus mobiles. Il est donc probable qu’une partie des étudiants échappe à des interrogations comme celles du Baromètre santé. Les études en population étudiante suggèrent par ailleurs que les modes de vie et les consommations de drogues des étudiants varient grandement suivant le type de filière d’enseignement qu’ils suivent, filière qui n’était pas demandée ici. Sur le plan socio-démographique, l’origine sociale et les moyens financiers disponibles par les répondants ne sont pas connus : la profession des parents n’est pas questionnée et les revenus ne sont connus qu’à l’échelle du foyer. Néanmoins, l’exercice d’une activité professionnelle pour le financement de ses études a été pris en compte et ne fait apparaître qu’une différence pour le tabagisme, les étudiants travailleurs présentant des consommations plus élevées que les autres étudiants, ce qui va dans le même sens que le résultat général. Si les consommations apparaissent en partie plus élevées parmi les travailleurs que les étudiants, cela pourrait être dû aux conditions de travail et de stress rencontrés en début de carrière professionnelle, dont la gestion sur le plan psychologique pourrait passer par une augmentation des consommations de produits psychoactifs. C’est une des hypothèses qui a été formulée et qui a été testée dans le travail suivant, focalisé uniquement sur les actifs occupés.