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libre entre pairs

2 Aspects méthodologiques

3.4 Synthèse des principaux résultats obtenus

Le Tableau 6 présente une synthèse des principaux résultats obtenus en fonction des hypothèses opérationnelles.

Chapitre 4. Première étude : Développement des détournements d’usages d’objets dans un jeu libre entre pairs

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Tableau 6. Synthèse des principaux résultats obtenus dans le jeu libre

Hypothèses opérationnelles Validation

Nous supposons que les enfants de 3 et 4 ans utilisent davantage d’objets ambigus de manière détournée que d’objets artefactuels alors que les enfants de 7 et 8 ans n’ont pas de difficultés à détourner les objets

artefactuels.

Non validée dans chaque groupe d’âge

Nous supposons que les enfants de 3 et 4 ans détournent moins d’objets que les enfants de 5 et 7 ans.

Non validée

Nous supposons que les enfants de 7 ans s’engagent dans des formes de détournements d’usages plus élaborées de niveau 4, 5 ou 6 que les enfants de 3 ans. Nous supposons au contraire, que les enfants de 3 ans développent des détournements d’usages moins complexes et moins explicites de niveau 1, 2 ou 3 que les enfants de 7 ans.

Validée en partie pour les détournements de niveau 5 et de niveau 6

4

Discussion

Les principaux résultats de cette étude montrent que les enfants produisent autant de détournements que d’usages conventionnels quel que soit leur âge. En outre, les résultats mettent en évidence que l’usage des objets artefactuels dans l’activité de détournement ne constitue pas un plus grand obstacle que l’usage des objets ambigus. Contrairement à nos hypothèses, la triple représentation de l’objet artefactuel (disponible du point de vue sensori-moteur, intentionnel et symbolique) au cours du jeu symbolique n’apparait pas comme un problème difficile à surmonter dans une activité de jeu libre dont les enfants ont l’initiative. Le problème de

triple représentation qu’observent Tomasello et al. (1999) et Striano et al.

(2001) entre 18 et 36 mois se posent dans des situations plus contraintes et dirigées par l’adulte. Dans ce cadre, les enfants développent davantage d’usages avec des objets répliques et des objets naturels qu’avec des objets instrumentaux (Striano et al., 2001).

Nos résultats suggèrent d’autre part que les thèmes de jeu co- construits s’appuient plus fréquemment sur l’usage conventionnel des objets

artefactuels comme le pinceau, le bâton de colle ou la bouteille de

des objets artefactuels fonctionnent comme des « points de repères » dans le jeu. Ils constituent la base des thématiques jouées et entrainent de nombreux détournements. Lorsque nous parlons de « points de repères », nous nous référons à la théorie des scripts et des routines dans les interactions entre enfants (Nelson & Seidman, 1984). Si le script définit le type d’usages à développer (par exemple utiliser la bouteille de shampoing « pour se laver les cheveux » dans un script sur la toilette), il se construit également à partir des usages développés. Nous discutons les usages qui permettent aux enfants de construire un script en termes de « points de repères » pour la progression du jeu. Ces usages « points de repères » comme l’utilisation du pinceau « pour peindre » entrainent le déroulement du script de la peinture, qui lui-même offre un cadre pour les usages d’objets ultérieurs. Par exemple dans ce cadre, la bouteille de shampoing peut être détournée « comme une bouteille de peinture ». Pour Vygotski (1933), les objets présents dans le jeu symbolique sont des pivots entre l’espace fictionnel et la réalité. Les objets permettent à l’enfant de développer une fiction. Ils constituent un soutien pour la mise en scène de l’action symbolique. Nous montrons dans la présente étude comment l’usage conventionnel de l’objet prend également le statut de pivot pour les détournements d’usages d’objets. Autour de ce pivot (défini par l’usage conventionnel de l’objet) qui permet à la fiction d’émerger, des usages imaginaires impliquant des détournements d’usages d’objets peuvent se construire. Pour Vygotski (1933), les objets pivots fonctionnent comme des supports pour l’élaboration de significations imaginaires. Sans ces pivots, les enfants ont des difficultés à imaginer. L’absence du pivot émerge à un âge plus avancé, quand l’enfant détache totalement le signifié de son signifiant. De la même manière, il nous semble que les usages conventionnels sont des supports pour la création de significations imaginaires dans le jeu libre. Ces pivots permettent de créer un univers imaginaire composé de détournements. La qualité de pivot des objets artefactuels s’appuie sur le fait qu’ils évoquent à priori les mêmes signifiés pour les partenaires. Ces objets présentent des significations conventionnelles particulières et communes aux deux enfants, sur lesquelles

Chapitre 4. Première étude : Développement des détournements d’usages d’objets dans un jeu libre entre pairs

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ils peuvent s’appuyer sans forcément les élaborer ensemble. Les objets et le contexte de jeu jouent un rôle important dans la mise en place des symboles.

« L’agencement des situations et les objets influencent de diverses façons sur la forme et le déroulement interactif des jeux, du fait qu’ils évoquent ou non les mêmes signifiés pour les partenaires » (Verba, 1990, p.29). Une des

perspectives de cette recherche serait d’ailleurs de définir plus spécifiquement ces usages conventionnels « repères » et d’analyser tous les usages qui gravitent autour, en fonction de l’âge. La question qui se poserait étant de comprendre quelle est la dimension de ces usages « repères » ou « pivots » dans le jeu en fonction de l’âge. Il serait d’une part intéressant d’observer leur forme (détournement ou usage conventionnel), leur évolution et leur transformation dans le jeu imaginaire. Et d’autre part, il serait intéressant d’analyser comment ils entrainent la création de nouvelles significations et de nouvelles conventions sociales. Dans le jeu thématique du repas étudié dans le chapitre 6, aucun objet sauf le poupon (objet réplique) ne fait office de « repères » car tous sont incongrus à la situation de repas proposée aux enfants. Nous pourrons ainsi avoir un point de vue plus précis sur le statut de ces usages « repères » ou « pivots » dans le jeu imaginaire des enfants de 3 à 7 ans. Nous soutenons l’idée que la matérialité joue un rôle crucial dans la construction de conventions imaginaires, notamment dans le jeu des enfants les plus jeunes. Ainsi, dans un jeu contraint où les objets ne peuvent pas soutenir explicitement la création de conventions imaginaires entre les enfants (Verba, 1990), nous supposons que les enfants de 3 et 4 ans auront davantage de difficultés que les enfants de 5 et 7 ans à détourner l’usage des objets et développer des conventions imaginaires sur le thème convenu.

Nous situons également ces résultats parmi les nombreux travaux qui ont expliqué le développement symbolique de l’enfant par une capacité de décontextualisation (Bretherton, 1984 ; Elder & Pederson, 1978 ; Werner & Kaplan, 1963). La décontextualisation est le processus par lequel les objets utilisés dans le jeu de faire-semblant deviennent de plus en plus détachés de leur contexte d’utilisation quotidien (Flavell, 1985). Alors que les premières

capacités symboliques du tout petit reposent sur l’usage d’un téléphone- jouet pour jouer, après quelques temps l’enfant devient capable d’utiliser une orange comme un téléphone. La plupart des travaux montrent que les enfants développent la capacité à utiliser des objets de plus en plus différents de leurs usages conventionnels et quotidiens. Notre recherche n’étudie pas spécifiquement le degré de distanciation entre le détournement produit et l’usage conventionnel de l’objet qui est utilisé pour le réaliser. Néanmoins, nous montrons que les enfants n’ont pas de difficulté à détourner des objets artefactuels dont la fonction est conventionnellement déterminée. Dès l’âge de 3 ans, les enfants sont capables de décontextualiser les objets artefactuels de la même façon que les objets ambigus. En revanche, nous montrons que la co-construction des détournements d’usages d’objets est très progressive chez les jeunes enfants. A 3 et 4 ans, les détournements produits sont précédés d’usages conventionnels et d’usages exploratoires de l’objet. Les verbalisations qui accompagnent les usages émergent dans la continuité de l’usage et non en amont, alors que les verbalisations qui émergent en amont de l’usage sont plus présentes dans les groupes d’enfants les plus âgés. Ainsi, nous proposons l’idée que les enfants développent progressivement une capacité à recontextualiser les usages dans le champ du scénario qui se construit. Contrairement à ce que le terme décontextualisation peut laisser supposer, les enfants ne sont pas seulement en train de défaire le sens ou la signification de l’objet mais sont aussi en train de recréer du sens avec les objets dont ils disposent. En effet, les enfants adaptent les usages au thème de jeu qu’ils créent. Ils jouent à redéfinir le sens des objets pour qu’il corresponde au contexte. Comme le montrent les travaux de Bigham et Bourchier-Sutton (2008) à l’âge de 3 ans, les enfants ne montrent pas plus de difficulté de décontextualisation de l’objet, mais ils jouent à l’intérieur d’un contexte qu’ils créent et font évoluer. A ce titre, les objets qu’ils utilisent sont recontextualisées dans le sens du scénario. Dans la perspective de Braswell (2006), les enfants qui développent un scénario comme celui de la peinture par exemple proposent des conventions pragmatiques pour le jeu. Nos résultats montrent que les

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usages qu’ils développent et les transformations des usages qu’ils créent s’instaurent dans ce berceau pragmatique. Les enfants construisent les usages détournées dans le but d’interagir de manière appropriée dans le scénario qui se construit (Rakoczy, 2008b). Il semble que les enfants ne se situent pas seulement dans une dynamique de décontextualisation de l’objet mais davantage dans une dynamique de décontextualisation- recontextualisation de l’objet. Il serait intéressant pour confirmer cette hypothèse d’évaluer dans ce même jeu libre les usages produits par les enfants selon qu’ils sont appropriés ou non au contexte qui se définit entre eux. Il est à supposer que les enfants les plus jeunes produisent moins d’usages appropriés au scénario qui se construit que les enfants les plus grands et que les enfants les plus jeunes produisent davantage d’usages inappropriés relativement au scénario qui se construit. Cependant, l’étude portant sur le jeu du repas (chapitre 6) que nous proposons dans cette thèse pourra déjà permettre de formuler des éléments de réponse et de préciser davantage cette hypothèse. Dans l’étude 3, nous proposons en effet un jeu thématique dans lequel les enfants doivent prétendre de préparer un repas. Dans ce jeu, aucun objet n’est adéquat au thème du repas. Dans un tel contexte, la dynamique de décontextualisation-recontextualisation des usages est nécessaire. Nous supposons que les enfants les plus jeunes montreront davantage de difficultés à détourner les objets dans le thème du repas que les enfants les plus grands.

Enfin, nos résultats montrent que les détournements d’usages d’objets de niveau 5 et 6 sont plus développés à 7 ans qu’à 3 ans. Les enfants de 7 ans spécifient davantage les détournements qu’ils produisent, communiquant à leur partenaire des informations plus précises sur l’action qu’ils entreprennent. Ces détournements très complexes, uniquement verbaux pour les détournements de niveau 6, contribuent à instaurer le cadre du jeu (Giffin, 1984). Ils montrent également la facilité avec laquelle les enfants de 7 ans inscrivent et détournent les objets dans un nouveau système de conventions imaginaires. Selon Giffin (1984), les verbalisations de niveau 6 concernent une communication à propos du jeu ou une

communication métaludique (Verba, 1990), permettant d’organiser le jeu avant qu’il ne se déroule. Nous proposons que cette capacité à méta- organiser les conventions imaginaires se développent avec la capacité à recontextualiser les détournements d’usages d’objets.

Développement des détournements d’usages d’objets dans un jeu libre entre pairs :

principaux résultats et conclusions

Dans le jeu libre, les enfants développent principalement des thèmes de jeu basés sur l’usage conventionnel des objets artefactuels (peinture, collage, toilette du poupon). Ces thèmes « conventionnels » soutiennent la construction de nombreux détournements.

A 3 ans, les enfants produisent déjà beaucoup de détournements. Nous n’observons pas de développement des détournements d’usages d’objets entre 3 et 7 ans.

Quel que soit leur âge, les enfants ont tendance à produire plus de détournements avec les objets ambigus qu’avec les objets artefactuels. Ce résultat est assez cohérent avec le premier : en effet, les objets artefactuels sont davantage utilisés de manière conventionnelle et sont la base des thèmes de jeu développés. Ceux-là fonctionnent comme des points de repère dans le jeu imaginaire ou comme des pivots de l’activité imaginaire (Vygotski, 1933). Les enfants les plus jeunes ne semblent donc pas avoir de problème à détourner /décontextualiser l’usage des objets.

Néanmoins, nous vérifions que les enfants de 7 ans produisent davantage de détournements d’usages d’objets de niveauxx 5 et 6, que les enfants de 3 ans. D’autre part, les usages co-construits deviennent de plus en plus spécifiés par des significations verbales. A partir de 4 ans, les enfants verbalisent les usages avant de les réaliser. Le langage contribue à créer le cadre du jeu dans lequel les usages peuvent être redéfinis (Braswell, 2006). Nous supposons que les enfants développent une capacité à recontextualiser les usages détournés et que le langage joue un rôle essentiel dans ce processus.

Chapitre 5. Deuxième étude : détournements