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Co-construction de significations partagées

libre entre pairs

2 Aspects méthodologiques

3.3 Co-construction de significations partagées

Dans cette partie, nous proposons une analyse qualitative de la manière dont les enfants co-construisent des usages détournés et les partagent dans leur jeu. Tout d’abord, nous proposons d’analyser la spécificité de la co-élaboration des usages détournés à 3-4 ans. Ensuite, nous nous intéressons à la co-construction des usages détournés en lien avec la production de significations verbales. Nous montrons dans un premier temps comment les enfants les plus jeunes verbalisent les détournements d’usages d’objets dans la continuité de leur action. Nous montrons dans un second temps comment les enfants plus âgés verbalisent les détournements d’usages d’objets avant même de les réaliser. Nous projetons de généraliser

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ces analyses microgénétiques à l’ensemble des dyades afin d’expliquer plus précisément la co-construction des détournements d’usages d’objets.

3.3.1 A 3-4 ans : les usages exploratoires et conventionnels précèdent les usages détournés

La Figure 26 présente une séquence de vignettes-photos issues de l’enregistrement vidéo du jeu de deux enfants de 3 ans. Nous montrons à travers ces vignettes l’importance des usages exploratoires dans le jeu des enfants de 3 ans. Les transformations symboliques sont rendues possibles suite à l’exploration des usages de l’objet. Nous proposons de suivre spécifiquement l’usage de la bouteille de shampoing dans la séquence proposée Figure 26.

Figure 26. Séquence de vignettes-photos présentant le jeu d’Eva. et Ori., 3 ans

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Dans la première vignette, chacune des deux enfants joue séparément. Eva. explore la bouteille de shampoing tandis qu’Ori. « fait de la peinture ». Eva. utilise ensuite la bouteille de shampoing de manière conventionnelle sur le poupon, elle fait comme si elle lavait le poupon (mais elle ne le dit pas). Puis, elle pointe la bouteille de shampoing vers son visage et ensuite vers celui d’Eva. pour lui faire sentir l’air qui sort lorsqu’elle appuie sur la bouteille de shampoing (vignette 3). A partir de la vignette 4,

Eva. s’intéresse particulièrement à l’activité de peinture d’Ori. et lui

propose quelques secondes plus tard « je t’en remets de la peinture ? » en pointant la bouteille de shampoing vers le coquillage. Ori. est d’accord, puis préfère finalement que « la peinture soit versée » dans le carton utilisé « comme une palette ». Puis Ori. demande à nouveau à Eva. de « remettre de la peinture » (vignettes 7 et 8).

Les premiers temps du jeu sont entrecoupés par des moments de jeu non partagé dans lesquels l’une explore précisément la bouteille de shampoing et l’autre joue « à la peinture » (vignettes 1 et 2). En suivant précisément l’usage de la bouteille de shampoing, on observe les différentes transformations symboliques que les enfants lui appliquent et le rôle de ces différents usages dans la dynamique du jeu partagé des enfants. Au départ, c’est Eva. qui est intriguée par la bouteille de shampoing, elle l’explore précisément (vignette 1), elle fait semblant de l’utiliser sur le poupon et l’utilise donc de manière conventionnelle (vignette 2). Les deux enfants jouent chacune de leur côté. Puis Eva. appuie sur la bouteille de shampoing pour faire sortir de l’air, la dirige vers son visage et vers le visage d’Ori. (vignette 3). Elle fait remarquer à sa partenaire que de l’air sort de la bouteille quand elle appuie, les deux enfants entrent alors dans un jeu partagé. Après avoir exploré la bouteille de shampoing et les différents usages conventionnels possibles à développer (exploratoires pour la plupart comme ouvrir la bouteille, faire sortir de l’air, ou pour le jeu comme verser du shampoing sur le poupon), elle s’intéresse particulièrement à l’activité poursuivie par Ori.. La voyant « peindre le coquillage » Eva. lui propose de la peinture et utilise la bouteille de shampoing « comme une bouteille de

peinture », puis le coquillage « comme un gobelet ». Les deux enfants vont réutiliser plusieurs fois la bouteille de shampoing « comme une bouteille de peinture ». En plus d’avoir été transformée en « bouteille de peinture », la bouteille de shampoing devient un pivot de l’activité partagée. Elle permet aux deux enfants d’interagir dans l’activité sans que les mêmes usages ne soient produits. L’une des deux enfants « peint », le rôle de l’autre est de « servir de la peinture ». Un peu plus tard dans le jeu, Eva. qui au départ « sert de la peinture » à Ori., récupère le pinceau et se met « à peindre », les rôles s’inversent. Ori. tente alors d’apporter son aide à Eva. qui la refuse ce qui met fin à la séquence de jeu partagé. Ori. entreprend une autre activité avec la balle. Néanmoins, Eva. et Ori. ont développé un jeu partagé solide autour de la bouteille de shampoing.

On observe également ce type de fonctionnement dans le jeu de Vin. et Léo., de Nor. et Pau. Les usages exploratoires sont plus fréquents à 3 et 4 ans et sont nécessaires à la mise en place du jeu et des détournements. Il s’agit d’un temps d’appropriation de l’objet.

3.3.2 Des verbalisations qui se développent dans la continuité de l’usage

Dans le jeu des enfants de 3 ans, les verbalisations qui spécifient l’usage ou qui redoublent l’action engagée émergent après l’usage.

Nor. et Pau., 3 ans

Nor. tape la planche avec le caillou, puis assemble la planche avec la

plaque et pose la balle et le coquillage sur la plaque. Il dit ensuite « la

balle dans la maison », « le petit coquillage dans la maison ». Un peu

plus tard dans le jeu, Nor. tapote la bouteille de shampoing avec la tige du pinceau et rigole. Pau. reprend « t’as fait de la musique », ce qui fait rire Pau. qui continue. Pau. prend à son tour le pinceau, tapote sur la plaque et dit « oh ça fait une jolie musique ».

Lou. et Rod., 3 ans,

Lou. lance la balle et dit « j’ai perdu, j’ai vert ». Il la relance et dit « j’ai gagné, j’ai rouge, à toi ». A son tour, Rod. lance la balle et dit « oh oh j’ai gagné » et le jeu continue ainsi.

Le détournement d’usage est verbalisé après la mise en place de l’usage. Par exemple, Nor., 3 ans, transforme son assemblage

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planche/plaque « en maison pour la balle et le coquillage ». De la même façon Pau., 3 ans, nomme l’action initiée par Nor. lorsqu’il tapote la tige du pinceau sur la bouteille de shampoing « pour faire de la musique ». C’est également après avoir lancé la balle que Lou., 3 ans, la transforme en dés en disant « j’ai perdu, j’ai vert ». Les verbalisations portant sur les détournements sont ainsi développées dans l’après-coup. Néanmoins les usages restent complexes et élaborés et font partie des catégories de niveaux 5 et 6. Les enfants plus âgés construisent également les détournements de cette manière-là comme le montre l’exemple suivant.

Bla. et Man., 5 ans

Bla. met la plaque et la planche l’une sur l’autre et dit à Man.

« attends, on va faire un espèce de truc », puis dit « attends on va

faire une maison pour le bébé ». Man. est d’accord et positionne la

planche sur la plaque. Bla. colle la plaque sur la planche et dit « c’est

une petite cabane pour le coquillage ».

A travers cet exemple, on observe que les usages développés avec la planche et la plaque ne sont pas définis clairement dès le départ. Man. essaie de trouver un assemblage des deux objets qui lui convienne pour « faire un

espèce de truc ». Très rapidement, l’assemblage est plus clairement défini

bien que cette nouvelle identité ne soit pas définitive. Il s’agit d’abord « d’une maison pour le bébé » puis finalement « d’une petite cabane pour le coquillage ». Néanmoins, les enfants de 5 ans sont également capables de produire des verbalisations qui définissent un usage avant d’avoir produit le détournement. Dans ce cas, les usages sont explicités avant de commencer. Les observations de ce type d’usage sont nombreuses à partir de 4 ans dans nos observations.

3.3.3 Dès 4 ans : des usages qui se verbalisent avant l’action

Les exemples suivants présentent des jeux dans lesquels les verbalisations qui donnent du sens à la fiction précèdent les détournements et les introduisent.

Cap. et Sar., 4 ans,

Sar. dit à Cap. « moi, je vais peindre, je vais prendre le carton » et se

met à passer le pinceau sur la plaque.

Mar. et Eno., 4 ans

Avant même de commencer à utiliser les objets, Mar. dit « il dit allo

le bébé » et met la balle à l’oreille du poupon en parlant pour le

poupon « allo ? ».

Clé. et Bas., 4 ans

Bas. tape sur le sol avec la planche. Clé. dit à Bas. « attends donne »

en parlant de la planche. Puis il dit « je vais faire un quadrillage là » et utilise la planche « pour faire un quadrillage » en tapant de manière régulière sur la plaque.

Sha. et Ama., 5 ans

Sha. propose à Ama. : « en fait, on joue à la maitresse, nous deux on est les maitresses, on explique les enfants ce qu’on va faire ok ? » et

continue « alors regardez les enfants » tout en passant le pinceau sur la plaque.

Léa. et Car., 7 ans

Léa. dit « on dit qu’on était à la mer », Car. dit « et ça c’est la crème solaire » en montrant la colle

Les extraits proposés impliquent différents niveaux de conduite symbolique, certains impliquent des jeux de rôle, d’autres un jeu symbolique sans prise de rôle. Néanmoins, les quatre extraits ont pour point commun d’annoncer à l’avance la signification des usages qui vont être proposés par les enfants. Ces verbalisations permettent d’introduire les détournements à venir. Les détournements produits de cette façon-là sont très complexes, puisque tous les usages sont accompagnés de verbalisations qui précisent leur statut à l’autre. En ce qui concerne l’interaction, les verbalisations anticipées permettent aux enfants de prévoir les actions à venir et d’imaginer plus clairement le contexte dans lequel les objets sont détournés. Les verbalisations anticipées à propos des détournements ne sont pas observées dans le jeu des enfants de 3 ans.