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CONVENTIONS SOCIALES

Chapitre 1. Développement des significations dans le jeu : un point de vue historique

3 Jeu et significations cognitives pour Piaget

Piaget (1936/1977) n’a pas développé une théorie sur la construction de la personnalité, mais s’est beaucoup intéressé à la théorie analytique de Freud. Il s’est d’ailleurs inspiré de certains concepts psychanalytiques pour expliquer le fonctionnement cognitif du jeune enfant. La rupture que Piaget (idem) marque entre une pensée fonctionnant sur un mode égocentrique et une pensée plus rationnelle, ou entre une pensée plus individuelle que socialisée, trouve son origine dans les concepts d’autisme et de narcissisme proposés par la psychanalyse.

Dans la théorie piagétienne, les significations développées dans le jeu par l’enfant sont le reflet des schèmes cognitifs internes en train de se constituer, ceux-ci s’organisant et se transformant via l’action du sujet. Tenant d’une vision adultocentrée, Piaget (1945/1976) considère le jeu enfantin et notamment le jeu symbolique comme inapproprié à des formes de socialisation et de raisonnement adulte. Il est le fruit d’une pensée égocentrique qui manque de formalisme et de sociabilité.

Nous abordons dans cette partie la question centrale du jeu symbolique dans la théorie piagétienne. Nous précisons le rôle qu’il assume dans la théorie constructiviste du développement de la pensée. Avant cela, une présentation hiérarchisée des différentes catégories de jeu distinguées par Piaget (1945/1976) est proposée. Enfin, nous exposons le point de vue piagétien sur l’origine de la construction des symboles.

3.1 Des jeux différents pour chaque niveau de développement

Piaget (1945/1976) discerne trois grands types de jeu : les jeux d’exercice, les jeux symboliques et les jeux de règles. Les jeux de construction sont considérés comme une catégorie en marge faisant transition entre les trois autres grands types de jeu. Exercices, symboles et règles émergent successivement dans le développement et reflètent la construction progressive des structures cognitives, la transformation des schèmes symboliques dans le sens de la représentation adaptée.

Les jeux d’exercices ne font intervenir ni symboles, ni fictions, ni règles et sont caractéristiques des jeux de l’animal. Piaget (1945/1976) prend l’exemple d’un chaton qui saute sans cesse sur une pelote de laine ou sur une feuille qui volète dans le vent. Les jeux d’exercices sont régis par aucun autre but que le plaisir même de leur fonctionnement. Pour l’enfant, il s’agirait par exemple d’un jeu consistant à sauter d’un côté à l’autre d’une flaque pour le plaisir de sauter. Le jeu d’exercice est donc la première forme de jeu qui se construit, notamment durant la période sensori-motrice au cours des sous-stades II à V. Toutefois, bien qu’il caractérise essentiellement la période sensori-motrice, le jeu d’exercice est observé tout au long de l’ontogenèse. Par exemple, lorsque l’enfant questionne l’adulte sans montrer une véritable curiosité pour la réponse, mais seulement pour le plaisir de questionner.

Les jeux symboliques débutent au cours du sous-stade VI du développement sensori-moteur et viennent se subordonner aux jeux d’exercices. Ils impliquent la représentation d’un objet absent. La transition entre le jeu d’exercice et le jeu symbolique est marquée par le symbole en acte, émergeant dans les imitations différées qui annoncent le début de la pensée représentative. Par exemple, dans le cas où l’enfant reproduit en dehors de son contexte le rituel d’endormissement en présence de son oreiller. La représentation émerge lorsque le rituel est repris avec d’autres objets que l’oreiller.

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Enfin, les jeux de règles émergent suite aux jeux d’exercices et aux jeux symboliques qu’ils subordonnent. Au contraire du symbole, la règle suppose nécessairement les relations sociales ou interindividuelles et reflète l’émergence d’une pensée socialisée. Le jeu de règle peut néanmoins être soutenu par des jeux sensori-moteurs comme le jeu de billes ou des jeux d’imagination symbolique comme les charades. Les jeux de règles marquent l’affaiblissement du jeu enfantin et le passage au jeu proprement adulte.

Les jeux de construction représentent le déclin des jeux symboliques et la volonté de l’enfant de produire des symboles ludiques de plus en plus ancrés dans la réalité. Ils s’inscrivent dans la continuité du travail et marquent le développement d’une pensée adaptée.

3.2 Jeu symbolique : une assimilation déformante

Si l’intelligence est le produit de l’équilibre entre les processus d’assimilation et d’accommodation (Piaget, 1945/1976), chaque processus est bien spécifique et joue un rôle différent dans la construction de la pensée. L’accommodation est à l’origine de la transformation des structures internes du sujet. Elle permet à l’enfant de développer une conduite adaptée. L’assimilation précède l’accommodation et entraine les schèmes mentaux. Néanmoins, elle ne les transforme pas et n’aboutit donc pas seule à une évolution. Selon Piaget (1945/1976), certaines conduites relèvent davantage de l’assimilation et d’autres de l’accommodation. D’après lui, « si l’acte

d’intelligence aboutit à un équilibre entre l’assimilation et l’accommodation, tandis que l’imitation prolonge cette dernière pour elle- même, on peut dire, inversement, que le jeu est essentiellement assimilation, ou assimilation primant l’accommodation. » (p. 92). L’imitation et le jeu

sont donc des conduites qui s’orientent différemment. L’imitation issue de l’accommodation constitue un processus adaptatif. A son opposé, le jeu issu de l’assimilation reflète un manque d’adaptation. A ce propos, Piaget (1945/1976) relève « il est ainsi assimilation presque pure, c’est-à-dire

pensée orientée par le souci dominant de la satisfaction individuelle. Simple épanouissement des tendances, il assimile librement toutes choses à toutes

choses et toutes choses au moi ». (p.92). Le jeu enfantin est ainsi considéré

par Piaget (1945/1976) d’une manière essentiellement négative, dans le sens d’une conduite non adaptée à la réalité. Selon lui, le jeu symbolique décline à partir de 4 ans et disparait complètement à partir de 8 ans, l’enfant développant une volonté grandissante dans le jeu à produire des symboles identique à la référence.

3.3 Une construction solitaire du jeu et du symbole

Piaget (1945/1976) ne voit pas l’intérêt de distinguer les jeux développés en solitaire des jeux à plusieurs. Selon la théorie constructiviste, l’action du sujet prime sur tout autre facteur environnemental qu’il soit social ou contextuel. La construction du symbole trouve son origine dans les conduites individuelles et « le symbolisme à plusieurs ne transforme guère la structure des premiers symboles » (Piaget, 1945/1976, p.119).

« Chez les petits, le jeu à plusieurs est comparable au monologue collectif des propos entre enfant et laissent intact le symbolisme égocentrique, ou le renforce en cas d’imitation. Chez les grands, chez lesquels la règle élimine le symbole, il va de soi que la vie sociale affaiblit la croyance ludique, du moins sous sa forme spécifiquement symbolique. » (Piaget, 1945/1976, p.

178). Les jeux symboliques qui s’organisent à plusieurs dans le but de représenter des scènes de la vie, comme la vie en classe, le mariage ou la vie familiale, constituent des représentations de plus en plus adaptées avec l’âge et se développent dans la direction d’une activité réglée et cadrée proche du travail.

Pour Piaget (1945/1976), les significations développées dans le jeu sont donc essentiellement cognitives et se construisent de manière individuelle. Dans les théories proposées par Wallon (1941/1968), Vygotski (1934/1997) et Bruner (1991), les significations sont des construits socioculturels. Elles reflètent une construction socio-identitaire dans la perspective wallonienne.

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Jeu et significations socio-identitaires pour Wallon