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Faire rire : les premiers pas avec l’adulte

libre entre pairs

Chapitre 5. Deuxième étude : détournements d’usages d’objets dans un jeu humoristique

1 Introduction et hypothèses générales

1.3 Faire rire : les premiers pas avec l’adulte

L’analyse des premières productions humoristiques du bébé de 4 mois, rompt a fortiori avec le modèle cognitif de McGhee (1979) qui décrit l’émergence de cette capacité à 18 mois seulement. Les recherches portant

sur le développement précoce de l’humour ont mis en évidence l’émergence des premières productions dans les interactions du tout-petit avec son entourage et ont appréhendé le développement humoristique dans une perspective plus interactionniste (Aimard, 1988 ; Reddy, 2001).

Koestler (1965) propose une définition de l’humour en lui donnant à la fois une dimension cognitive, sociale et affective. Dans sa dimension cognitive, la définition de Koestler (1965) semble très proche de celle de McGhee (1979). L’humour résulte de la rencontre de deux plans/schémas distincts, faisant émerger une interférence, une incongruité, une rupture dans le déroulement linéaire de ce qui est attendu. Ces plans de référence peuvent renvoyer à des contextes, des registres de discours, des codes ou des types de logiques différents. Dans sa dimension sociale, l’humour est défini comme la capacité à transmettre la blague par la création d’un effet, d’une surprise. Dans sa dimension affective, l’humour est caractérisé par le climat dans lequel l’humoriste s’exprime. Généralement, c’est un climat de complicité et de détente qui s’installe entre les interlocuteurs. Néanmoins, le climat peut être teinté d’un ton mesuré d’agressivité, entraînant rarement un climat désagréable. Pour Charaudeau (2006) ce « climat » est caractérisé par une complicité et une connivence entre les interlocuteurs, Soit le destinataire est victime, « il est à la fois destinataire et cible de l’acte humoristique » (Charaudeau, 2006). Dans le cas où par exemple, un enfant explore la bouteille de shampoing et découvre en l’explorant qu’en appuyant dessus, la bouteille expulse de l’air et l’utilise « comme un pistolet à air » en direction de l’autre enfant, alors celui-ci installe une forme de connivence dans laquelle l’autre est « victime » de son action. S’appuyant sur les idées de Koestler (1965), Aimard (1988) étudie les premières conduites humoristiques émergeant dans les interactions des bébés avec un adulte parent, grand-parent, nourrice ou plus rarement frère et sœur, à partir des observations conduites quotidiennement par l’entourage et des entretiens avec ces derniers. Elle décrit un ensemble de ressorts humoristiques émergeant des activités quotidiennes de l’enfant, à partir desquelles, elle étudie l’humour dans sa dimension appréciative et productive. Le registre

Chapitre 5. Deuxième étude : détournements d’usages d’objets dans un jeu humoristique

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humoristique des tout-petits est largement présenté et caractérisé par des situations insolites, des imitations, des présences, des jeux impliquant le corps de l’enfant, la transgression des interdits, des pieds de nez et des fausses pistes, et plus tard des jeux de langage. Elle montre que dès l’âge de 4 mois les tout-petits produisent déjà de l’humour (Aimard, 1988). Par exemple, Frédéric, à 3 mois ne reconnaissait pas son père lorsque celui-ci lui parlait d’une voix étrange et pleurait violemment, comme angoissé. Un mois plus tard, à 4 mois, la voix bizarre de son père lui est devenue familière, le changement d’intonation ne lui fait plus peur, mais au contraire sourire et pousser des cris joyeux ou franchement rire (p.65). Dans le registre du jeu, Clé., 1 an (p.150) adore les jeux de coucou-trouvé, lorsque ses parents sont seuls dans une pièce, il arrive sur le seuil, se montre, accroche leur regard, reçoit un sourire et se sauve en riant. Il continuerait sans fin. Selon Aimard (1988), « dans les productions de l’enfant, la rencontre des deux plans est souvent fortuite, c’est à travers le regard amusé de l’adulte que l’enfant saisit l’incohérence de son fait ». Reddy (2001) en vient également à cette conclusion.

Après avoir exploré les conduites humoristiques d’enfants de 7 à 12 mois, Reddy (2001) compare les productions humoristiques typiques du clown adulte à celles des tout-petits. Elle fait émerger un étonnant parallèle entre les drôleries de l’enfant et celles du clown et montre une continuité entre les deux. Reddy (2001) soutient que l’humour émerge dès la première année dans un jeu de partage de significations avec l’adulte, permettant de mettre en lien les clowneries à travers les âges. L’adulte donne un sens humoristique aux productions de l’enfant et en ce sens reste sensible aux clowneries quelle que soit son origine. Les clowneries enfantines émergent de la rencontre d’un mouvement inhabituel de l’enfant comme une marche « bizarre », une expression « étrange » avec le regard de l’adulte qui transforme leur signification. L’enfant est acteur de ces postures et de ces expressions a priori non humoristiques, qu’il développe pour les sensations intéressantes qu’elles procurent au corps. Mais les réactions de l’adulte témoignent du sens plus large qu’elles prennent. L’humour de l’enfant se

construit également à travers les seules réactions humoristiques de l’adulte, par exemple, l’adulte qui rit lorsqu’il découvre les pieds odorants de l’enfant. Dans le cas des taquineries, l’enfant les apprend en même temps qu’il découvre les interdits et les règles sociales. Les actions qui entrent en contradiction avec les normes sociales et parentales constituent un terrain de jeu humoristique à partir desquelles les enfants en comprennent également les limites.

La question du développement des productions humoristiques qui nous préoccupe nous amène à observer l’enfant dans un autre milieu de vie. Lorsque l’enfant fait son entrée à l’école, il partage de plus en plus de temps avec d’autres enfants à travers les activités d’apprentissage, de jeu et de vie quotidienne. L’observation des enfants entre eux semble être ainsi un terrain adapté et idéal pour saisir le développement de l’humour des enfants de 3 ans. Malheureusement, très peu de travaux ayant un intérêt pour cette question sont référencés.