• Aucun résultat trouvé

CONVENTIONS SOCIALES

Chapitre 2. Différentes perspectives sur la construction symbolique de l’objet

1 Développement du symbole avant l’âge de 3 ans

1.1 Une construction solitaire

1.1.1 Où l’enfant « assimile » un objet à un autre dans la perspective piagétienne

Pour Piaget (1945/1976), la rencontre de l’enfant avec l’adulte n’est pas réellement stimulante, ni aidante. Ce qui rapproche l’enfant de l’adulte, c’est sa capacité à l’imiter. Dans les conduites imitatives comme les jeux d’imitation, Piaget (1945/1976) observe la compétence de l’enfant à s’adapter à la réalité. Dans cette conception, l’enfant est dans une dynamique individuelle d’accommodation à la réalité et non pas dans une dynamique sociale d’appropriation des conduites transmises par le monde physique et social environnant.

A l’opposé des jeux d’imitation marqués par le primat de l’accommodation à la réalité, les jeux symboliques - dans lesquels l’enfant transforme les objets en leur attribuant de nouveaux statuts - sont marqués par le primat de l’assimilation. Ils constituent le pendant des jeux d’imitation. Les transformations symboliques d’objets évoquent un manque d’adaptation à la réalité, au monde rationnel, et sont liées à un manque de maturation cognitive. Elles émergent dans une dynamique de construction individuelle dans laquelle l’enfant, par le biais de ses actions, expérimente et déforme son environnement. Piaget (1945/1976) les considère comme « assimilation du réel au moi » (p.38).

Les premières substitutions d’objets apparaissent chez l’enfant ayant entre 18 et 24 mois. Avec l’acquisition de la permanence de l’objet, au sous- stade V du développement sensori-moteur (entre 12 et 18 mois), l’enfant devient capable de reproduire des actions quotidiennes avec les objets en dehors de leur contexte et en dehors de leur objectif habituel. Pour Piaget (1945/1976), ces premiers jeux ne sont pas encore totalement symboliques. Ils en sont les prémisses. Ceux-là entrainent le développement de la fonction

Chapitre 2 : Différentes perspectives sur la construction symbolique de l’objet

52

symbolique permettant à l’enfant d’évoquer des réalités absentes au moyen de symboles ou de signes. Les véritables jeux de fiction émergent autour de 24 mois et se développent jusqu’à l’âge de 4 ans après quoi ils commencent à décliner (au sens où ces jeux se rapprochent davantage du réel, du pôle accommodation que d’une assimilation déformante). La période d’apogée du jeu symbolique est située entre 2 et 4 ans : l’enfant procède à de multiples types d’assimilations d’objets, de personnes et de situations se basant sur sa propre expérience ou d’expériences imitées. Piaget (1945/1976) décrit plusieurs niveaux de complexité d’assimilation symbolique d’un objet à un autre. Nous les présentons brièvement en commençant par préciser leur émergence à 18 mois, au sous-stade VI du développement sensori-moteur.

a Les premiers schèmes d’actions symboliques

C’est entre 18 et 24 mois, au sous-stade VI du développement sensori-moteur que l’enfant développe les premiers schèmes d’actions symboliques. A cet âge, les schèmes d’actions propres que l’enfant exerce réellement dans son quotidien (manger, dormir, marcher, …) sont reproduits symboliquement en dehors de leur contexte et de leur objectif habituel. Piaget (1945/1976) décrit l’exemple de Lucienne, sa fille, à 1 an :

« Elle était assise dans son berceau, lorsque, sans le vouloir, elle tombe en arrière. Apercevant alors un oreiller, elle se met en position de dormir sur le côté, en saisissant l’oreiller d’une main pour se l’appliquer contre la figure. Lucienne présente un très large sourire. Durant la journée, elle reproduit la chose une série de fois, bien que n’étant plus dans son berceau : elle rit d’avance (à noter cet indice du symbole représenté), puis se lance en arrière, se tourne sur le côté, met ses mains sur la figure comme si elle tenait un oreiller et reste immobile, les yeux ouverts, en souriant silencieusement. » (p. 101).

b Développement du jeu symbolique

Dans la théorie piagétienne, le développement est marqué par la construction progressive de quatre formes principales de symboles. Alors que les premières transformations symboliques, de types IA et IB, sont

amorcées par des actions de faire-semblant, les transformations symboliques de types IIA et IIB sont plus complexes et ne sont pas dirigées par des actions de faire-semblant. Les assimilations d’un objet à l’autre peuvent être signifiées avant l’action et l’entraîner. Nous présentons dans le Tableau 1 les caractéristiques précises de chaque type de symbole.

Tableau 1. Caractéristiques des différents types de symboles décrits par Piaget (1945/1976) dans les jeux d’enfants de 2 à 4 ans

Types IA et IB : Primat de l’action

Type IA : Projection des schèmes symboliques sur des objets nouveaux

Une fois le schème symbolique constitué et développé à partir de l’action propre de l’enfant, l’enfant finit par attribuer à autrui et aux choses le schème devenu familier. Par exemple, Piaget (1945/1976) évoque le cas de Jacqueline qui après avoir fait elle-même semblant de dormir pendant deux mois, fait « faire dodo »6 à son ours. Les schèmes symboliques se détachent du corps propre de l’enfant, qui devient capable de les attribuer à de nouveaux objets.

Type IB : Projection des schèmes d’imitation sur des objets nouveaux

Il s’agit à nouveau d’une projection de schèmes symboliques, plus précisément de schèmes empruntés à un modèle imité et non plus directement à l’action propre. Piaget (1945/1976) présente l’exemple d’un enfant de 1 an et 3 mois qui fait semblant de jouer du cor de chasse un quart d’heure après que Piaget en est fait : « T., déjà un quart d’heure après que j’ai joué devant lui du cor de

chasse, saisit une petite chaise de poupée de 5 cm de hauteur, la met devant sa bouche et fait semblant de sonner du cor. » (p.130).

Types IIA et IIB : Primat de l’objet

Type IIA : L’assimilation simple d’un objet à un autre

Les assimilations d’un objet à un autre sont déjà impliquées dans les premiers schèmes symboliques et les types IA et IB. Néanmoins, dans les types précédant, les assimilations sont insérées dans des actions d’ensemble qui les déterminent. Dans le type IIA, elles se présentent au contraire directement et

6 Dans tout le manuscrit, la présence du jeu de fiction est soulignée par l’ouverture de

Chapitre 2 : Différentes perspectives sur la construction symbolique de l’objet

54

occasionnent le jeu ou lui servent de prétexte. Par exemple, Jacqueline, à 1 an et 8 mois : « elle voit une coquille et dit « tasse », alors elle la prend et fait semblant

de boire. » (p.132). L’enfant réalise, comme dans les jeux de types IA et IB, ses

propres actions passées ou celles d’autrui, en présence de nouveaux objets. La différence entre type I et type II est que l’assimilation symbolique de la tasse à une coquille précède l’action symbolique. Elle est annoncée verbalement, avant toute action, au lieu d’être entraînée par l’action.

Type IIB : L’assimilation du corps propre à autrui ou à des objets quelconques

A ce niveau, l’enfant développe un jeu qu’on appelle ordinairement, jeu d’imitation. Il s’attribue différents rôles. Par exemple, Piaget (1945/1976) présente l’exemple de Lucienne à 2 ans 4 mois : « elle dit : « je suis Chouquette », une

petite amie vue récemment, mais pas les jours précédents » (p.133).

Types IIIA, IIIB, IIIC : Combinaison et assimilation de symboles

Les symboles de types I et II sont subordonnés par des symboles de type III. Les symboles de type III correspondent aux différentes combinaisons symboliques possibles de symboles de types I et II. Piaget (1945/1976) distingue les combinaisons simples des combinaisons compensatrices et liquidatrices. Les combinaisons simples de type IIIA sont caractérisées par la mise en place de scènes entières dans lesquelles les enfants assimilent les objets entre eux et imitent des événements. Les combinaisons compensatrices et liquidatrices de type IIIB et

IIIC ont fonction de catharsis et permettent à l’enfant d’assimiler ou de liquider

des événements vécus en les reproduisant dans le jeu. Les combinaisons compensatrices et liquidatrices sont observées très tôt dans le développement des activités symboliques. Néanmoins, le développement de combinaisons symboliques variées, de type III, renforce leur apparition dans le jeu.

De nombreux auteurs à la suite de Piaget (1945/1976) tels que Belsky et Most (1981), Corrigan (1982), Fein et Apfel (1979), Fenson et Ramsey (1980), Lowe (1975), McCune-Nicolich (1981), Nicolich (1977), Watson et Fisher (1977) ont approfondi ou réorganisé différemment la grille d’analyse des symboles proposés par Piaget (1945/1976). Les différentes réorganisations ont amené des terminologies différentes pour signifier les actions symboliques avec les objets, telles que substitution d’objet ou

décontextualisation. Nous discutons par la suite les apports qu’ont amenés

les travaux post-piagétiens à la question du développement symbolique de l’enfant.

1.1.2 Où l’enfant « combine » et « planifie » des schèmes symboliques

McCune-Nicolich (1981) étudie le développement symbolique de l’enfant dès l’âge de 9 mois et propose une échelle développementale et hiérarchique des conduites symboliques qui complète celle de Piaget (1945/1976). Très ancrée dans les postulats piagétiens, elle conserve le vocabulaire de Piaget (1945/1976) impliquant la notion de schèmes pour parler des symboles, et notamment celui d’assimilation d’un objet à un autre afin d’évoquer les usages détournés d’objets. Elle propose une grille d’analyse avec plusieurs niveaux de symboles devenant de plus en plus complexes avec l’âge, le dernier acquis intégrant les niveaux antérieurs. Deux types de schèmes sont distingués dans la période sensori-motrice : les

schèmes présymboliques caractéristiques des sous-stades II à V de Piaget

(1945/1976) et les schèmes auto-symboliques caractéristiques du sous-stade VI. La période symbolique qui débute autour de 24 mois (comme dans la perspective piagétienne), commence par la mise en place de jeux

symboliques à schèmes uniques (types IA et IB chez Piaget), se poursuit à

travers la mise en place de jeux symboliques combinés (non considérés de cette manière par Piaget) et termine par la mise en place de jeux

symboliques planifiés dans lesquels sont inclus les symboles de type IIA,

IIB et IIIA de Piaget (1945/1976). Les jeux symboliques planifiés impliquent que l’enfant anticipe verbalement ou non les actions de faire- semblant avant de les mettre en place. Le Tableau 2 récapitule et apporte des exemples des différents niveaux symboliques dans la conception de McCune-Nicolich (1981).

Chapitre 2 : Différentes perspectives sur la construction symbolique de l’objet

56

Tableau 2. Niveaux de complexité symbolique de l’échelle de McCune- Nicolich (1981) durant la période symbolique*