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Synthèse conclusive de l’analyse du focus group à Lacourt-Saint-Pierre : les valeurs du bien-être comme territoire (politique) de l’ITT

Les habitants de Lacourt-Saint-Pierre se sont installés/sont restés dans la commune car ils y ont trouvé la quiétude et l’espace suffisant pour vivre selon leurs envies, à la campagne, au « vert », dehors quasiment six mois sur les douze que compte l’année, sans pour autant être isolés, coupés de la ville et de ses avantages. Bien que les Lacourtois estiment dans leur grande majorité que le territoire communal ne relève que faiblement d’une esthétique paysagère, celui-ci se fait objet de contemplation et cette contemplation constitue un ressourcement. Chacun est alors amené à se créer « son monde » (P1), d’abord privé, la maison et son jardin accueillant une pluralité de vivants que d’aucuns observent avec bienveillance. La présence de l’activité agricole constitue également aux yeux de nombreux habitants un garant du maintien des paysages, une richesse à préserver. Le canal de Montech, récemment rouvert au public à l’issue d’une profonde rénovation, concentre ces enjeux de maintien et préservation de la quiétude, du caractère campagnard, d’espaces dégagés, des paysages, au fondement desquels se jouent qualité de vie et bien-être. Les Lacourtois le pratiquent avec intensité pour leurs loisirs, ils s’y promènent seuls ou à plusieurs, notamment en famille, y pêchent, y courent… Hissé au rang de bien commun, relié au Canal du Midi classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, cet artefact humain présente de nombreux ouvrages d’art (les écluses) et se fait ferment de biodiversité (zone Natura 2000). Il est considéré par nombre de Lacourtois comme l’atout principal de la commune en matière de qualité de l’environnement et une fierté. Son attractivité dépasse d’ailleurs les limites communales. Les habitants de Montauban, chef-lieu du département situé tout proche, s’y rendent également de façon régulière pour leurs pratiques sportives et récréatives.

Cette réalité n’est pas sans rappeler que Lacourt-Saint-Pierre est placé sous l’influence de cet important bassin d’emploi. Décrivant une croissance démographique accrue ces dernières années, croissance accentuée par la mise en service de l’autoroute, Lacourt-Saint-Pierre tend à devenir une banlieue de Montauban, si ce n’est de Toulouse, pôle majeur de la région. L’autoroute en premier lieu, tout comme d’autres équipements tels la DRIMM, centre de déchets installé à proximité, sont venus progressivement morceler le territoire et apporter leurs lots de nuisances sonores, olfactives, visuelles… La quiétude prodiguée par l’environnement s’en trouve bien évidemment remise en cause, de même que le caractère campagnard du territoire.

Dans un tel contexte territorial, l’annonce de la construction prochaine d’une LGV pour relier plus efficacement, c’est-à-dire plus vite, Bordeaux et Toulouse, ne peut que difficilement faire l’objet d’une réaction autre que l’opposition ou la contestation des habitants, en particulier ceux dont les terrains se situent dans le cœur de cible du tracé arrêté.

D’abord, l’ampleur physique de l’infrastructure considérée entraine l’expropriation suivie de la destruction (moyennant dédommagement) d’une part, certes réduite, du patrimoine privé des habitants de Lacourt-Saint-Pierre. La décision de construire la ligne « ici et pas ailleurs », décision sur laquelle les habitants ressentent n’avoir aucune prise, est vécue comme injuste par ceux-ci dès lors qu’ils estiment ne tirer aucun profit de la mise en service d’une LGV, seulement des nuisances et des inconvénients. Au-delà des habitants directement impactés par le tracé, c’est le patrimoine privé de la commune en général qui se trouve déprécié. Par ailleurs, tous les habitants rencontrés s’accordent à dire que la future LGV va dénaturer et défigurer le paysage, bouleverser l’environnement et par conséquent les modes de vie qui y trouvaient place et épanouissement. Si les nuisances sonores à venir, d’abord liées au chantier et une fois ce chantier terminé au passage régulier des trains, s’avèrent particulièrement décriées par les habitants, en ce sens notamment, l’impact visuel de la LGV se révèle

- 147 - socio-économique et socio-démographique de la commune. Le projet de LGV et plus spécifiquement le projet de construction d’une gare tout proche - sur la commune de Bressols – afin de desservir Montauban fait surtout craindre l’urbanisation massive de Lacourt, sa dévalorisation progressive, sa perte irrémédiable d’intérêt et de caractère transformant peu à peu la commune en lieu de passage.

Attachés à la vie à la campagne, les habitants perçoivent d’un très mauvais œil la dynamique invasive de la ville.

Fortement mobilisés dans les premiers temps via entre autres la constitution d’une association de sauvegarde du patrimoine des communes de Lacourt et Montbeton, les habitants ont vécu le processus de concertation mené par RFF comme un jeu de dupes. Ils estiment qu’on leur a fait croire à tort qu’ils pourraient infléchir le choix du tracé, les porteurs du projet étant toujours revenus sur le même tracé, finalement arrêté, malgré l’affichage de trois possibilités. Les réunions publiques ont donné lieu pour la plupart d’entre eux et a posteriori à un sentiment de vive déception. Si les porteurs de projet ont pu faire mine de prendre en considération leurs revendications et points de vue, cela n’a pas été suivi d’effets. Les habitants regroupés dans l’association ont pourtant élaboré des contre-propositions étayées et donné l’exemple d’aménagements possibles et souhaités, tels la tranchée couverte pour le tronçon de la ligne passant par le canal. Aucune n’a été retenue ni semble-t-il véritablement entendue.

Aussi, et malgré l’énergie déployée, la concertation a fait naître l’impression de se heurter à une situation inéluctable et un porteur inébranlable, ayant réponse (technique et financière) à toute suggestion/objection.

Le caractère fortement infructueux des démarches menées par les habitants et les élus locaux n’a pas été sans conséquences sur la mobilisation collective. C’est à une nette démobilisation que les représentants associatifs ont assisté. Mettant en récit les épisodes de la concertation conduite par RFF, de nombreux habitants conçoivent la proposition de différents tracés par RFF comme une stratégie pour monter les habitants les uns contre les autres. Dans une commune dont la destinée ne paraît plus faire de doutes, vouée à la périurbanisation et à la dégradation de son patrimoine et de son

« intégrité »/identité – fortement liées à la présence du canal auquel le projet de LGV porte directement atteinte-, on observe un dialogue social sinon inexistant tout du moins rompu. A la défiance envers les politiques et porteurs de projet, envers les grands élus jugés pieds et poings liés aux opérateurs notamment, s’ajoute une défiance des habitants les uns envers les autres. Le projet de LGV est alors venu nourrir de fortes tensions et divisions au sein de la population lacourtoise, entérinant certains clivages, comme la partition entre « anciens » (natifs et agriculteurs en premier lieu) et « nouveaux » (ménages périurbains) habitants, entre experts associatifs et habitants plus en retrait, entre habitants directement impactés et habitants non directement impactés par la future ligne.

Par l’entremise d’un engagement déçu, par le sentiment largement répandu de ne pas avoir été écoutés, le bien-être individuel à Lacourt-Saint-Pierre, en sursis, dérobé, promis à l’extinction, engage chez les habitants une réaction généralisée de repli sur soi, sur le « peu qu’il reste ». Le projet de LGV paraît dénier aux habitants leur aptitude à se rendre maîtres de leur environnement et de son devenir, leurs capacités à s’en faire au moins les co-auteurs et acteurs. Les habitants mobilisent alors, forme de dernier recours, valeurs et principes. Le projet de LGV s’avère dénoncé et décrié au nom du principe d’équité (socio-)environnementale, le cumul de handicaps sur un même territoire (infrastructures constituant tout autant de coupures locales et porteuses de nuisances) étant particulièrement visé. Au-delà des injustices perpétrées à l’endroit du territoire local, de ses habitants et de leurs modes de vie et attaches, le bon sens est revendiqué. Pour certains, agriculteurs voyant leur activité remise en cause par le tracé de la LGV particulièrement, le projet représente en soi une aberration. Ils mettent en balance d’une part le gain de temps (15-20 minutes) offert par la construction de la ligne pour relier Bordeaux à Toulouse et d’autre part son coût pharaonique, la consommation de 3 000 hectares de

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terres agricoles qu’elle implique, les nuisances et remises en cause qu’elle génère à l’échelle locale.

Bien que le projet puisse apporter à moyen terme de nouveaux emplois et insuffler localement un certain dynamisme économique, les Lacourtois considèrent ses potentiels bienfaits inconséquents en regard des atteintes qu’il porte à la qualité de vie et plus encore à leur bien-être. Ils estiment donc avoir été sacrifiés sur l’autel du progrès, au profit d’intérêts particuliers qui demeurent pour la majorité d’entre eux dissimulés à leurs yeux.

Face à l’injustice, face également à l’irrespect des autorités et porteurs de projet à leur égard, les habitants brandissent, même modestement, le principe de solidarité. Dans un monde où chacun tend à se replier sur (le maintien de) son propre bien-être, en péril, tous s’accordent à dire néanmoins qu’ « il aurait pu en être autrement », si tout du moins il avait été fait place à leur parole. Si tout du moins l’information avait été transmise à tous et de façon claire, avec honnêteté et transparence. Les Lacourtois revendiquent leur droit d’accès à l’information, leur droit à la vérité. Ils dénoncent en creux les réalités d’une démocratie représentative qui passe nécessairement par une délégation de pouvoir les cantonnant dans l’impuissance.

Plus largement, les principes et valeurs sur lesquels les Lacourtois s’appuient pour construire leur critique du projet de LGV puisent, non sans force, aux sources des valeurs cardinales : liberté (d’opinion, d’expression, de parole, de la presse… et donc accès à une vérité), égalité (ou plutôt équité socio-environnementale), fraternité (ou plutôt solidarité). En ce sens, ils portent un discours éminemment social et politique, dessinant les contours de ce que pourrait être leur bien-être collectif, érigé à partir d’un modèle de cohésion territoriale, au sein duquel la parole de chacun trouverait tribune et serait respectée, le bon sens serait valorisé, l’intérêt de tous pris en compte. Nous serions ici, par le bien-être, face à un autre territoire, cette fois-ci plus encore ostensiblement politique, du territoire de l’ITT

Toutefois, la violence symbolique avec laquelle se sont exercés le portage du projet de LGV et la concertation elle-même, l’infériorisation subséquente des points de vue et capacités des habitants ont conduit à une forme de défaitisme, et même à faire douter les habitants eux-mêmes de leurs propres capacités à conduire plus équitablement, de façon plus juste le changement. On ne s’étonnera pas alors que notre démarche de recherche menée à Lacourt-Saint-Pierre ait été l’objet de vives remises en question, et se soit fait le réceptacle d’une lassitude amère, d’une douloureuse résignation. Le focus group organisé sur place a néanmoins permis de saisir un bien-être fortement menacé, d’abord vécu comme bafoué par les pouvoirs publics et grands opérateurs d’ITT, et dès lors insusceptible de dégager ostensiblement, comme à Labergement-Foigney ou encore à Castelferrus, l’horizon d’un monde commun.

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8. LES TYPES DE BIEN-ETRE COMME TERRITOIRES DES ITT, OU

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