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Des représentations immersives de simulation d’effets et d’impacts : au-delà du planaire et du statique planaire et du statique

Croquis 2. Proposition d'insertion paysagère (Labergement-Foigney)

8.2.3.2 Des représentations immersives de simulation d’effets et d’impacts : au-delà du planaire et du statique planaire et du statique

8.2.3.2 Des représentations immersives de simulation d’effets et d’impacts : au-delà du planaire et du statique

Les participants, développant la volonté d’appréhender autrement les effets du projet, convoquent différents types de représentations. Ces types émanent d’une panoplie certes bien connue, mais alerte aux particularités du territoire et aux habiletés de chacun. Ainsi, sous cet angle, font-ils la part entre plan et vue, vue aérienne et vue à hauteur d’homme, image fixe et film vidéo, image réelle et image de synthèse en 3D. Une ligne de clivage apparaît donc ici, clairement.

Les participants discutent notamment des mérites de différentes modalités de vues prises du ciel en faisant bien la distinction entre vue planaire et vue plongeante. Ainsi la photo aérienne, projection orthogonale verticale analogique à un plan dessiné - qui a été proposée comme représentation visuelle du tracé de la LGV par RFF - pose d’emblée problème. Pour A6 : « ça ne me parle pas » ; pour A2 c’est déshumanisé / dénaturé, « c'est plat, c'est vide, on voit pas la vie, et nous, les animaux, la nature... on est où là-dedans ? ». L’objectivation planaire recherchée par ce type de représentation prive, justement, le sujet, en tant qu’être situé, de ses points de repère : le plan n’est pas une représentation qui s’habite (au moins de manière instinctive).

Des vues plongeantes, à vol d’oiseau, font partie des modes de représentation sollicités par les habitants de Castelferrus réunis. L’objectif est de s’affranchir de la représentation semi-abstraite et symbolique du plan, distancié par rapport au vécu sur le terrain, pour accéder justement à une vue approchant d’une réalité telle que ressentie et pratiquée. Celle-ci, étant plus intuitivement appréhensible, ne demande pas des opérations de déchiffrage mental préalables, ne requiert que peu de capacités d’abstraction, inégalement socialement distribuées.

Le souhait des participants se tourne alors vers des images réelles ainsi que des images de synthèse en 3D (aucun participant ne semble avoir eu accès aux images 3D sur le site GPSO). La photo prise à

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partir d’un hélicoptère est ainsi sollicitée. A2 oppose aux photos aériennes déjà citées « des photos d'hélicoptère pour se rendre compte » : ce sont des vues en contre-plongée, où la profondeur de champ, la mise en perspective rendent immédiatement lisible, reconnaissable et appropriable. Ce sont des vues largement répandues et popularisées (cf. émissions de télévision...). A6 imagine un scénario inspiré d’une mise en scène télévisuelle... « Ils filmeraient d'abord le paysage avec des espèces de petits hélicos avec caméra radio télécommandés » pour réaliser « une sorte de petite vidéo où ils incrusteraient le projet dans le paysage, en 3D ». Dans le prolongement, pour A2, il s’agit d’« un film des impacts réels que ça va avoir ».

Toutefois, de telles images de synthèse incrustées font partie de la série habituelle de représentations de rendu de projets, mais toutefois axées plus sur la communication ou l’adhésion au projet et non pas nécessairement sur la co-représentation et éventuellement la délibération. Le problème est que celui qui les réalise peut privilégier certains points de vue en faveur du projet tout en en censurant d’autres, afin de désamorcer des conflits potentiels ou avérés. C’est là que la demande de A6 pour « de petits hélicos avec caméra radio télécommandés » a tout son sens : il s’agit de garder le contrôle par la maîtrise sur l’outil de prise de vue.

Les participants expriment donc une demande pour la réalisation d’un film vidéo, préféré aux photos fixes, en surplomb. Ils insistent ici sur le fait que l’équipement est linéaire, traversant un - ou plusieurs - paysages et ayant des effets sur une succession de lieux : la photo fixe, montrant des lieux particuliers, même significatifs, interrompt la continuité. En outre, l’ubiquité des images de synthèse au cinéma, dans les jeux vidéo, fait que les gens sont habitués aux images composites, objet en 3D incrusté sur l’image réelle du lieu d’accueil. Ainsi, pour A1 « En 3D, on aurait pu mettre le curseur à la sortie du village de Castelferrus et voir ce que ça va donner ce pont de 200 m, ou pour quelqu'un qui vient chasser sur la Gimone, voir ce que ça donne depuis son point de chasse ». Et il ajoute : « en plus sur le film ils nous mettent même le niveau sonore, 130 dB ! ».

Un autre participant, B3, est, dans le prolongement, soucieux de rendre compte d’une réalité sensible.

Le point de vue aérien pose problème : il est tout sauf un point de vue quotidien, vécu sur le terrain.

Prenant comme exemple l’obligation de fournir des images montrant l’implantation d’un projet dans son environnement dans le cadre d’un permis de construire, il indique qu’il « serait pas mal d'avoir un point de vue qui permettrait de savoir... (...) des visuels photographiques, [mais] pas en hauteur ». Ce même souci est exprimé par rapport au recours à une maquette (réelle, non pas sur ordinateur). Là, la réduction d’échelle décontextualiserait l’appréhension du projet par rapport aux situations réelles. Pour B3 (auquel A2 fait écho), avec une maquette « on n’arrive pas s'y faire même si on met le petit bonhomme à côté de l'ouvrage... ».

Au final, les représentations planaires et statiques sont d’emblée évacuées pour y préférer des vues en perspective. Prises à différentes échelles, celles-ci permettraient de rendre compte du relief et de la diversité des paysages et ambiances qui fondent le caractère singulier du territoire. La cartographie est également préférée à d’autres formes, comme la maquette, laissant paraître le mouvement, la dynamique. Les participants évoquent la nécessité d’user de méthodes qui rendent compte du caractère complet et vivant du territoire (hélicoptère, curseurs 3D), dont la main maitresse obligerait à faire des choix. Enfin si la vue est le premier sens à considérer dans les représentations, l’idéal serait d’y adjoindre le son, soit d’interpeller au moins deux sens.

L’appréhension du projet passe donc ici, pour les participants, nécessairement par ce que l’on pourrait dénommer représentations habitées. Représentations que l’objectivation recherchée par les savoirs techniques des projets ne saurait incarner :

 non seulement en raison du déficit de saisie de l’ancrage des populations concernées, de leurs pratiques habituelles et expériences sensibles des territoires (decontextualisation),

 mais aussi en raison de la distance ainsi créé par la maîtrise des outils technique de représentation graphique.

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8.2.3.3 Expérimenter une cartographie du bien-être et de ses affects paysagers par l’auto-évaluation des « ressentirs » situés et visions projectives

Comment enquêter sur les vécus et ressentis des habitants, réalité diaphane si difficile à capturer ? Pour A4 « c'est pas évident de savoir ce qu'on apprécie », ce à quoi A6 ajoute : « parce qu'on le voit tous les jours ». A4 constate alors que des choses considérées comme allant de soi sont remarquées seulement quand elles sont enlevées : « c'est quand on l'a détruit que tu t'aperçois que tu y tenais ». La réalisation d’enquêtes leur semble alors une manière pertinente pour recueillir leurs avis. Pour B3 :

« pourquoi pas, ils font bien des enquêtes pour la téléphonie portable, des fromages... ». Interrogé sur le type de question à poser il donne comme exemple : « qu'est qui ferait que la ligne passerait mieux dans le paysage, par rapport à ce que vous voyez maintenant ? ». Ainsi réclament-ils que l’on reconnaisse la légitimité de leur jugement en les faisant participer à l’élaboration même des choix d’opportunité - et non pas simplement en les faisant choisir entre alternatives déjà définies par RFF. Et B3 continue, pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas simplement de l’image de certains lieux ou paysages, mais de la vision globale mentale, car il s’agit « pas forcément [de] la vue mais ce que les gens en pensent ».

Les participants abordent alors le paysage par le biais d’une montée en généralité, le but étant de déterminer quelles zones ont des attributs à préserver afin de pouvoir évaluer leur degré de compatibilité avec la LGV. Cette méthode proposée par les participants s’apparente d’abord à des atlas paysagers tout en s’en démarquant fortement, à la fois par les modalités de catégorisation convoquées et dès lors par le statut d’habitants actant, revendiquant leur propre subjectivité. Ainsi, lorsque les experts du paysage vont faire un travail analytique de division en unités paysagères, les habitants proposent des dispositifs en vue de réaliser des cartes d’affects paysagers : il s’agit très clairement de réaliser une cartographie du bien-être ressenti. Mais, comment ?

A1 s’inspire notamment des ZNIEFF, pour proposer un dispositif de classement du paysage où il s’agit d’« établir un protocole pour déterminer ce qu'est le paysage et sur une échelle de 1 à 10 estimer chaque paysage « ça c'est plus joli que ça », on aurait un maillage national des paysages remarquables. Alors si chaque population communale se réunit et décide ce qu'il faudrait préserver, ça ferait des tas de petits points [sur la carte à renseigner] ». La densité des points dessinerait une sorte de relief symbolique du bien-être. L’analyse montrerait alors les éléments ponctuels - un bâti, une place - ou étendus - un vallon, une colline - et permettraient par la suite échanges et dialogue sur les impacts de l’infrastructure à venir.

Surtout, les participants se posent clairement en auto-enquêteurs, esquissent, avec beaucoup d’imagination, des dispositifs analytiques permettant d’évaluer les paysages. Ils proposent de se constituer eux-mêmes en capteurs, mesurant la qualité des lieux composant leur territoire de vie par leur propre ressenti in situ. Dans les deux méthodes proposées, il s’agit ainsi de réaliser alors un travail collectif, cherchant à intégrer ensemble de la manière la plus démocratique possible la gamme des appréciations personnelles, profanes et situées. A1 explique : « Un agriculteur va pas avoir la même perception qu'un citadin, qu'un cycliste... (...) n'importe qui peut donner son avis, y'a pas besoin de connaissance technique, scientifique (...), toutes les classes sociales, tous les niveaux d'étude, les chasseurs, les écologistes, même un gamin de cinq ans on peut l'amener sur la colline et lui demander

« qu'est-ce qui te plait ? » ».

A6 fait une proposition allant dans le même sens de cette quête de reconnaissance : « sur une carte, si on a le choix, quadriller cette zone et donner 50 % du quadrillage à colorier en disant « c'est cette zone là que je veux préserver », et en regroupant les différentes zones, comme on aurait tous mis à peu près les mêmes balades on aurait regroupé ces zones-là, le reste est disponible pour le tracé, j'imagine ». Il s’agit d’une démarche moins rigoureuse que la première, mais qui aborde cette fois-ci la question de manière ludique et enrôlante, portée par une dose d’humour. A6 ajoute : « bon après, la ligne risque de faire ça [montrant un zig-zag] ». Un autre participant propose qu’« on prenne l'âne pour tracer le chemin ».

Les participants évoquent ainsi, par ces deux modalités, la nécessité d’un processus initiatique qui débuterait bien en amont du projet lui-même. Il s’agit pour eux de se déprendre du territoire du quotidien, pour en proposer une relecture médiale. Cette redécouverte permettrait alors à l’habitant

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d’accéder à une vision globale et par là d’évaluer ses propres opérations. Les cartes d’affects paysagers imaginées témoignent de cette capacité à proposer une lecture particulière et dès lors complémentaire des cartes d’experts, non pas « pour arbitrer les conflits, mais favoriser la co-construction d’instruments cognitifs qui permettent ensuite aux acteurs de mieux gérer des politiques de gestion, des actions, en intégrant les différents types de connaissances révélées par la participation, dans les projets territoriaux » (Paradis, Lelli, 2010, p. 4). Et l’idée centrale alors évoquée est celle d’un processus collaboratif d’élaboration de carte qui croiserait les multiples lectures et visions du territoire, permettant alors la participation de tout un chacun et par là d’atteindre des compromis : « it is possible to imagine thoughtful mapping that, tries to restore the social sense of places and, therefore, the identity of those living in the area represented » (Burini, 2012).

8.3. Conclusion intermédiaire (3) : la dialogisation des savoirs paysagers comme

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