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Le second moment fort de travail est l’imferza. Au mois de juillet, tom- bent les belah (sing. belha). Ce sont les dattes immatures, et les jardi- niers estiment que cette chute physiologique est positive : elle fonctionne comme une éclaircie garantissant que les dattes qui ne sont pas tombées seront plus grosses (les belah sont surtout destinées aux animaux d’élevage). À cette époque, l’exploitant doit de nouveau mon- ter à chaque palmier pour la suspension (fixation) des régimes, l’im-

ferza. Cette opération concerne surtout les cultivars deglet en-nûr, khwat et allig, plus fragiles que la plupart des autres variétés dites

communes. L’opération consiste à faire reposer chaque régime sur une palme afin que la tige de l’inflorescence ne casse pas (et ne condamne ainsi le régime de dattes). Ce sont surtout les régimes qui pendent hors de la frondaison qui sont les plus sensibles et exposés aux dégâts du vent. Certains jardiniers en profitent pour couper quelques régimes (et alléger le palmier), et faire le ciselage de ceux qui restent. Imferza aurait la même racine linguistique que freza, le verbe « trier ». Yferz, « il fait une suspension [de régime] » ; yefrez, « il trie les dattes ». Cette étymologie tiendrait au fait qu’il existe un triage, mais un triage naturel, quand on suspend : les belah tombent toutes

seules à ce moment, mais plus aucune après. Geneviève BÉDOUCHA

(1987) y fait allusion pour le Nefzawa, mais pour elle le rapprochement est dû à l’éclaircie qui se pratique au même moment que la suspen-

sion. En fait, le moment de l’imferza est le télescopage d’opérations habituellement étalées en arboriculture, l’éclaircissage des régimes, leur ciselage et, opération propre au dattier, leur fixation (ou suspen- sion). Tout aussi périlleux que la pollinisation, ce travail ne nécessite cependant pas plusieurs escalades du stipe. Pour certains jardiniers même, cette suspension des régimes se fait du premier coup et en une seule fois : ils s’y décident quand les régimes et les dattes grossissent. L’imferza est considérée comme une opération plus difficile que la pol-

linisation. Le salaire est différent aussi : 0,600DTcontre 0,500 par pal-

mier à Nefleyet. Les khammêsa chantent également pendant le travail de suspension de régimes.

« Pourquoi les khammêsa chantent-ils quand ils montent pour la pollinisa- tion ou l’imferza ? [Je pose la question à un khammês de El-Hamma.] « Pour passer le temps et parce qu’il est fier de lui-même. C’est difficile de monter aux palmiers. […] Je n’ai pas entendu Jamel (le waggâf) chanter depuis trois ans [qu’il travaille pour lui]. » Ce qu’il sous-entend est qu’il s’agit d’une spécificité, et comme monter au palmier, d’un savoir de kham-

mêsa. Ce sont eux qui connaissent les chansons. » (Mahmoud à Nefleyet,

le 16 juin 1995)

Les chansons parlent beaucoup de hobb, d’amour. Les chants sont entre- coupés d’exclamations des khammêsa alentour, dispersés dans les jar- dins des environs mais à l’écoute, avec « Idug(ek) en-nebbî » c’est-à-dire « le Prophète (te) frappe », « le Prophète te fait du mal », tempérant l’au- dace des couplets.

La récolte

Enfin, la récolte à l’automne est attendue, voire redoutée quand les conditions climatiques ne sont pas bonnes et ont abîmé la récolte. Elle

peut se décomposer en deux phases : la coupe des régimes (gattâ°a,

qui donne le nom à la récolte des dattes en général), et le tri des

dattes. Le coupeur (gattâ°) se hisse au sommet du palmier, sectionne

la hampe et remet le régime, qui passe de main en main, aux ouvriers en position sur le stipe en dessous de lui. L’ouvrier à qui l’on tend le régime est nommé meddâd (de madda, tendre) ou regêb. Le coupeur, dont le travail requiert une technicité et une adresse plus élaborées, est investi du prestige le plus important et reçoit le meilleur salaire en situation de salariat temporaire. Pour les cultivars moins fragiles, on descend les régimes à l’aide d’une corde ou, au pire, on les laisse tom- ber au sol sur une bâche. Cela dépend aussi de la hauteur du dattier, bien entendu. Une autre façon de récolter les dattes est le grappillage, très fréquent pour les autres fruits. Cette activité se nomme tinegya.

Parfois, une part importante de la récolte s’effectue ainsi par tinegya, petit à petit, guffa par guffa (couffin), en particulier pour les dattes des- tinées à l’autoconsommation familiale ou aux amis, et les cultivars dits de variétés communes. Le même type de cueillette s’observe à Djanet. On « pioche » sur les récoltes des cultures au fur et à mesure des besoins, on consomme souvent directement dans le jardin (raisin, pas- tèque, melon, potiron, grenade…). Cela tranche avec le regard que l’on peut avoir sur l’agriculture (en Europe), où si l’on sème et plante en masse, on récolte également en masse, meilleure façon aussi d’esti- mer les récoltes. Dans les oasis, la préoccupation n’est pas tellement la mesure exacte, on « goûte ».

Mis à part ce grappillage, tous ces travaux sur les palmiers sont consommateurs de main-d’œuvre, et de façon d’autant plus visible que l’activité se concentre sur trois moments forts, quelques semaines au total (fig. 20). Au contraire des travaux quotidiens (cultures basses le plus souvent, nettoyage, irrigation) qui s’accomplissent en solitaire, les travaux du sol et du palmier réclament bien souvent l’emploi tem- poraire de salariés agricoles, sinon l’entraide entre voisins ou kham-

mêsa : ce sont les travaux collectifs. Ce qui demeure un travail toujours

solitaire est l’entretien quotidien. En ce qui concerne les arbres frui- tiers, il ne s’agit quasiment que de grappillage et les soins qu’on leur prodigue sont minimes. Il n’y a jamais de travaux collectifs qui puissent se réunir autour ni de leur entretien ni de leur récolte.

Fig. 20 –

Exemple de dispersion de la masse horaire consacrée au dattier sur l’année. (Exemple de l’exploitation « Abdel Majid », El-Hamma, janvier 1995 à février 1996.)

Le savoir

La question du savoir, en matière agricole dans les palmeraies du Sud-Est tunisien, est particulièrement délicate. Autant il peut sembler que cette catégorie est singulièrement importante, et disons même obligée lorsqu’on traite d’agriculture et des relations d’une société à son milieu, autant le corps de ce savoir se délite quand on veut s’en

saisir. Quand G. DUPRÉ (1991 : 22) affirme que les « savoirs locaux

[en général] n’ont pas d’existence en dehors des rapports sociaux où ils sont pris et de la stratification sociale où ils sont mis en œuvre », pour le cas qui nous concerne je l’applique ainsi : ces savoirs agri- coles et du jardinage ne sont pas vraiment partagés par toute la société et sont circonscrits à une population particulière de kham-

mêsa et de propriétaires en mode de faire-valoir direct (même si

toute la société en profite directement ou indirectement). Et ces savoirs ne bénéficient pas d’une reconnaissance formelle, non seu- lement de la part des groupes hors de l’agriculture, mais aussi des jardiniers eux-mêmes.

Le cas du Jérid diffère sans doute de celui du tassili n’Ajjer. Les jardi- niers touaregs répondent au curieux par un implacable « on a toujours fait comme ça ». Il n’y a pas d’explication utilitariste, on ne justifie pas autrement les pratiques qu’en se référant à l’efficacité de ce qui a « toujours fonctionné », une validité par l’expérience. Mais c’est certai- nement qu’on a rarement demandé aux jardiniers de se justifier : ils n’ont pas encore eu beaucoup l’occasion de se confronter à l’altérité interrogative à ce niveau, sinon peut-être auraient-ils inventé cette catégorie du « traditionnel »…

Les jardiniers jéridis manipulent moins cette référence à une norme intemporelle. Toutefois, ils ne réfèrent pas non plus à un savoir légitime. Cela se fait, c’est ainsi. Mais contrairement au cas targui de Djanet, ici en Tunisie toute question demande réponse (même pour indiquer une direction pourtant ignorée). Les réponses à une même question sur les pratiques agraires sont très diverses, variant d’une personne à une autre, voire d’un moment à un autre : c’est toujours une improvisation (bien évidemment en rapport à l’attente supposée du curieux). Pourquoi fait-on ce travail ainsi, pourquoi pas autrement ? la pertinence des réponses des agriculteurs est dans ce cas superficielle, et elle ne résiste pas aux approfondissements, ils éludent alors la question. Il n’y a rien à cacher (sauf lorsque l’on pressent l’hétérodoxie, par exemple

Question à un jardinier du Jérid :

« Pourquoi faites- vous comme ça ? » Réponse :

« Parce que c’est comme ça que ça se fait. »

dans les prophylaxies du mauvais œil ou les sacrifices aux saints locaux). Tout se passe en fait comme s’il n’existait pas de corpus conscient de savoirs agricoles en tant que corpus.

Le savoir de chacun des jardiniers, pourtant indéniable, n’est pas gé- néralisé et distingué comme véritable savoir. De l’ensemble des savoirs, on ne fait pas une somme. C’est-à-dire que ce savoir se dis- tingue par une absence de formulation, de théorisation. La formation agricole ici se fait dans le jardin, par contact, et non via un corps constitué pédagogique (une école). Le travail s’apprend en situations réelles de pratiques. Le savoir agricole n’a en effet pas d’existence en tant que tel. Il n’y a pas une méthode, mais des choses à faire en situa- tions. Un jardinier me certifie qu’à part les disparités géométriques dans le jardin, les techniques d’agricultures sont toujours identiques à travers le Jérid. Il y a « juste des agriculteurs qui savent mieux cultiver, c’est-à-dire qui travaillent plus. »

« Mais pour l’agriculture, comme tous les métiers, il faut apprendre les techniques… ? demandais-je.

« Oui, il faut s’entraîner.

« Il y en a qui savent mieux que d’autres ? « Oui, surtout les vieux qui savent.

« La chaîne d’apprentissage entre vieux et jeunes existe-t-elle encore ? « Oui, j’apprends à des jeunes et moi j’apprends encore des vieux. » (Ridha, Nefta, le 1eravril 1996 ; idem Mahmoud de Tozeur, à Nefleyet, le 31 mars 1996)

Pourtant, ce savoir éclaté en autant de pratiquants recèle une homo- généité. Nous l’avons déjà dit : la variété des tafsîl (dessin des planches de cultures) et de leurs dénominations ne renvoie pas à des procédés d’irrigation différents. La façon demeure exactement iden- tique entre toutes les palmeraies du Jérid, et au-delà, dans toute la zone saharienne (pour autant que je n’ai pas connaissance de contre- exemple). Ce procédé est illustré par la figure 21).

Le cheminement des canaux à travers le jardin forme un dessin obs- cur au non-initié (la figure a d’ailleurs le tort de rendre « trop » lisible ce plan). L’irrigation d’un jardin exige un travail compliqué d’ouvertures et de fermetures de multiples canaux. La terre enlevée à un canal pour le passage de l’eau ferme l’adjacent. Le principe d’irrigation est tou- jours le même, quelle que soit la forme des planches de cultures. La figure présente l’exemple d’un ensemble de planches irriguées par un canal commun. Les différentes phases de l’inondation sont données dans l’ordre chronologique. Ici, lorsque rien n’est encore irrigué, l’eau

arrive par le canal (du bas vers le haut de chaque figure, puis se diri- geant vers la droite) et noie d’abord la planche en haut à droite (1). Une partie du rebord en terre de la planche du dessous est ensuite déplacée pour obstruer l’arrivée d’eau vers la première planche et dévier le courant vers cette deuxième planche (2). Il en va ainsi de suite jusqu’à inonder toutes ces planches (et le jardin). À la prochaine irrigation, l’inondation sera conduite selon la même méthode, mais exactement suivant le parcours inverse, puisque les « portes » des planches seront restées en place depuis la fois dernière (l’eau trouve son chemin toute seule dans un premier temps).

L’irrigation est un exemple de savoir, et un savoir essentiel puisque, c’est une évidence, il n’y a ni culture en sec dans l’oasis ni cultures plu- viales. C’est un travail dira-t-on classique, car à ma connaissance on procède ainsi dans toutes les palmeraies. Ces connaissances parta- gées par tout jardinier oasien sont nombreuses. Il en va ainsi de l’irri- gation, des travaux sur les palmiers, ou les cultures basses, sur l’élevage, etc. Ces connaissances des animaux, des plantes, sont indispensables à la tenue des jardins. Ainsi, il faut savoir que le net- toyage des planches de piment doit être soigneusement (et longue- ment) exécuté, car ses plantules sont facilement étouffées par les mauvaises herbes ; il faut savoir que l’on doit couper le bourgeon ter- minal des fleurs des oignons afin que le bulbe grossisse ; il faut savoir que le piment s’épuise en terre rapidement (on l’y laisse au maximum deux ans, la seconde année de récolte est déjà moins bonne). Ce bagage agricole, réel et efficace, n’est que rarement évoqué. Il est comme évidemment acquis. Si on demande à un néo-agriculteur (ancien nomade) comment il a appris l’agriculture oasienne, c’est une question qu’il ne comprend pas : il a toujours su être agriculteur ! … même s’il ne l’avait jamais pratiquée. Et c’est sans doute un fait : les pasteurs savent irriguer, grimper à un palmier ; mais pour le reste, c’est du domaine du bricolage, pour eux comme pour tous les jardiniers oasiens. Les jardiniers ne considèrent pas du domaine du savoir un ensemble de pratiques dont ils se partagent les recettes, sur le bord du chemin la faucille à la main ou autour du feu en sirotant un verre de thé. Le savoir minimal (comme grimper au palmier ou manier la sape) est ce qui autorise à s’inclure dans la communauté des jardiniers locaux, et ce n’est pas seulement des savoirs agronomiques, mais également de trajets, d’histoires, etc., sur les espaces. Il n’existe pas de tradition culturale fixée : ce sont toujours des essais, toutes sortes de « recettes » coexistent.

Fig. 21 – Progression d’une irrigation dans un ensemble de planches de cultures.

Par exemple dans les cultures associées : à Nefleyet, un khammês en 1995 a essayé d’associer dans la même unité de planches de cultures des oignons et des fèves. C’était la première et dernière fois qu’il le faisait, car les fèves ont étouffé les oignons. À Djanet, une vieille femme (juillet 1994) fait un essai de culture d’une composée ressemblant à une salade (selon elle), avec des graines données par des Européens de pas- sage (mais elle n’est pas convaincue qu’il s’agit bien d’une salade, elle a vérifié aussi la racine — « mais pas comme carotte » — alors elle a donné la plante aux chèvres). Un grand propriétaire dans la palmeraie de Tozeur tente de comprendre pourquoi les pluies bienfaisantes sont néfastes à la fructification du dattier à l’automne (voir comment ce problème est repris par les instances nationales de développement dans « L’exercice du pou- voir » p. 322). Il me raconte une de ses expériences : si on arrose avec de l’eau du robinet les régimes de dattes, il n’y a pas de problème pour les dattes. Mais il y a un problème si c’est la pluie. Pourquoi ? Il pense que dans la pluie existe une matière qui est mauvaise pour le palmier. Il va faire l’expérience en lavant après la pluie les régimes à l’eau du robinet. Je lui explique à tout hasard l’hypothèse de l’humidité. Il apprécie l’information. On tente, on essaye, on cherche. Si on se réfère au passé ou à une explication logique qui entérine le choix des pratiques, ce n’est que façade et au quotidien une attitude expérimentale prévaut. Les résultats sont plus ou moins mis en commun. La constitution d’un savoir agricole est alors relativement personnelle (mais mise en partage) et directe- ment liée à la notion d’expérience, dans les deux acceptions du terme. Ainsi : cet homme d’El-Hamma ne cultive pas d’arachide (kôwkôw) dans son jardin (dont il estime la terre trop salée), car c’est une plante sucrée, ce qui marche sur une terre salée est besbês (fenouil), silq (blette), slâta (salade), fassa (luzerne), basal (oignon) ; tel autre à Tozeur estime que les

jiser (bordures des planches) tiennent mieux l’humidité, c’est pourquoi il

met les blettes sur la périphérie et au milieu les courgettes et les radis par exemple ; tel autre encore à Nefleyet sème le mastûra (maïs) sur les bor- dures en même temps qu’il installe le piment dans les planches, cela pour le protéger du vent ; à Djanet différents jardiniers donnent des ventilations dissemblables des plantes entre les catégories « a besoin d’eau » et « n’a pas besoin de beaucoup d’eau » (ce qui influe sur le choix des cultures). Nous nous cantonnons à des exemples biologiques, alors qu’il faudrait pour être plus exhaustif étendre ces domaines, pourquoi pas, jusqu’à l’as- tronomie : certains jardiniers jéridis distinguent deux phases dans l’hiver, des nuits noires (el-leîli sud) et des nuits blanches (el-leîli el-bidh), de vingt jours chacune. La phase des nuits noires a les nuits et les petits matins froids et celle des nuits blanches est froide tout le temps, même le jour. C’est dans la période des nuits noires (après commence le printemps,

ruby°) que les fruitiers commencent leurs fleurs, c’est à ce moment égale-

C’est à mon sens ainsi que doivent se comprendre les savoirs locaux des jardiniers jéridis. Les jardiniers désignent certains d’entre eux comme de bons jardiniers, c’est-à-dire qui possèdent beaucoup de connaissances, mais le savoir n’existe pas en lui- même ; le savoir est commun, pas toujours partagé mais mis en partage. Ce sont des savoirs en situations de pratiques. Les anthro- pologues offrent parfois une « restitution » de leur travail à certains membres des sociétés étudiées : honnêtement, je la redoute ! la formalisation par l’écrit des savoirs et des pratiques me sera contre- dite par tous… Une précision est nécessaire : il est parfois de mode (fonctionnaliste) de plaider pour un rationalisme des sociétés/cul- tures traditionnelles dans la gestion de leurs environnements. Le fond idéologique de cette assertion est grosso modo que les socié- tés proches de la nature (sinon qui y seraient « incluses », toujours selon les porte-parole de ces idées) seraient restées les gar- diennes d’un savoir véritable, entretenant une parfaite symbiose avec leur environnement, perdue par la modernité industrielle. Il suffira de peu pour l’invalider pour le terrain oasien. Il est vrai qu’il faut se méfier de fausses apparences « illogiques » comme la pré- sence d’eucalyptus dans les jardins de Djanet : cela peut bien sem- bler une aberration agronomique pour ce que ces arbres consomment en eau. De ce point de vue, effectivement, c’est une aberration, cependant localement la chose est perçue différem- ment. Ce qui compte n’est pas l’eau bue, mais l’eau que l’on doit donner, c’est-à-dire le travail d’irrigation, les racines de cet arbre vont profondément dans le sol et on ne l’irrigue pas directement ; l’eucalyptus fournit du bois et sert de coupe-vent. Mais on ne peut pas toujours « rattraper » ces aberrations. L’agriculture porte typi- quement une grande attention aux rotations des cultures pour évi- ter l’épuisement des sols. Or, dans la palmeraie de Castilia au Jérid (exploitation « Brahim », 1995-1996), j’ai vu des agriculteurs faire suivre d’une jachère des parties du jardin qui avaient porté des cul- tures de fèves, c’est-à-dire de légumineuses, famille botanique connue pour enrichir le sol en azote (et donc qu’on fait suivre logi- quement de céréales ou de maraîchage). Il ne s’agit évidemment pas de porter un jugement de valeur sur les modes de relations au milieu, mais d’en tenter une analyse fine. Cette analyse procède d’un référent scientifique. Fatalement, les catégories conceptuelles qui sont les nôtres doivent chercher leur correspondance dans les locales.

Les savoirs agricoles locaux sont des savoirs en situations de pratiques.

Jeune femme triant les fèves au jardin. Avril 1993, Djanet (Algérie). Chez les Touareg Kel Ajjer, les femmes