• Aucun résultat trouvé

(des fers à béton, barres d’acier pour l’armature des dalles de béton en bâtiment). Au niveau de l’outillage, c’est la seule intégration ou le seul détournement massif et récent de composants techniques modernes, si l’on excepte l’usage timide du pulvérisateur (pour insec- ticide) (fig. 16).

Le plus banal de ces outils agricoles est sans doute la faucille à dents (scie) mahâshsha (b, manche 13 cm, fer 25 cm). L’agriculteur en dis- pose souvent de plusieurs qu’il peut laisser dans le jardin. Pour déra- ciner accroupi quelques mauvaises herbes, pour fabriquer des liens avec les folioles des palmes, casser la terre autour des melons ou cou- per la luzerne, les salades… il l’a très souvent à la main. Avec la mes-

ha (houe), c’est le signe distinctif du jardinier ; une plaisanterie raconte

comment un Jéridi encore muni de sa faucille parvient à se tirer d’af- faire dans cette jungle qu’est la capitale. Les jardiniers achètent sou- vent leurs faucilles (par deux) au début du printemps, car c’est surtout à cette époque que « pousse beaucoup de hashîsh ». Le préfixe « ma » en arabe peut désigner un outil (ou un lieu) et « hashsha » vient de hashîsh (herbe).

Fig. 16 – Photographies d’outils des oasis.

Un autre type de faucille (de type serpe) est réservé au palmier dat- tier : la menjel (g, manche 12 cm , fer 40 cm). Elle coupe la hampe d’un régime ou le rachis d’une palme. Cette faucille-ci est plus longue ; le fer est droit et anguleux (non courbé). Une troisième faucille, plus poly- valente, peut remplacer les deux premières : la manigsha (e, manche 12 cm, fer 27 cm). Sa forme, justement, est un compromis entre les deux autres, à la fois longue et courbe. Mais on préfère dans tous les cas conserver une mahâshsha pour couper les plantes basses. ` Certains jardiniers utilisent aussi le marshom, un sarcloir servant à désherber l’intérieur des planches au milieu des cultures dans les jar- dins à texture sableuse, sinon les terres légères et sèches. Le manche en bois est taillé de telle sorte qu’il possède un début de branche secondaire (contre lequel la main butte) ; le fer est plat (a, manche 35 cm, fer 12 cm).

La houe ou la sape, nommée mes-ha, possède une lame en fer élargie en pelle et un manche court en bois qui fait un angle aigu avec la lame. Cette sape sert au labour à bras, un retournement profond du sol qui se fait chaque année (fig. 17). Elle est aussi mise à contribution pour aérer le sol par un retournement léger avant d’installer une nouvelle

Fig. 17 – mes-ha manche : 55 cm fer : 30 cm. Désherber le jardin. Août 1995, Nefleyet (Tunisie). Préoccupation esthétique qui s’allie à une nécessité agroécologique, le désherbage, ici avec le marshom, est une entreprise « de domestication » sans fin.

culture, et pour reformer des ados qui limitent et divisent les planches de culture de manière complexe. Bien que cet outil soit défini par ces usages, son utilisation la plus courante se manifeste pendant les nûbât (les tours d’eau) : la mes-ha sert à ouvrir et fermer les « portes » des planches par des déplacements de sable, pousse l’eau dans les seguias. Pantalon retroussé, jambes raides et pieds dans l’eau, le corps penché en avant à soulever eau et terre, la mes-ha dans les mains, c’est la posture de l’agriculteur pendant les minutes, les heures d’irrigation. Les gestes sont précis et rapides : il faut que le maximum de la parcelle soit irrigué et que chaque zone reçoive sa juste quantité d’eau en fonction des plantes qui y poussent. « Ce sont des années d’habitude de travail inscrite dans les mouvements du corps que l’on

retrouve dans l’accomplissement du travail manuel » (PUIG, 1998 :

285). On peut ajouter que les gestes sont alors une mémoire qui s’ac- complit de la relation au monde et à la transformation du monde. Jardinier dans ses cultures.

Avril 1993, Djanet (Algérie). Cet homme porte sa houe, outil aussi indispensable ici qu’il est ignoré au Jérid par exemple. Avec les outils, qui ont rôle de médiateurs, ce sont les positions, le travail, les échanges avec l’environnement qui changent.

Tous les cultivateurs ne possèdent pas une °atla, mais ils peuvent tou- jours l’emprunter à un voisin si nécessaire. Il s’agit d’un ciseau massif de métal d’au moins un mètre (fig. 18). On l’utilise pour séparer à l’aide d’une masse le rejet de palmier dattier de son pied mère.

Un autre outil lié au palmier est le hajamya, un long couteau à la lame souple et tranchante (fig. 16 f, manche 20 cm, fer 20 cm). On le dis- tingue des autres couteaux qui sont dits mûs. Le hajamya sert unique- ment à la production de lêgmî, le jus de palme. Le palmier sacrifié est étêté, et chaque jour l’exploitant grimpe au sommet pour couper et racler le cal qui se forme à l’aide du hajamya afin que la sève continue de s’écouler. Le palmier mâle est censé donner plus de jus (sans pré- judice pour sa qualité).

L’inventaire que j’ai pu constituer de l’outillage des jardiniers Kel Ajjer de Djanet est assez distinct (et certainement incomplet). Comme dans le Jérid, on laisse souvent les outils agricoles sur place dans les jardins. Cela est surtout vrai en ce qui concerne les faucilles/couteaux ou scies, à dents irrégulières : les asars (ou asares). Elles sont consti- tuées d’un manche en bois d’arbre du jardin supportant une lame dentée, forgée localement et de facture assez grossière (manche 28 cm, fer 20 cm). Cette faucille n’a pas d’usage réservé et accom- pagne souvent le jardinier qui en possède parfois plusieurs. Elle sert entre autres à la coupe des mauvaises herbes, des feuilles de palmier et des régimes de dattes. Cet objet est aussi courant mais plus poly- valent que la mahâshsha jrîdîya ; son usage le rapproche de la manig-

sha, mais utilisé plus fréquemment, de manière plus systématique que

cette dernière.

L’agriculture oasienne de Djanet utilise le râteau acier — beaucoup plus rare au Jérid —, parfois la pioche alfas et fréquemment la houe

tamigrest ou encore une petite houe plus proche fonctionnellement de

la binette, la tatau (environ 40 cm de manche). Pioche, râteau et houe ressemblent beaucoup à ceux du jardinage européen. On note égale- ment une hache, la tazuf (environ 60 cm de manche), instrument de grosse coupe, d’aspect très rudimentaire à fer triangulaire (d’environ 20 cm) ; cet outil ressemble beaucoup à ceux inventoriés à Maradi (au

Niger) par Claude RAYNAUT(1981, voir ses fiches 3 et 4). Comme d’or-

dinaire au Jérid, les manches des pioches, râteaux, haches et houes sont fabriqués par leurs utilisateurs avec le bois des arbres de jardin (eucalyptus, grenadier, figuier…) et non des ligneux spontanés, en par- tie en raison de leur rareté et de leur faible croissance.

Fig. 18 – °atla fer : 120 cm.

Certains jardiniers du tassili n’Ajjer possèdent un outil utilisé pour apla- nir le terrain et reformer les buttes des rigoles et les limites de carrés de cultures ; sommairement, il s’agit d’une planche tractée par une personne suivie par une seconde personne qui la maintient à 45° envi- ron à l’aide d’un double manche. Il s’entend que ce type d’outil ne peut s’employer qu’en terrain meuble, condition assez courante dans les jardins de Djanet.

La houe tamigrest, qui est avec la faucille asars l’outil le plus courant, est utilisée pour les déplacements de terre lors de l’irrigation ainsi que pour le travail de la terre. Elle est l’homologue de la sape jéridi, la mes-

ha. Par exemple, lorsque l’on sème l’arachide (kôwkôw) dans les

planches, des trous dans le sol sont faits d’un coup de houe. Avant d’être ensemencée, la terre a été retournée avec le même outil, fumée d’excréments d’âne et aplanie au râteau.

Au Maroc, c’est encore une autre distribution des objets. Les outils principaux de la palmeraie de Zagora (oued Draa) sont la sape et deux types de faucilles. L’une d’elles coupe les régimes de dattes ou les dje-

rîd (palmes), elle est dentée et ressemble formellement à la faucille asars de Djanet. Cependant, plus spécialisé, ce type de faucille, sbar

ou temskert, se rapproche fonctionnellement de la menjel du Jérid. Dans la palmeraie d’Er-Rissani, plus à l’est sur l’oued Ziz, ce même outil est nommé localement m(a)zabra, dont est certainement issu le terme sbar (même radical, semble-t-il). Le second type de faucille de Zagora, nommée menjel — même nom que la faucille du palmier au Jérid, la ressemblance s’arrêtant là — possède une forme originale à fer coudé et courbé, et sert à couper les plantes herbacées (d, manche 12 cm, fer 18 cm). Cette faucille se retrouve à l’identique à Er- Rissani. Le fer coudé évite le frottement des doigts de la main sur le sol pendant la coupe (et par conséquent favorise un meilleur angle d’at- taque des tiges). Les autres faucilles de nos exemples tunisiens, algé- riens ou marocains résolvent cette question de confort par une asymétrie de l’objet : la lame se profile légèrement de biais. De fait, un droitier et un gaucher ne pourront pas utiliser les mêmes outils et le for- geron en fabrique dès lors les deux variantes.

Enfin, la sape ou la houe servant au travail du sol dans les palmeraies de Zagora se nomme medir. Tandis que la sape en usage au Jérid, la

mes-ha, demande à l’agriculteur d’avoir le dos très courbé, un peu à la

manière de la daba, la houe d’Afrique noire, la medir en revanche se rapproche plus de la houe européenne. La houe de Djanet, dite tami-

Le tableau 7 donne un récapitulatif des types de faucilles rencontrées au Jérid (Tunisie), à Djanet (Algérie) et Zagora et Er-Rissani (Maroc).

En ce qui concerne la catégorie des faucilles (ou apparentées), leur distribution fonctionnelle varie avec la distribution géographique. Dans les oasis du Sahara septentrional tunisien ou marocain, les outils des- tinés au travail sur le palmier dattier sont bien différenciés de ceux qui sont destinés aux cultures herbacées. À Djanet, oasis du Sahara cen- tral, la faucille est polyvalente et concerne autant ces deux types de cultures. (Dans la région voisine du Ahaggar, habitée par un groupe ethnique culturellement très proche de ces Kel Ajjer — les Touareg Kel Ahaggar —, la question ne se poserait pas puisque le dattier n’y est pas cultivé.) Au Jérid, il existe une forme intermédiaire de faucille, elle aussi en fait polyvalente. Il est curieux que la sbar qui, au Maroc, ne se conçoit que pour le palmier possède le strict équivalent au niveau de la forme à Djanet, l’asars, celle-ci servant également à la coupe des herbacées. C’est-à-dire que si les outils sont adaptés à leurs usages, leur forme ne semble pas déterminer uniquement tel ou tel usage. De ce partage des tâches plus ou moins effectif d’après le type de plantes, les absents sont les arbres fruitiers. Dans le discours des jar- diniers attribuant aux faucilles leurs rôles, on ne fait pas mention de ces arbres fruitiers pourtant très présents dans les jardins, parfois tout autant — si ce n’est plus, en quantité comme en espèces/varié- tés — que les palmiers dattiers. Existe-t-il d’autres outils qui leur sont assujettis ? Non : on utilise à la fois les faucilles des palmiers et les faucilles des herbacées selon ce que l’on veut couper, branches (selon l’épaisseur) ou fruits. Oubliés, les fruitiers se trouvent « quelque part entre » la production maraîchère et fourragère, et la phœnicicole. Et cela a peut-être à voir avec ce qui a été dit précédemment (« L’inventaire des plantes ») : bien que leur production ne soit pas tout à fait négligeable, elle tient d’une culture auxiliaire, supplémen- taire, rarement commercialisée, consommée sur place souvent par « grappillage ».

Tabl. 7 –

Les faucilles d’oasis et leurs usages. Régions/destinations Herbacées Polyvalente Palmiers

Oasis Jérid mahâshsha manigsha menjel

Oasis Djanet ———— asars ————

Oasis Zagora menjel sbar

Si les outils sont évidemment adaptés à leurs usages, leur présence n’est pas obligée et leur forme ne détermine pas toujours un usage précis.

Les matériels et outils mécanisés