288.Toutefois, l'intervention judiciaire dans la procédure de règlement préventif du droit OHADA
n'a lieu qu'après le dépôt, par le débiteur, d'une proposition de concordat, manifestant ainsi sa
volonté de négocier avec ses créanciers. À cet effet, l'article 8, AUPC, prévoit que la décision
qui prononce la suspension des poursuites nomme un expert, dont la mission sera, entre
autres, de concourir à cette négociation.
§.2- Les suites de la suspension des poursuites : la négociation du concordat
289.Une fois acquise l’autorisation de régler à l’amiable les difficultés de l’entreprise, le juge cède
le devant de la scène aux parties, la convention évoluant, toutefois, dans un environnement
judiciaire
573. Ainsi, sans perdre son fondement contractuel, le règlement préventif est mené
sous les auspices judiciaires, permettant au débiteur et ses créanciers de négocier librement,
avec le concours de l’expert.
A- Les parties à la négociation
290.La négociation des termes de l’accord préventif se déroule entre l’entreprise en difficulté et
ses créanciers, et rentre, pour le débiteur, dans le cadre des rapports d’une personne morale
avec les tiers
574. Par conséquent, ce sont les représentants légaux de cette personne morale qui
doivent participer aux discussions. S’il s’agit d’un commerçant, personne physique, il ne fait
aucun doute que ce dernier est habilité à participer à la négociation. Toutefois, du fait de la
suspension des poursuites, les pouvoirs des dirigeants peuvent être limités, sans qu’il y ait lieu
de parler de dessaisissement
575. Il s’agira, dans tous les cas, pour le débiteur, de faire accepter
par ses créanciers, ou au moins les principaux
576d’entre eux, les remises et délais sollicités en
573 LE CANNU (P), LUCHEUX (J.-M.), PITRON (M) et SÉNÉCHAL (J.-P.), Entreprises en difficulté, op. cit., n° 184.
574 LE CANNU (P), Prévention et règlement amiable des difficultés des entreprises, op. cit., n° 191, p. 147.
575 Article 11, AUPC; LE CANNU (P), LUCHEUX (J.-M.), PITRON (M) et SÉNÉCHAL (J.-P.), op. cit., n° 188.
576 En droit français, il a été précisé par le garde des sceaux, à propos du règlement amiable de la loi 1984, que cette solution a été retenue dans un souci de souplesse, de rapidité, aussi bien que d'efficacité: "Il importe de mettre entre les mains des parties concernées les meilleures possibilités d'accord. Il est donc indispensable d'éviter que le conciliateur n'ait à recevoir ou à réunir la totalité des créanciers en vue de parvenir à un accord avec chacun d'entre eux… C'est la raison pour laquelle nous avons proposé la formule "principaux créanciers", étant entendu qu'il appartient au conciliateur d'apprécier cette notion" (Déclaration du garde des sceaux, J.O., 17
vue du redressement de son exploitation. D’où la nécessité pour lui d’élaborer un plan sérieux
et fiable
577, assurant la viabilité de l’entreprise, donc la consolidation ou le retour à une marge
brute d’autofinancement positive
578. Il est, en effet, évident que l’entreprise ne pourra obtenir
un concordat préventif de la part de ses créanciers que si, à l’appui de ce moratoire sont
prévues et programmées un certain nombre de mesures qui donneront au plan de
redressement un véritable caractère de crédibilité
579.
291.S’agissant des créanciers, on rappellera que le règlement préventif étant de nature
contractuelle, seuls devraient y participer les créanciers qui le veulent bien. Cependant,
comme nous l’avons vu, la négociation se fera avec les créanciers désignés par le débiteur
dans la requête introductive, avec toutes les conséquences relevées : notamment la possibilité
de poursuites diligentées par les créanciers non appelés, ce qui est de nature à perturber
gravement le redressement envisagé. Il aurait fallu, par conséquent, viser les principaux
créanciers
580, étant donné que la liste de tous les créanciers, avec indication du montant de
leurs créances, est jointe à la demande déposée par le débiteur, conformément aux
dispositions de l’Acte uniforme
581. De cette manière, le président ou l’expert pourrait user de
son autorité morale pour convaincre le débiteur à appeler tel ou tel créancier qu’il avait
préféré laisser en dehors de la négociation
582.
292.Seraient ainsi appelés à participer à la négociation, ceux qui détiennent le pouvoir, en
précipitant le recouvrement de leur créance, et faute de concession, de paralyser la vie de
nov. 1983, Débat Sénat, p. 2954); MATHIEU (M), La participation du banquier au règlement amiable des difficultés des entreprises, JCP E 1986, 14805, p. 690.
577 SAINT-ALARY-HOUIN (C), Droit des entreprises en difficulté, 6ème éd., op. cit., n° 310.
578 GAVALDA (CH) et MENEZ (J), Le règlement amiable des difficultés des entreprises, op. cit., n°15.
579 V. PAILLUSSEAU (J), L'ouverture du règlement judiciaire, in L'enjeu du nouveau droit des faillites, Litec, 1985, p. 18 et s.; v. sur l'ensemble de la question de crédibilité du plan de redressement, BEHAR-TOUCHAIS (M), Les plans de sauvegarde et de continuation, Rev. proc. coll. 2005-4, p. 363; BLANC (G), Le plan de sauvegarde, Rev. proc. coll. 2006, p. 182; LEBEL (C), L'élaboration du plan de redressement de l'entreprise, PUAM, 2000; Les plans de sauvegarde et de redressement dans l'ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal. 6-7 mars 2009, p. 46; LUCAS (F.-X.), Du plan de continuation au plan de sauvegarde, la restructuration de l'entreprise, Lamy dr. aff. mars 2005, p. 35; Les Petites Affiches, 8 févr. 2006, p. 75; MONSERIE-BON (M.-H.), Le plan de sauvegarde issu de la loi du 26 juillet 2005, Dr. et patri. mars 2006, p. 73; PEROT-REBOUL (C), Les plans dans la loi de sauvegarde des entreprises, Les Petites Affiches, 17 févr. 2006, n° 35, p. 30.
580 En droit français, l’art. 35, al. 3, de la loi du 1er mars 1984, relative au règlement amiable, visait un accord conclu avec "les principaux". La loi de 1994 n’a pas repris la notion de "principaux créanciers" pour l’accord du règlement amiable de droit commun ; le conciliateur devait "rechercher la conclusion d’un accord avec les créanciers" (art. 36, al. 1er), mais le maintint pour le règlement amiable agricole (art. 25). Mais, la loi de 2005 va ramener la notion dans la procédure de conciliation en décidant que l’accord peut réunir les "les principaux créanciers" ainsi que, si le conciliateur l’estime utile, "ses contractants habituels" (C. com., art. L. 611-7).
581 Article 6, AUPC : "En même temps que la requête, le demandeur d’un règlement préventif doit déposer : … l’état chiffré des créances et des dettes avec indication du nom et du domicile des créanciers et des débiteurs".
l’entreprise et de l’amener au dépôt du bilan
583; c’est-à-dire, selon un critère quantitatif et
objectif, ceux dont le montant des créances est élevé et qui disposent d’importantes
garanties
584. Peu importe, par conséquent, que la créance ne soit pas exigible, ni même
liquide. Un titre exécutoire n’est pas nécessaire
585. L’important est qu’elle risque de le
devenir à brève échéance. On retrouve souvent parmi cette catégorie, le Trésor, la Sécurité
sociale, les organismes de prévoyance, les banques et les principaux fournisseurs
586. Pourront,
en outre, être appelés, les créanciers de moindre importance, mais dont l’effort peut
contribuer au fonctionnement de l’entreprise
587. Les salariés ne figureront, en général, pas
parmi les principaux créanciers
588.
293.En tout état de cause, le règlement préventif doit toucher un nombre suffisant de créanciers,
ou, plus exactement, une part suffisante du passif
589, pour que l’accord revête une réelle utilité
économique, et puisse atteindre son efficacité, c’est-à-dire, permettre la réussite du plan de
sauvetage. Sur tous ces points, le président devrait pouvoir contrôler la demande du débiteur
et devrait pouvoir l’inviter à la modifier, s'il l'estime nécessaire à la réussite de l'opération.
294.Entre ces deux parties – le débiteur et les créanciers – la négociation s’instaurera librement
590en la présence de l’expert, dont les suggestions pourraient en pratique être déterminantes. Le
débiteur tentera d’obtenir des sacrifices, les créanciers chercheront à les mesurer et à en
583 GAVALDA (CH) et MENEZ (J), Le règlement amiable des difficultés des entreprises, op. cit., n°19.
584 SOINNE (B), La réforme des procédures collectives: la confusion des objectifs et des procédures, Rev. proc. coll. 2004-2, p. 81 et s.; CHAPUT (Y), La nouvelle architecture du droit français des procédures collectives, JCP G 2005-46, I, 184, n° 37 et s.; LEGROS (J.-P.), La nouvelle procédure de sauvegarde, Dr. sociétés, novembre 2005, n° 31; PETEL (P), Le nouveau droit des entreprises en difficulté, JCP E 2005-42, 1509, n° 90.
585 LE CANNU (P), Prévention et règlement amiable des difficultés des entreprises, op. cit., n° 193.
586 MARTIN (J.-F.), Le règlement amiable, Gaz. pal. 1984, II, 328, n° 21; v. pour des opinions d'après la réforme, BREMOND (G) et SCHOLASTIQUE (E), Réflexions sur la composition des comités de créanciers dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, JCP E 2006, 10, 1405; DAMMANN (R), Les comités de créanciers dans la loi de sauvegarde, Rev. Lamy dr. aff., mars 2006, p. 65; LE CORRE (P.-M.), Les irrégularités affectant la composition et le vote des comités de créanciers dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, D. 2007, p. 822.
587 RIVES-LANGE (J.-L.), Le règlement amiable, bilan de trois années d’application, Banque et droit, n° 2, janvier-février 1989, p. 5.
588 GUYON (Y), Le règlement des difficultés des entreprises, Dr. soc., 1985, 267
589 Traitant de la notion de "principaux créanciers" de l’art. 35, al. 3, de la loi du 1er mars 1984, le Prof. LE CANNU observe que dans cette notion, on peut repérer d’abord une signification quantitative, l’appréciation étant ainsi fonction de la dimension de l’entreprise débitrice. Ensuite, les garanties dont la créance est pourvue sont de nature à la faire accéder au rang de créance principale, ces considérations étant sans doute plus importantes que celles qui tiennent à la seule personnalité du créancier quoique la politique de recouvrement des créanciers ne soit pas non plus un élément négligeable (Prévention et règlement amiable des difficultés des entreprises, op. cit., n° 194, p. 149).