par le requérant au président, qui ne disposerait lui-même d’aucun pouvoir ni moyen de
contrôle de l’honorabilité et de la compétence de l’expert ainsi désigné. Que le nom de
l’expert soit "suggéré" ou carrément proposé par le débiteur n’est pas une mauvaise chose en
soi. En droit français, le législateur accorde au débiteur le droit d’en proposer un au président
et de récuser celui que ce dernier a choisi
519. Toutefois, les missions assignées au conciliateur
du droit français n’étant pas les mêmes que celles assumées en droit OHADA par l’expert,
toute possibilité qu’aurait le débiteur d’interférer dans le choix de celui-ci pourrait avoir de
graves conséquences sur le bon déroulement de la procédure du règlement préventif. On
pourrait, en effet, assister à des retards inexpliqués dans le dépôt du rapport de l’expert, selon
que celui-ci est animé de la volonté de favoriser les intérêts du débiteur ou bien ceux des
créanciers
520.
258.Les nombreuses imprécisions sur le choix et le statut de l’expert constituent donc de réelles
difficultés pour une procédure telle que le règlement préventif, dont la réussite dépend dans
une large mesure de la neutralité et de l’honnêteté de tous les intervenants dans l'exercice de
la mission qui est la leur.
B- Des imprécisions affectant la mission de l’expert
259.La mission de l’expert est importante. L’article 8, AUPC, dispose expressément qu’il est
désigné par le président de la juridiction compétente pour « lui faire rapport sur la situation
économique et financière de l’entreprise, les perspectives de redressement compte tenu des
délais et remises consentis ou susceptibles de l’être par les créanciers et toutes autres
mesures contenues dans les propositions du concordat préventif ». C'est la mission habituelle
518 FENEON (A), Le règlement préventif : analyse critique, op. cit., p. 22.
519 Article R. 611-26 et R. 611-27, C. com.
520 CA, Abidjan, 1er avril 2005, NORDISK c/ HAIDAR BOIS EXOTIQUE, Juris-Ohada, n° 4/2006 p. 40, qui prononce la caducité d’une ordonnance de suspension des poursuites décidée depuis le 19 mars 2003, pour défaut de dépôt du rapport de l’expert, soit plus de deux ans après la prise de fonction de celui-ci ; CA, Lomé, 2 septembre 2008, BIA-TOGO c/ UDECTO SA : annulation de l’ordonnance de suspension des poursuites individuelles pour défaut de dépôt de son rapport par l’expert ; TPI Libreville, 17 janvier 2005 : l’expert dépose son rapport huit mois après sa nomination, et le Tribunal se prononce onze mois plus tard pour constater la cessation des paiements, puis le redressement judiciaire de la société "Général Business Machines" et homologue son concordat, qui certainement avait été élaboré dans le cadre du règlement préventif. V. les observations amusées du Prof. SAWADOGO, sous art. 13, AUPC, OHADA, Traité et Actes uniformes… op. cit.
de l’expert en diagnostic d’entreprise
521. Il s’agit, en effet, pour l’expert d’apprécier la
situation du débiteur, afin de déterminer l’étendue de ses difficultés, tant économiques que
financières, pour en dresser rapport au président.
260.C’est donc une mission d’investigation dans le cadre d’une procédure collective, ce qui peut
l'amener à s’adjoindre un expert-comptable (si lui-même ne l’est pas déjà), sans que les
opérations soient entachées de nullité
522. Pour atteindre ce but, l’expert dispose d’énormes
prérogatives et de plusieurs moyens d’information. Il peut, nonobstant toute disposition
législative ou réglementaire contraire, obtenir communication par les commissaires aux
comptes, les comptables, les représentants du personnel, les administrations publiques, les
organismes de sécurité et de prévoyance sociales, les établissements bancaires ou financiers,
ainsi que les services chargés de centraliser les risques bancaires et les incidents de paiement,
des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique
et financière du débiteur
523. Il ne peut donc, dans ses investigations, se voir opposer un refus
quelconque fondé sur le secret professionnel
524.
261.Il est, toutefois, à craindre que ces demandes de renseignements n’ébruitent les difficultés du
débiteur et ne compromettent le redressement espéré
525. On aurait pu, à ce stade de la
procédure, prévoir comme en droit français, que toute personne qui est appelée à la procédure
ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité
526, quand bien même
le concordat qui sera conclu soit destiné à être publié après son homologation. Cela aurait
contribué à conduire la procédure au moins jusqu'à son homologation, c'est-à-dire, jusqu'à son
terme, ce qui lui garantirait du coup une plus grande efficacité, les créanciers non appelés au
concordat ne devant être informés qu'après la publication subséquente à l'homologation.
262.En outre, et comme l’ont souligné plusieurs auteurs
527, l’étendue des pouvoirs octroyés à
l’expert auraient dû être suivie de précisions sur les qualifications et compétences à réunir
521 Art. L. 813-1, C. com. : "Les experts en diagnostic d’entreprise sont désignés en justice pour établir un rapport sur la situation économique et financière d’une entreprise en cas de procédure de conciliation ou de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire."
522 Com. 23 juin 1998, D. 1999, somm. comm., p. 71, obs. A. HONORAT ; Procédures, éd. J.-Cl., janv. 1999, p. 14 ; RJDA 11/98, n° 1248, p. 938 ; Act. proc. coll. 31 juill. 1998 ; n° 78.
523 Article 12-1, AUPC.
524 TIGER (Ph.), Le droit des affaires en Afrique, OHADA, PUF, Coll. Que sais-je ? n° 3536, 1999, p. 112.
525 PEROCHON (F) et BONHOMME (R), Entreprises en difficulté, … 7ème éd. LGDJ, 2006, n° 73, p. 52.
526 Art. L. 611-15, C. com.
527 V. not., SAWADOGO (F. M.), obs. sous art. 41, AUPC ; ROUSSEL-GALLE (Ph.), OHADA et difficultés des entreprises, op. cit. n° 28, p. 64 ; FENEON (A), Le règlement préventif, op. cit., p. 22.
avant l’exercice d’une telle mission. Ce qui pourrait se faire dans le cadre d’une
règlementation de ces professions d’auxiliaire de justice
528, en précisant les conditions
d’admission et les modalités de rémunération
529.
263.La mission de l’expert, quoique vaste, est assurément brève : deux mois au maximum, sauf
autorisation motivée du président de la juridiction compétente de proroger ce délai d’un mois.
Ce qui fait au total trois mois pour déposer le rapport. Le dépôt du rapport de l’expert est
particulièrement important pour la suite de la procédure, puisqu’il contient le concordat
préventif conclu, qui doit faire l’objet d’une homologation par la juridiction compétente.
Cependant, de nombreuses décisions révèlent que ce délai n’est généralement pas respecté
530,
malgré la disposition du texte qui précise que l’expert engage sa responsabilité auprès du
débiteur ou des créanciers en cas de non-respect du délai. Aussi est-il proposé d’obliger ou au
moins d'encourager l’expert à souscrire une assurance
531, en vue de la mise en œuvre de cette
responsabilité, ou comme l’ont fait déjà certaines juridictions
532, de frapper de caducité la
décision de suspension des poursuites individuelles dès lors que le rapport de l’expert n’est
pas déposé dans le délai de deux ou trois mois
533.
264.Synthèse de la section 2. La preuve de la situation du débiteur justifiant l’octroi de la mesure
préventive semble donc difficile, du fait de l’étendue et de la variété des documents exigés à
l’appui de la demande. Une intervention du législateur serait dès lors utile, afin de limiter le
nombre des documents à ceux strictement indispensables (notamment les pièces comptables)
528 Il pourrait être envisagé, à l’instar de ce que prévoit l’Acte uniforme portant droit commercial général, la création, dans chaque Etat partie d’une liste nationale d’auxiliaires de justice (experts, syndics, etc.), près chaque cour d’appel ; ensuite, une liste OHADA regroupant les meilleurs auxiliaires de justice des divers Etats partie, sélectionnés sur une base de compétence et de moralité, cette 2nde liste devant être tenue près la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
529 Sur la question de fixation de la rémunération des auxiliaires de justice, v. les obs. de SAWADOGO, sous art. 41, AUPC et les décisions citées.
530 V. les obs. et les nombreuses décisions citées par SAWADOGO sous art. 13, AUPC. On citera à titre d’ex., TPI Libreville, 19 juin 2006, faisant suite à l’ordonnance du 1er sept. 2005 suspendant les poursuites contre la société SENBT et nommant un expert, connaît de la contestation de ladite ordonnance par un créancier qui sollicite sa rétractation en raison du non-respect du délai de 2 ou 3 mois pour le dépôt du rapport de l’expert, près d’un an s’étant écoulé depuis la nomination. La nouvelle ordonnance, se basant sur le fait que l’ordonnance de nomination a été prise conformément à la loi, décide simplement de remplacer le premier expert par un nouvel expert en rappelant à ce dernier qu’il a un délai de 2 mois pour déposer son rapport – Trib. com. Bamako, 2 mars 2005, qui prononce la liquidation des biens de la société SOGEP-Mali, après avoir attendu plus de 20 mois après le dépôt du rapport de l’expert, celui-ci, nommé dans le cadre du règlement préventif, n’ayant lui aussi déposé son rapport que trois mois et demi après sa nomination.
531 ROUSSEL-GALLE (Ph.), OHADA et difficultés des entreprises, étude critique, op. cit. n° 29, p. 65
532 CA, Abidjan, 1er avril 2005, NORDISK c/ HAIDAR BOIS EXOTIQUE, Juris-Ohada, n° 4/2006 p. 40 : prononcé de la caducité d’une ordonnance de suspension des poursuites de plus de deux ans, pour défaut de dépôt du rapport de l’expert.