277.Aux termes de l’article 8, AUPC, dès le dépôt de la proposition de concordat préventif,
celle-ci est transmise, sans délai, au président de la juridiction compétente qui rend une décelle-cision de
suspension des poursuites individuelles, et désigne un expert pour lui faire rapport sur la
situation économique et financière de l’entreprise. La suspension des poursuites ne peut donc
avoir lieu qu’après le dépôt d’une offre de concordat préventif (§-1) par le débiteur, qui doit
alors entrer en négociation avec ses principaux créanciers, avec l’aide de l’expert (§-2), en
vue de trouver un accord sur les modalités de redressement de l’entreprise commerciale.
§.1- Le moment du prononcé de la décision de suspension
278.La décision de suspension des poursuites individuelles diligentées contre le patrimoine du
débiteur est soumise au dépôt d’une offre de concordat préventif (A) ; ce qui peut être tardif
et impropre à favoriser l’efficacité de la mesure, puisque ce dépôt peut n’intervenir qu’un
mois après la requête en règlement préventif. Un prononcé immédiat de la décision de
suspension semble à cet égard beaucoup plus propice à favoriser une ouverture rapide de la
phase de formation du concordat ; ce qui garantirait une plus grande efficacité de la procédure
(B)
554 VALLENS (J.-L.), L’effet du redressement judiciaire sur les instances en cours, RTD com. 1991, 529
555 Civ. 1ère, 8 mars 1988, D. 1989, 577, note J. ROBERT ; 5 févr. 1991, Bull. civ. I, n° 44, p. 28 ; 19 déc. 1995, D. aff. 1996, 241, et plus récemment, Civ. 1ère, 6 mai 2009, n° 08-10281, B, D. 2009, 1422, note DELPECH, qui rappelle que "le principe de suspension des poursuites individuelles en matière de faillite est à la fois d'ordre public interne et international".
A- Une décision soumise à l’offre de concordat
279.La nature de la décision de suspension des poursuites individuelles, en elle-même, ne devrait
soulever de problème majeur. L’absence de contradiction excluant le référé
556, le régime des
ordonnances sur requête
557semble donc le plus proche
558. Toutefois, à s’en tenir à la lettre de
l’article 8, AUPC, le président de la juridiction compétente ne semble disposer d’aucun
pouvoir d’appréciation
559quant à l’opportunité du prononcé de la décision. Le texte dispose,
en effet, que « dès le dépôt de la proposition de concordat préventif, celle-ci est transmise,
sans délai, au Président de la juridiction compétente qui rend une décision de suspension des
poursuites individuelles… » Cela veut dire que le juge est tenu de prononcer de manière
automatique la suspension des poursuites dès réception de l’offre du débiteur. Il n’a ainsi
semble-t-il pas le droit d’examiner le contenu de la proposition et ne semble même pas
pouvoir opposer un refus au débiteur, puisque la décision de suspension n’est apparemment
pas motivée et n’est susceptible d’aucune voie de recours
560. Le président ne peut se faire une
idée de la viabilité des propositions du débiteur qu’à l’issue du rapport de l’expert qu’il est
tenu de nommer en même temps dans la décision de suspension des poursuites individuelles.
Pourquoi alors attendre le dépôt d’une proposition concordataire avant le prononcé de la
suspension des poursuites ?
556 CALENDINI (J.-M.), La loi du 1er mars 1984…, Les Petites Affiches, 1984, n° 62, p. 16 ; GUYON (Y), Droit des affaires, T. 2, 9ème éd., op cit., n° 1086, p. 96 ; CALENDINI (J.-M.), Commentaire du décret du 1er
mars 1985, Les Petites Affiches, 1985, p. 22, n° 83 ; v. à propos du règlement amiable, art. 39-1 nouveau du décret du 1er mars 1985, pris pour l’application de la loi du 1er mars 1984 sur le règlement amiable, qui dispose que les ordonnances prises en matière de règlement amiable sont exécutoires de plein droit, à titre provisoire, et sont susceptibles d’un recours en rétractation formé en référé, par tout intéressé.
557 V. à propos de la décision de désignation du conciliateur, GUYON (Y), Droit des Affaires, T. 2, 9ème éd., op. cit, n° 1086, pour qui cette décision "prend la forme d'une ordonnance sur requête, et est susceptible d'un recours en rétractation, notamment en cas de rejet, puis d'un appel (Décret du 1er mars 1985, art. 39-1)".
558 La plupart des décisions rendues en la matière font d’ailleurs état d’ordonnance de suspension des poursuites : CA, Abidjan, 1er avril 2005, NORDISK c/ HAIDAR BOIS EXOTIQUE, Juris-Ohada, n° 4/2006 p. 40 ; CA, Lomé, 2 septembre 2008, BIA-TOGO c/ UDECTO SA ; Tribunal régional hors classe de Dakar, Jugement N° 1466 du 30 juillet 2001, OHADATA J-04-339 ; Tribunal régional hors classe de Dakar, ordonnance du 23 février 2001, Ohadata J-04-338 ; Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, Jugement n° 286 du 03 novembre 2004, Ohadata J-05-233 ; Tribunal de Première Instance de Libreville, Jugement, Répertoire n° 48/2002-2003 du 11 juillet 2003, Ohadata J-04-144 ; Tribunal de Première Instance de Libreville, Ordonnance de référé, Répertoire n° 714/ 2002-2003 du 26 septembre 2003, Ohadata J-04-145 ; Tribunal de première Instance de Douala-Bonanjo, Ordonnance n° 251 du 29 juin 2006, Affaire OMAIS KASSIM c/ La société S.D.V. CAMEROUN SA, note Jean GATSI et Willy James NGOUE ; Ohadata J-07-81.
559 ROUSSELL-GALLE (Ph), OHADA et difficultés des entreprises, Etude critique, op. cit., n°24.
280.En effet, aux termes de l’article 7, AUPC, le débiteur a jusqu’à un mois, à partir de la requête
en règlement préventif, pour déposer l’offre de concordat, dépôt après lequel est prononcé la
suspension des poursuites diligentées par les créanciers contre le patrimoine de l’entreprise
débitrice. Or, pendant ce laps de temps, ces derniers, informés des difficultés du débiteur, ont
eu le temps de recouvrer leurs créances, ou au moins de prendre les dispositions nécessaires,
afin d'en garantir le recouvrement. Les créanciers chirographaires ont ainsi pu réclamer et
obtenir des souscriptions de garanties, les créanciers nantis ou disposant de privilèges ont pu
renforcer ceux-ci. Dans ces conditions, la suspension des poursuites individuelles risque de
n’intervenir que tardivement, et son objectif, difficile à atteindre, étant entendu que la
conclusion d’un accord entre le débiteur et ses créanciers, que vise la suspension des
poursuites, n’est généralement obtenue que lorsque ces derniers jugent la procédure
préventive de nature à mieux préserver leurs intérêts qu’une procédure collective classique.
Aussi refusent-ils, de façon générale, le dialogue dès lors qu’ils ont organisé leur
désengagement et n’ont plus beaucoup de risques
561.
281. Il aurait fallu prévoir le prononcé de cette suspension automatique des poursuites beaucoup
plus tôt, notamment dès le dépôt de la requête introductive d’instance par le débiteur, à
l’instar de ce qui se fait dans un certain nombre de systèmes juridiques modernes. C’est
l’exemple du droit américain où s’applique la règle de suspension automatique des poursuites
– automatic stay, indépendamment de toute décision du tribunal, la procédure de suspension
automatique étant ouverte dès que la requête du débiteur est enregistrée
562. C’est également le
cas du droit libanais où le simple dépôt de la demande de concordat préventif emporte de
facto suspension immédiate des poursuites individuelles. Ainsi, aucun créancier antérieur ne
peut, à peine de nullité, entamer ou poursuivre une procédure d’exécution, acquérir un droit
de préférence quelconque sur les biens du débiteur, ni faire inscrire une hypothèque
563. C’est
encore l’exemple du droit Allemagne et du droit Canadien.
282.En Allemagne, le tribunal peut prendre des mesures conservatoires, parmi lesquelles la
suspension des poursuites
564, et ce, avant même de se prononcer sur la recevabilité et sur la
validité de la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité. La nouvelle loi qualifie
561 GAVALDA (CH) et MENEZ (J), Le règlement amiable des difficultés des entreprises, JCP G, 1985, I, 3196, n°15
562 Doc Sénat, n° 135, Etude de législation comparée, op. cit., Juin 2004, p. 9.
563 NAMMOUR (F), Les procédures collectives en droit libanais, op. cit., p. 184.