• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Rhétorique iconique et rhétorique plastique

2.1.1. Rhétorique du type

2.1.1.1. Rhétorique du type : figures par coordination

2.1.1.1.2. Suppression-adjonction de coordination

La figure rhétorique, s’agissant de la suppression-adjonction de coordination, est bâtie autour de deux processus, l’un est la suppression, l’autre l’adjonction. Le Groupe µ propose deux critères, la réversibilité et la hiérarchisation, à partir desquels la figure rhétorique suppression-adjonction qui permet de former un type iconique se distingue. Voici un tableau (Groupe µ 1992 : 298) de ces trois sous-groupes de figures.

Groupe de figures Réversibilité Hiérarchisation A B C (D - + - + + - - +) Tableau 24° Figures par suppression-adjonction de coordination

La figure rhétorique est réversible dans la mesure où deux types coexistent avec coordination dans un énoncé iconique sans pour autant empêcher l’identification de chacun, de surcroît dans cet énoncé iconique considéré, l’un des types rappelle l’autre, tandis que la relation irréversible désigne le contraire à savoir que l’un ne peut pas être associé à l’autre. En ce qui concerne la relation hiérarchisée, sous le contexte d’une combinatoire englobant deux types, ces derniers en coordination sont connectés selon la loi contextuelle propre au discours, alors que la relation non hiérarchisée représente ces deux types ayant aucun rapport raisonnable entre eux. A travers notre analyse, la réversibilité et la hiérarchisation ne peuvent pas coexister. La réversibilité nous apprend

176

que les différents types iconiques se coordonnent l’un évoquant l’autre dans le discours, tandis que la hiérarchisation indique une relation de coordination de deux types organisés en suivant une logique d’existence. Ainsi, dans le cas D du tableau 24°, la coexistence de réversibilité et de hiérarchisation apparaît incompatible dans un même énoncé iconique.

La suppression-adjonction de coordination que nous allons aborder se subdivisera en figures hiérarchisées non-réversibles, en figures réversibles non hiérarchisées et en figures non réversibles non hiérarchisées.

2.1.1.1.2.1. Figures hiérarchisées non réversibles

Figure 63 Figure hiérarchisées non réversible

Transcription : 1er décembre 1994, journée mondiale de lutte contre le SIDA. Pays/Année : France/1994

Nous envisageons d’étudier dans la figure 63, cet exemple représentatif (visage souriant) pour analyser le concept des figures hiérarchisées non réversibles. Sur ce visage épanoui, les deux yeux sont remplacés par deux préservatifs enroulés, une seringue prend la place du nez, enfin un énoncé linguistique sous forme d’une ligne courbe se substitue à la bouche souriante. Nous constatons que l’imaginaire du visage persiste malgré le recours à des objets hétéroclites. Nous pouvons identifier les substitutions constitutives sur la base de caractéristiques communes à ces deux types, celles-ci étant la position et la forme.

Les substitutions font apparaître une relation combinatoire en coordination avec le préservatif, la seringue et le slogan ; ceux-ci construisent ensemble un visage souriant.

177

Il n’est pas construit comme un pêle-mêle, mais s’organise autour du sujet de SIDA : les yeux remplacés par des préservatifs, moyen plus efficace de lutte contre le SIDA, le nez remplacé par une seringue, moyen potentiel de transmission du SIDA, la bouche remplacée par un slogan annonce la journée mondiale contre le SIDA. Dans cette affiche, face à cette maladie, il nous est indiqué que nous devons garder notre optimisme comme nous y convie le visage souriant de cette affiche. Nous pouvons combattre cette épidémie malgré sa gravité, dans la mesure où nous connaissons suffisamment les moyens de transmission et les méthodes pour s’en prémunir. Cette composition d’un visage peut être aussi bien réalisée avec d’autres constituants aussi variés que des fruits, des légumes ou des fleurs. Quel que soit le thème auquel l’image du visage se rapporte, il est constructible à partir d’autres noyaux thématiques de formes pouvant se substituer aux parties du visage. Cette variation paradigmatique nous permet de classer les signifiants iconiques dans cette affiche comme « visage souriant face au SIDA ».

Tous ces remplacements respectent la position et la forme de leur représentation, ces opérations nous permettent par conséquent d’identifier ce visage souriant. Ces parties substituées en coordination sont ainsi ordonnées afin de former un visage définissant le critère de hiérarchisation. Cette dernière entraîne simultanément l’irréversibilité entre le type perçu et le type conçu. Nous pouvons identifier chaque entité comme étant un organe transformé, mais non l’inverse en raison de son absence sur le plan iconique, par exemple, les yeux dans le cas analysé ne peuvent pas être équivalant aux préservatifs. Ainsi, deux hypothèses pourraient être soulevées :

a.) Il s’agit d’un visage souriant, dont chaque partie a été judicieusement remplacée par un énoncé ayant une relation avec SIDA.

b.) Il s’agit d’une accumulation d’information concernant le SIDA, dont l’agencement prend astucieusement la forme d’un visage souriant.

Ces deux hypothèses pourraient être toutes recevables, cela dépend toutefois du contexte de leur utilisation. Considérant que l’objectif de l’affiche vise à transmettre le message de la prévention contre le SIDA, la seconde hypothèse serait davantage rationnelle et opérationnelle, les informations sur le SIDA s’agencent progressivement en un visage souriant qui fait face positivement à cette situation. La coordination de ces signes iconiques mène à l’identification de l’allégorie et produit ainsi des interférences

178

sémantiques. Les types manifestés au niveau de degré perçu est métaphorisé aux organes du visage en tant que degré conçu, leur relation est produite seulement dans ce discours avec la figure de rhétorique suppression-adjonction en s’adaptant à l’objectif thématique du discours.

Les figures hiérarchisées non réversibles ayant été évoquées, nous sommes conduits à nous pencher sur les figures réversibles non hiérarchisées.

2.1.1.1.2.2. Figures réversibles non hiérarchisées

Ci-après la définition donnée par le Groupe µ sur les figures réversibles non hiérarchisées :

« Dans ce groupe on réalise une intégration plus ou moins poussée entre deux ou plusieurs entités visuelles dont les signifiants présentent des traits semblables. L’entité synthétique ainsi créée est tout à fait nouvelle, et il est impossible de décider s’il s’agit d’une injection du type A dans B ou du type B dans A. » (Groupe µ 1992 : 300)

Les figures réversibles non hiérarchisées désignent une intégration fortuite d’une entité dans l’autre formant une nouvelle manifestation combinatoire. Celle-ci se construit de manière coordonnée grâce à des traits communs attachés à ces deux entités constitutives, et conduit simultanément à une confusion visuelle.

Figure 64 Figure réversible non hiérarchisée Transcription : Saint Michel, Paris plaisirs, Paris capotes

179

Cette affiche 64 réalise une intégration entre l’image d’une broche kebab entamé et celle d’un préservatif déroulé dont les corps-signifiants présentent une similitude de forme allongée. La texture couleur chair du latex, la partie du haut dotée d’une protubérance, et la partie du bas se terminant par un cercle évasé, nous renvoient au type préservatif plutôt qu’au type kebab. Cependant l’adjonction des caractères intrinsèques du préservatif n’altère pas l’identification du kebab, représenté surtout par une partie médiane de forme oblongue munie de marques concentriques. Il n’est pas aisé d’avancer que cette entité synthétique relève de l’intégration du type kebab dans le type préservatif ou inversement. Ainsi, cette injection permet une réversibilité de ces deux signifiants – préservatif et kebab. Cette entité nouvelle kebab-préservatif nous incite à imaginer un type kebab et un type préservatif comme le degré perçu (manifesté), alors que le degré conçu renvoie également à ces deux types. Dans cette affiche, certains déterminants tendent à se référer au type préservatif (le haut et le bas), d’autres se rapporte plutôt au type kebab (le corps allongé).

En conclusion, le type kebab est supposé comme étant un signifiant A et celui du préservatif déroulé en tant que signifiant B, les deux ensembles en intersection soit C, ce dernier se construit sur des traits communs à chacun de deux types mais aussi sur des différences de chacun. Le type A et le type B comportent d’autres traits se situant à l’extérieur de cette intersection. Cette opération de substitution permet de transiter du type kebab au type préservatif et vice versa. D’une certaine manière, cette substitution est une métaphore iconique in praesentia, par rapport à la métaphore classique in absentia. Celle-ci désigne plutôt l’intersection des signifiés, en particulier dans le domaine linguistique, dont un signifiant est lié à un autre à travers le contexte, sans une jonction dans le plan de l’expression. Par exemple, dans l’énoncé linguistique Le préservatif est aussi important que le kebab, le terme préservatif et le terme kebab ne possèdent aucune similarité au niveau de la manifestation, cependant ils sont reliés au niveau de leurs valeurs ; tandis que dans la métaphore in praesentia, l’intersection se manifeste autant dans le plan de l’expression (signifiant) que dans celui du contenu (signifié). Le discours visuel se présente souvent sous forme in praesentia, tout comme l’affiche kebab-préservatif, ces entités sont toutes deux présentes dans le plan de l’expression et sont associées au plan du contenu.

180

Après la présentation des figures hiérarchisées non réversibles et des figures réversibles non hiérarchisées, nous verrons maintenant le cas des figures non réversibles non hiérarchisées.

2.1.1.1.2.3. Figures non réversibles non hiérarchisées

Les figures non réversibles non hiérarchisées sont illustrées en particulier par les animaux mythiques construits à partir de parties d’animaux ou de personnages cités par le Groupe µ, comme par exemple, le centaure, l’hippogriffe, le griffon, etc. Evidemment, il existe également d’autres possibilités de création en dehors de ceux connus à travers la mythologie. Cette combinaison empêche la réversibilité de la figure. De plus, « la juxtaposition opérée n’implique aucune intersection sémantique entre le substituant et le substitué. Il s’agit uniquement de se conformer à la structure habituelle de la classe qui les englobe. » (Groupe µ 1992 : 302) Il n’existe pas de lien sémantique entre le substituant et le substitué. Du point de vue paradigmatique, cette combinaison est tout simplement une réinvention et une ré-imagination s’opposant à la logique habituelle par exemple, l’« homme » pourrait être « centaure ». Dans le domaine de la publicité, ce groupe de figure rhétorique est rarement utilisé, car la scène du discours visuel vise souvent à inclure le lecteur tout en lui représentant un univers proche et familier. Nous trouvons ainsi peu d’exemple représentatif relatif à cette figure rhétorique dans l’affiche de prévention contre le SIDA.

Figure 65

Traduction : AIDS ne dort pas. Pays/Année : Russie/1990

Cette affiche 65 représente sous forme de peinture une créature mythique, sorte de sphinx composé d’un corps d’oiseau surmonté d’un buste féminin tout en parure. La

181

femme, à la tête aguichante, au visage surmaquillé et à la poitrine opulente, est dotée d’ailes surdimensionnées où des seringues se sont substituées aux plumes. Les pattes, ornées d’un bracelet et prolongées d’ongles humains ostensiblement manucurés, permettent d’opérer l’amalgame entre la femme et l’oiseau. Nous découvrons souvent dans la culture populaire la caractérisation de la prostituée à l’image du gallinacé. Cette composition tente de conscientiser la société russe face au déferlement de drogues et de sexe présents dans le monde contemporain. Cependant, le slogan « SIDA ne dort pas » rappelle le risque encouru dans l’acceptation de ces pratiques. La créature, femme-oiseau, souligne avec force les principaux moyens de l’infection du SIDA par l’usage multiple de seringues et par la prostitution. L’affiche devient cohérente à travers le plan plastique, présence de lignes obliques, de l’effet de matière sous forme de peinture et recours au violet en tant que couleur principale. Cette affiche représente une nouvelle entité femme-oiseau, les deux sous-entités composantes, femme et oiseau, participent chacune pour moitié de manière distincte mais en osmose, ces deux constituants sont ainsi irréversibles et non hiérarchisée.

Après avoir détaillé les figures par coordination, nous sommes conduits à introduire l’autre rhétorique du type, intitulée les figures par insubordination.