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Chapitre 3 Impact socio-culturel sur les trois catégorisations de l’affiche

3.2. Signe en relation à son objet

3.2.2. Signe en relation à son objet sur le plan iconique

Le signe iconique peut se catégoriser en deux cas : celui codé et celui non-codé (terme de R. Barthes). Le signe iconique ne disposant que de son seul aspect non-codé a pour objectif d’établir un univers contextuel pour le signe iconique qui peut être codé avec une signification recherchée. L’aspect non-codé du plan iconique ne présente que le propre sens du signe déjà déterminé par des connaissances encyclopédiques. Par rapport au sens propre qui demeure neutre, stable et fixé, le sens codé ne peut être interprété qu’à la condition de resituer le signe iconique dans le contexte socio-culturel qui le porte.

Affiche 43 Affiche 44

Transcription : 选择不同,结果不同。 Transcription : Kann denn Liebe Sünde sein. Traduction : Un choix différent, un résultat différent. mach's mit. Gib AIDS keine Pays : Chine chance.

Traduction : Donc l'amour peut être un péché. Fais avec. Ne donne aucune chance au SIDA.

Pays/Année : Allemagne/1994

Affiche 43 : campagne chinoise

Sur cette affiche, deux pommes identiques sont présentées dans deux situations différentes. Des gouttes d’eau sur chacune d’elles, les rendant fraîches et appétissantes. Les gouttes d’eau peuvent aussi être interprétées comme étant la représentation des fluides corporels qui sont sécrétés lors d’un rapport sexuel. Ils sont le vecteur principal de contamination par le virus du SIDA qui est ici incarné par un diplopodes plus communément appelé mille-pattes.

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Cette affiche utilise une technique courante dans la langue chinoise, assimilant, grâce à leur similitude phonétique, ici le fruit à la sécurité : la pomme se prononce píng guǒ, or dans le terme chinois sécurité píng ān, nous retrouvons le même phonème commun aux deux mots à savoir píng. L’une des deux pommes est coiffée d’une cloche en verre dont la forme se rapproche de celle du préservatif et devenant derechef un préservatif en cloche-verre. En revanche, nous constatons que la deuxième pomme n’étant pas recouverte de cette cloche protectrice subit les dégâts du mille-pattes. Ainsi, lemessage linguistique « un choix différent (protection/non-protection), un résultat différent » est illustré par le message iconique.

La cloche en verre couvre et protège la pomme, le côté transparent du verre nous permet de voir à l’intérieur. Cette entité combinatoire présente les traits communs avec le préservatif et la cloche en verre mais également ceux qui sont propres à chacun d’eux. Cette double lecture de ce signifiant se fonde sur les ressemblances de forme entre le préservatif et la cloche en verre. L’existence d’une protubérance au sommet de la cloche protectrice rappelle une caractéristique de l’appendice-réservoir du préservatif ; l’imperméabilité et la forme oblongue appartiennent à ces deux objets ; en revanche, la rigidité caractérise le matériau du verre de la cloche tandis que la souplesse du caoutchouc concerne le préservatif. Dans l’affiche, la référence au préservatif se manifeste de manière indirecte à travers le syntagme iconique que nous pouvons faire de l’hybridation préservatif en cloche-verre.

En se penchant sur l’énoncé iconique à gauche, la cloche en verre fait allusion à un type d’art martial dérivé du Gong Fu traditionnel. Dans cet énoncé, nous sommes amenés à déduire deux syntagmes importants : la cloche et l’action couvrir. La cloche en chinois est 钟 zhōng et l’action couvrir est 罩zhào. Grace à une association de sonorités, ces deux caractères induisent naturellement à penser à une forme de Gong Fu appelé le 金 钟罩 jīn zhōng zhào, composé des deux caractères mais comportant en plus le caractère

jīn, signifiant l’or. Nous retrouvons ces deux caractères dérivés de l’image dans l’appellation d’une forme de Gong Fu en raison de l’homonymie de ces caractères et de la forme visuelle de l’ensemble. En associant ces trois caractères littéralement, nous arrivons à une succession de trois idéogrammes 金钟罩 qui ne peuvent qu’être traduits par « une cloche dorée (solide) couvre le corps ». Le message suivant est ainsi transmis : la force extérieure n’arrive pas à attaquer l’intérieur (de la cloche/de l’homme). A

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l’issue de l’apprentissage de ce Gong Fu, le disciple devient indestructible et invincible. A l’aide de l’explication de ce Gong Fu, nous pouvons ainsi confirmer le message véhiculé par l’affiche, qui consiste à se protéger soi-même contre une attaque extérieure du virus à travers l’utilisation du préservatif.

Affiche 44 : campagne allemande

Seuls un préservatif et une pomme sont au centre de l’affiche, leur position met déjà en évidence leur importance. Leur technique d’illustration est différente, l’un semblable à un dessin au crayon et l’autre à une photographie proche de réel. La texture du préservatif recherche la crédibilité, elle s’oppose à celle du dessin de feuille/tige qui provoque une perception visuelle d’irréel. Le rendu différent du préservatif et celui de l’ensemble feuille/tige facilitent la division des plans : le préservatif est au premier plan ; la tige et la feuille sont placées à l’arrière-plan. La texture variée donne l’impression que le préservatif cache une pomme derrière lui. Parallèlement, au niveau du plan chromatique, la photographie du préservatif est verte tandis que la feuille et la tige sont dessinées en noir. Le plan chromatique confirme les divisions faites par le plan de la texture. En fin de compte, ces contrastes plastiques (couleur et texture) favorisent une lisibilité immédiate et le regroupement des syntagmes et des énoncés. La photographie du préservatif vert est un syntagme et l’ensemble, avec un dessin de la feuille et de la tige, est un autre énoncé. Ce genre de découpage aide également à associer ces syntagmes iconiques aux autres énoncés linguistiques. La taille de la pomme est, ici, identique à celle du préservatif, contrairement aux dimensions respectives des deux objets dans la vie réelle. Ce paradoxe de proportion met l’accent sur la grandeur de symbole du préservatif.

Cette affiche se réfère à l’imagerie biblique (intertextualité) : celle d’Adam et Eve. Couple, à qui il avait été interdit de toucher au fruit défendu, celui de la connaissance, le premier homme, Adam, et la première femme, Eve, ont malgré tout mangé la pomme. Cette désobéissance considérée comme le péché originel entraînât leur renvoi de l’Eden. Cette histoire de désobéissance dégage l’ensemble du signe iconique pomme et celui linguistique péché.

La fonction de cette pomme doit être prise en considération dans son contexte culturel. La pomme dans ce discours conserve son symbole de connaissance dans l’histoire

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chrétienne et manger la pomme devient donc un péché. La pomme prend la forme d’un préservatif, nous transposons en conséquence la représentation de la pomme originelle au préservatif. L’utilisation du préservatif devient une action intelligente et la conséquence d’une réflexion sur le risque de la contamination actuelle.

Au-delà de la conjonction de coordination donc, la légende d’Adam et Eve confirme que le message linguistique « Donc l’amour peut être un péché » est une suite de message iconique. Ce slogan ne doit pas être interprété au sens propre. En effet, ce n’est pas le rapport sexuel, mais la non-utilisation du préservatif qui doit être considérée comme un péché. Le terme péché appartient à un champ lexical religieux, « l’amour peut être un péché » est une phrase assimilée également au registre religieux. Cependant, dans la théologie chrétienne, avoir une relation sexuelle en dehors de la fidélité et de l’acte de procréation est considéré comme un péché. Il existe deux péchés dans notre affiche, le péché originel et le péché d’acte d’amour sans dispositif de protection. La désobéissance originelle est de croquer la pomme, celle présente dans cette affiche est l’absence de protection via le préservatif. Cette affiche prône ainsi une démarche paradoxale vis-à-vis des recommandations de l’église catholique. En effet, selon cette dernière, l’usage du préservatif est proscrit. Cependant, ce discours présente une idée totalement inverse : si nous n’utilisons pas le préservatif, nous risquerons d’être contaminés par le SIDA.

Le préservatif en tant que photographie représente l’aspect concret et matériel, tandis que le dessin de l’ensemble feuille/tige relève plutôt de l’abstrait faisant référence aux textes de la Bible. La mise en commun des représentations du concret et de l’abstrait permet de relier les conséquences entre le péché de ne pas utiliser le préservatif et celui de goûter au fruit défendu. Ainsi, ce péché moderne n’aura pas pour résultat le bannissement de l’Homme de l’Eden mais bien la contamination par le SIDA et sa propagation au risque d’entraîner l’extinction de l’espèce. De surcroît, le fait que le préservatif soit représenté par une photographie rappelle qu’il est le seul moyen efficace et concret dans la lutte contre le SIDA. Enfin cette opposition entre la photographie et le dessin montre que le choix d’utiliser un préservatif ne doit pas être abordé comme une histoire décrite dans un livre mais comme une situation réelle qui nécessite une prise de conscience de la part du lecteur.

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Le syntagme linguistique fait avec peut être assimilé à la consigne de Dieu de ne pas toucher la pomme. C’est pourquoi la couleur des textes et l‘ensemble feuille/tige est cohérente, cela renforce la référence religieuse. Le syntagme fait avec n’est pas fini, il est complété par l’assimilation avec le signe iconique, l’ensemble devant être lu fait avec le préservatif. L’ensemble scriptovisuel fait avec le préservatif correspond bien à la signification potentielle de la couleur verte, l’espoir. Ainsi, le préservatif devient le symbole de l'espoir dans la lutter contre le SIDA.

Une image peut avoir plusieurs fonctions. En résumé, sur cette affiche, il existe deux sortes de relations, premièrement, la pomme iconique détermine le contexte de l’énoncé linguistique placé au-dessus d’elle. Puis deuxièmement, le préservatif iconique vert et l’énoncé linguistique inscrit en dessous forment un message scriptovisuel.

Afin de décortiquer la catégorisation du signe en relation à son objet, une analyse relative à la signification du signe plastique nous paraît nécessaire.