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Chapitre 3. Les cartes heuristiques et conceptuelles

3.2. Un support d'apprentissage

Depuis une trentaine d'années, l'usage des cartes comme outil pédagogique s'est amplifié. La carte en tant que support propose une représentation plutôt synthétique et visuelle d'une notion ou d'un thème à appréhender. En tant qu'outil, elle permet à l'apprenant de construire une nouvelle forme de représentation en fonction de la signification des données et des relations perçues entre les données. De plus, elle facilite l’organisation et la représentation de connaissances. Les cartes, qu'elles soient conceptuelles ou heuristiques, constituent une véritable méthode pédagogique, mettant à disposition une forme de représentation alternative qui peut remplacer ou venir compléter le contenu linéaire des textes. Cette modalité complémentaire est intéressante à mettre en œuvre dans les stratégies pédagogiques différenciées.

3.2.1. Profils d'apprenants et types

d'intelligences

Les recherches réalisées dans le domaine de la pédagogie et en particulier celles visant à faciliter l’apprentissage préconisent, entre autre, de varier les types de supports. En effet, les élèves accéderaient ou se rappelleraient plus facilement des nouvelles notions si elles leurs sont présentées d’une manière visuelle ou auditive (Giordan & Saltet, 2015). De plus, d'autres facteurs apporteraient un bénéfice à l'apprentissage, comme la redondance de l'information en utilisant plusieurs modalités; ceci à condition de présenter les éléments redondants, par exemple un texte puis une carte, à tour de rôle (Jamet, 2008). En effet, de façon contre-intuitive, d'après Sweller (2008), la redondance d'une information, même lorsque les deux éléments qui la présentent sont compréhensibles de façon indépendante,

produit un effet négatif pour l'apprentissage. Pour maximiser la rétention de l'information, chaque élément inclus dans le matériel pédagogique se doit d'avoir une raison claire d'exister. Toujours selon Sweller (2008), la mémoire de travail serait séparée en deux canaux, ou processeurs, indépendants, l'un pour traiter les informations visuelles (comme des dessins ou objets en trois dimensions) et l'autre pour les informations auditives. Lorsque la lecture de deux informations, par exemple un dessin et une légende écrite, représentées dans un même mode (ici le mode écrit, mais Sweller parle de "modality"), sont nécessaires à la compréhension d'une notion, l'apprentissage est rendu plus difficile. En effet, la mémoire de travail disponible, a besoin d'être divisé pour intégrer les deux informations. Si par contre, les informations sont chacune présentées dans un mode différent, par exemple si l'apprenant regarde le dessin et qu'une autre personne lui lit la légende à haute voix, il y a expansion de la mémoire de travail car l'apprenant fait appel à deux canaux différents. Cependant, les distinctions de profil d’apprentissage restent à valider et à affiner. Les profils ne sont pas aussi tranchés que l’idée commune séparant l'élève « visuel » de l'élève « auditif » le laisserait entendre. Chevrier, Fortin, Leblanc et Théberge (2000) proposent une revue de la littérature sur la question des profils d'apprenants. Selon eux, les préférences entre les différentes modalités d'encodages sensoriels et de représentation sont étudiées depuis le 19ème siècle. Des travaux récents font état de deux dimensions principales permettant de discriminer les profils d'apprenants : la dimension verbale-imagerie (selon la préférence de penser en images ou en mots) et la dimension global-analytique (selon la préférence d'organiser l'information en tout ou en partie) (Riding & Rayner, 1998, cités par Chevrier et al., 2000). Quoiqu'il en soit, il est intéressant de prendre en compte les diversités des élèves pour le pédagogue et de se questionner sur les modalités des supports d'apprentissage proposés aux élèves.

Les propriétés particulières des cartes et notamment leur mode de représentation spatiale, peuvent être mises en lien avec la théorie de Howard Gardner (2008). Gardner propose un enrichissement de la notion d’intelligence. En plus de l'intelligence langagière et de l'intelligence logico-mathématique, il met en évidence les intelligences intra-personnelle, interpersonnelle, visuo-spatiale (penser en image mentale ou externe), corporelle kinesthésique, musicale et enfin naturaliste (Gardner, 2008).

Parmi les types d'intelligences identifiés par Gardner, les intelligences linguistique et logico- mathématique sont de loin les plus sollicitées dans le parcours scolaire. La plupart des supports d'apprentissage et les remédiations cognitives sont également axées sur ces formes d'intelligence. D'après Leblanc (1997), qui s'appuie sur les travaux de thèse d'Armstrong : Describing strengths in children identified as "learning-disables" using Howard Gardner's theory of multiple intelligences as an organized framerwork (1987), les élèves en difficultés d'apprentissage démontrent des capacités particulières à faire appel aux autres formes d'intelligence.

Les cartes heuristiques et conceptuelles

"À la lumière des forces particulières des élèves en difficulté d'apprentissage dans les formes d'intelligence visuo-spatiale et corporelle-kinesthésique d'une part et le concret, le présent, l'écriture conceptuelle, le divergent, l'informatique et le musical, d'autre part, des options pédagogiques adaptées s'avèrent fructueuses."(Leblanc, 1997, p.6)

Ces constats amènent à penser qu'une pédagogie différenciée solliciterait au mieux les capacités de chacun des élèves. Les supports d'apprentissage gagneraient à être diversifiés pour correspondre à la démarche cognitive spécifique de chaque type d'intelligence. A ce sujet, Gardner (2008), évoque la possibilité d'un enseignement individualisé permettant une meilleure compréhension et un développement optimal du profil cognitif de chaque élève. Une autre caractéristique des cartes est de favoriser la métacognition. C'est à dire qu'elles permettent de prendre conscience explicitement de ses propres connaissances, des procédures cognitives et des stratégies utilisées dans les tâches de résolution de problèmes. Elles mettent en évidence l'acte d' "apprendre à apprendre".

Dans sa conférence de présentation des cartes heuristiques, Gruez (2015) montre un exemple très intéressant de l'utilisation du mode de représentation par carte par une de ses élèves, mettant en avant une façon différente de réfléchir, que l'on peut mettre en parallèle avec la théorie des types d'intelligence de Gardner. Cette élève de 3ème a réalisé une carte sur la guerre froide dont l'ordre des événements présentés ne respectait pas la chronologie. Devant l'étonnement de son professeur, elle a expliqué qu'à gauche figurait les États Unis, à droite l'URSS et que les événements étaient placés en fonction de leur importance pour les deux camps, avec les grands événements communs au centre. Cet exemple est une très bonne illustration de la réappropriation de ses propres connaissances et de leur représentation en suivant un fonctionnement cognitif personnel. De façon plus générale, Gruez (2015) présente les cartes comme un outil permettant de gérer l'hétérogénéité des apprenants.

Ces éléments me poussent à croire en l'usage des cartes à la fois dans l'apprentissage et la remédiation des dyslexiques.

L'usage des cartes est un processus de plus en plus reconnu pour l'apprentissage et la communication. L'utilisation de cartes permet aux élèves de trouver un terrain d'expression et de formaliser leur propre réflexion et compréhension.

3.2.2. Différents contextes de l'usage

pédagogique des cartes

Bien que l'usage des cartes soit de plus en plus répandu, il n'est pas pour autant conventionnel dans tous les milieux d'apprentissage ou de travail. C'est une pratique qui demande non seulement un apprentissage, mais aussi un accompagnement. Cet outil est

généralement une source de questionnement pour l'entourage de l'apprenant et une explicitation de ses apports positifs est nécessaire.

3.2.2.1. Différents publics

La méthodologie d'apprentissage et de travail avec les cartes concerne tout autant des enfants ou adultes sans difficulté d'apprentissage particulière que des élèves en difficulté, comme les dyslexiques. En effet, les avantages évoqués plus haut, comme la sollicitation d'autres types d'intelligence, le changement de mode de représentation ou encore le renforcement de l'activité réflexive, sont bénéfiques à tous les profils d'apprenants. L'usage des cartes peut donc être introduit dans tous les milieux d'apprentissage.

C'est le cas notamment dans le milieu de la didactique où la carte est un outil que l'on fait manipuler aux futurs enseignants, afin de travailler sur la construction et la conscience de leur scénario pédagogique. Par exemple, c'est ce que font des étudiants en ingénierie de la formation dans l'article de Brodin (2006). Brodin s'interroge sur l'utilisabilité, l'efficacité et les limites de l'usage des cartes dessinées avec un logiciel. Elle constate que cette représentation favorise la réflexivité et permet une mise à distance au cours de la progression de la tâche qui n'est pas possible avec la rédaction d'un texte. Cependant, elle note l'effet de désorientation pour le lecteur, qui bien que non gênant pour une lecture récréative est un problème lorsque l'apprentissage est en jeu.

Bessette et Duquette (2003) proposent une démarche du type recherche-action-formation avec des enseignants de collège afin de faire rentrer l'utilisation de carte heuristique dans leur pratique pédagogique. La formation des enseignants à l'utilisation des cartes est en effet un préalable à leur utilisation dans les cours qu'ils vont eux même dispenser.

3.2.2.2. Différents objectifs

Comme nous l'avons vu précédemment, l'utilisation des cartes lorsqu'elles sont dessinées ou construites par les élèves est une pratique constructive qui est mieux adaptée aux ressources de l'apprenant que la rédaction d'un texte. Pour être plus précis, il existe différentes façons de mettre en œuvre la construction de cartes de manière pédagogique :

 L'élève peut utiliser une carte pour rassembler ses connaissances sur un sujet donné. Ce qui va le pousser, en organisant les dites connaissances à modifier sa perception du sujet, à l'expliciter et à l'enrichir (voir Figure 3.5).

 L'élève peut utiliser une carte pour s'organiser par rapport à une activité à venir. Par exemple, il peut organiser son weekend sur une carte, en représentant les lieux, les personnes, ressources et activités concernées, ou encore préparer sa liste de courses de façon organisée pour optimiser son parcours du magasin et ne rien oublier ! (voir Figure 3.3 ). Il est d'ailleurs possible d'aller plus loin et de dessiner une pareille carte par-dessus le plan des rayons du magasin. La Figure 3.4 reprend cette idée d'une carte d'aide à l'organisation spatiale, superposée à un plan.

Les cartes heuristiques et conceptuelles

 L'élève peut également utiliser une carte pour rassembler des informations sur un sujet qu'il ne connait pas encore, à la manière de prise de notes, de façon à construire sa propre connaissance. Dans ce cas-là, l'élève rassemble des informations, récoltées auprès d'une ou plusieurs sources extérieures (par exemple un professeur ou un ensemble de documents) puis il va les assembler sur sa carte pour construire sa propre représentation du sujet. Enfin, il va intégrer cette nouvelle représentation à ses connaissances.

Figure 3.3 Carte heuristique d'organisation des courses, extraite du blogue Optimind (De Broeck, 2013).

Lorsque que l'élève est en situation de produire une carte ou de modifier une carte existante, en utilisant ses propres ressources, il se retrouve dans des conditions favorables à l'apprentissage. En effet, comme le veut la théorie de l'apprentissage signifiant d'Ausubel (1962), il s'appuie sur ses propres connaissances antérieures et il est poussé à expliciter les liens entre ces connaissances, voire à ajouter et intégrer à son réseau de nouvelles connaissances. La carte construite par un apprenant est donc subjective et lui permet de s'approprier son contenu. En résumé, le travail de construction d'une carte est un exercice qui met en valeur la capacité de travailler indépendamment ainsi que les connaissances préalables propres à l'apprenant, en respectant la diversité des pensées (Cress & Knabel, 2003).

Sur son site, l'organisme Éduscol présente la liste suivante d'usages possibles des cartes dans le cadre d'une classe (Eduscol, 2009) :

 Trouver : faire émerger une idée nouvelle

 Questionner : qui, quoi, quand, comment, pourquoi…

 Formuler : rechercher un libellé court pour un ensemble d'idées  Valoriser

 Prendre des notes

 Soutenir l'oral : en support visuel d'un exposé  Apprendre

 Réviser  Reconstituer

Figure 3.4 Carte heuristique superposée à une carte

géographique grâce à l'outil Scribble Maps (2013), extraite du blogue Optimind (De Broeck, 2013).

J'ai retrouvé une liste semblable sur différentes pages internet présentant les cartes heuristiques. Caro Dambreville (2014) en dresse également une liste dans son rapport assez complet sur les cartes heuristiques et leur utilisation :

"• Expliquer un concept, • apprendre une langue, un poème, • prendre des notes, • préparer un cours / un exposé, • préparer une dissertation/rédaction, • réviser, • évaluer des compétences." (Caro Dambreville, 2014, p. 81)

Dans la conférence où il fait part de son expérience de l'utilisation des cartes avec ses élèves, Gruez (2015) évoque un élève dyslexique qui a de lui-même bousculé la pratique attendue. Cet élève a utilisé une carte non pas pour représenter son savoir sur un sujet mais pour s'organiser dans la recherche de ce savoir. Il a réalisé une carte présentant peu d'éléments écrits, et dont le sens échappait à son professeur, mais qui lui permettait de lier de façon

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sensée les différentes parties de son cours et de savoir où naviguer dans les pages de son cahier pour retrouver les informations dont il avait besoin, comme si sa carte était un plan interactif.

Figure 3.5 Carte heuristique réunissant les connaissances de l'élève sur l'architecture des églises, extraite du blogue Optimind (De Broeck, 2013).

Regnard (2010) a également étudié l'apport des cartes heuristiques en classe et propose un mode d'emploi qualitatif en plusieurs points qu'elle détaille dans son article : chercher des idées et affiner la réflexion, organiser de façon signifiante et logique la réflexion, utiliser l'organisation des nœuds de façon signifiante, réfléchir à la cohérence d'informations données. Il s'agit d'étapes successives de la réflexion qui mènent du simple étalement des idées sur le papier à leur structuration logique puis à la métacognition, par la réorganisation des nœuds sur la carte puis la vérification de la cohérence de l'information.

Cette manière de procéder se rapproche d'une méthode qui m'a été enseignée dans un module de formation de l'école doctorale (Université Clermont Auvergne, 2010) pendant mon cursus de thèse. Une autre variante d'utilisation des cartes, destinée cette fois aux chercheurs. Il s'agit d'une méthode de brainstorming collectif, qui fait appel aux cartes heuristiques pour aider un individu à organiser ses idées en vue de rédiger un article ou de préparer une communication. Ce futur rédacteur, ou communicant, soumet d'abord en vrac

l'ensemble de ses idées, sous forme de phrases minimales ou de groupes nominaux, et celles-ci sont inscrites sur un tableau, à l'intérieur de bulles, par un membre du groupe. Le communicant propose ensuite, au fur et à mesure de l'ajout de ces bulles, des liens vers les autres bulles en suivant au mieux la logique de son discours. Puis, dans un deuxième temps, le reste du groupe, non-spécialiste du sujet, qui était jusque-là en situation de spectateur, questionne le communicant afin de mieux comprendre son sujet. Ces questions amène ainsi le communicant à justifier : d'une part les liens entre les différentes idées, d'autre part la cohérence de l'ensemble des idées et enfin leur ordre d'importance. Cette méthode pousse à la métacognition, à l'explicitation et permet à la fois de mieux définir l'idée centrale d'une communication, de vérifier sa cohérence globale mais aussi d'exclure les idées ou références trop éloignées de son objectif final.

Comme je l'ai évoqué dans la liste d'usages précédemment, les cartes peuvent également jouer un rôle dans l'évaluation des apprenants. Dans son travail de réflexion sur l’usage des cartes heuristiques, Longeon (2010), après avoir rappelé l’efficacité des représentations spatiales dans le processus de construction des apprentissages, s’interroge sur leur usage comme outil d’évaluation. Il a mené une expérimentation avec des apprentis de Bac Pro Commerce et Mécanique Auto. Les étudiants ont d'abord participé à une première activité de découverte et de présentation des cartes heuristiques, puis une seconde activité où ils devaient réaliser une carte heuristique sur un sujet donné, en groupe. Le tout pendant 2 mois, deux heures par semaine. La carte est ici intégrée au dispositif didactique en tant que tâche à accomplir avec des critères de réussite. L'enseignant suit une grille d'évaluation précise, il vérifie : la qualité de la proposition (existence de liens, validités des liens, capacité à se réapproprier les données), la qualité de l'organisation des données (existence de niveaux hiérarchiques, existence de liens croisés entre les concepts) et enfin, le degré de complexité de la structure (organisation en étoile, en chaîne ou en réseau). Une carte de référence a également été dessinée et les productions des étudiants ont été comparées avec celle-ci.

A propos de cette utilisation exploratoire des cartes, Longeon conclut :

"Cette expérimentation, couplée aux outils TICE, s’est avérée être d’une part un moyen efficace pour évaluer les connaissances d’un apprenant à un instant t dans son processus d’apprentissage ; et d’autre part un vecteur important de motivation pour l’apprenant : le rendant actif à toutes les étapes de son apprentissage."(Longeon, 2010, p. 1)

L'outil carte peut donc être utilisé par les enseignants pendant leur formation, puis pour dispenser leurs cours, par leurs élèves ou toutes sortes d'apprenants, ou encore, par des chercheurs. Ces différents publics pouvant ainsi répondre à un large spectre d'objectifs pédagogiques, didactiques ou pratiques.

Les cartes heuristiques et conceptuelles

3.3. La carte comme aide aux apprenants