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Chapitre 2. Le processus de lecture et de compréhension de texte

2.2. Apprentissage de la lecture

L’apprentissage de la lecture n’étant pas un sujet central de mon travail, ni une de mes spécialités, je me contenterai ici de passer en revue quelques généralités et je me concentrerai ensuite davantage sur quelques points spécifiques au public dyslexique.

2.2.1. Définition et enjeux

La terminologie concernant l'apprentissage de la langue est différente selon la modalité concernée : le terme acquisition est utilisé pour l'oral, tandis que c’est le terme d'apprentissage qui est employé pour l'écrit. Ce changement de terme dénote la différence de méthode d'intégration de ces deux activités. Le langage oral se développe en partie de façon inconsciente par immersion dans un bain linguistique permanent et par imitation, et en partie grâce à des activités mise en place à l’école. Le langage écrit, lui, est transmis principalement via un processus d'enseignement conscient et institutionnalisé. Dans le cas général, la langue orale est déjà acquise lorsque l’apprentissage de la lecture commence et celui-ci s’appuie sur ces connaissances préalables en établissant des liens directs entre unités sonores et unités graphiques. Le traitement cognitif des unités phonologiques serait d’ailleurs modifié de façon définitive à partir du moment où un enfant commence son apprentissage de la lecture (G. Garcia, 2016; Kast, Baschera, Gross, Jäncke, & Meyer, 2011). Lors du processus de codage de l’oral vers l’écrit, les syllabes sont associées à des graphies (qui signifient ici « groupes de lettres ») et, à plus petite échelle, les phonèmes sont associés à des graphèmes. Les phonèmes sont les unités de son. Le nombre de phonèmes en français serait compris entre 35 et 37 (Fayol, 2003; voir aussi l'article de “Wikipédia”, 2017). La tâche de lecture correspond au travail de décodage. Ceci implique la capacité de reconnaître les lettres mais aussi de connaître les phonèmes de la langue et d’être capable

d’associer correctement ces graphèmes et ces phonèmes. Plusieurs études, comme celle de Ferrer et al. (2015) ou encore celles listées notamment par Valdois et al. (2003), Snowling et Hulme (2011), Maïonchi-Pino et al. (2013), ont montré un lien important entre les capacités phonologiques précoces d’un enfant et ses compétences en lecture.

D’après le programme scolaire du cycle 2 (Ministère de l’Education Nationale, 2002) :

« Apprendre à lire, c'est apprendre à mettre en jeu en même temps deux activités très différentes : celle qui conduit à identifier des mots écrits, celle qui conduit à en comprendre la signification dans le contexte verbal (textes) et non verbal (supports des textes, situation de communication) qui est le leur. La première activité, seule, est spécifique de la lecture.»

L’apprentissage de la lecture inclut donc le développement de la capacité de compréhension de texte. Snowling et Hulme (2011) séparent clairement les difficultés de décodages des difficultés de compréhension dues à une méconnaissance de la grammaire et de la sémantique. Concernant les personnes en difficulté de compréhension « pure », c'est à dire indépendamment de difficulté de décodage, il y a principalement deux pistes d’explication : une difficulté de compréhension préexistante, à l'oral, qui se reporte sur la compréhension écrite et/ou une difficulté à établir des stratégies méta-cognitives pour extraire les éléments d'un texte et réaliser des inférences.

La tâche de compréhension n’étant pas spécifique à la lecture, les élèves dyslexiques ne devraient en théorie pas éprouver de difficultés pour la réaliser, mais malheureusement, la tâche d’identification des mots précède la tâche de compréhension et a une influence sur la compréhension de texte. Certaines études sur la lecture ne s’intéressent pas à la compréhension de texte parce que celle-ci est indépendante du mode de communication (écrit ou oral). Ainsi, puisque les dyslexiques n’ont a priori pas de problèmes de compréhension à l’oral, il ne serait utile que de les aider à compenser les difficultés dans le processus de décodage et d’identification des mots. Je propose au contraire de retourner le problème puisque les difficultés pour réaliser les tâches de bas niveaux, tel que l’association graphème-phonème, peuvent empêcher d’accéder au sens du texte. Or, accéder au sens est certainement l’enjeu concret le plus important pour les élèves en difficultés d’apprentissage. Je souhaite donc développer des moyens d’accéder au sens du texte malgré les difficultés de décodages, par exemple en les contournant grâce à d’autres représentations de l’information contenant le même sens.

D'après Hulme et Snowling (2016), les études sur le développement du langage précoce, avant qu'un diagnostic puisse être établi, ont montré que les problèmes de décodages sont aussi liés à des difficultés rencontrées lors de l'acquisition de l'oral. Si les auteurs différencient bien les difficultés de décodage et les difficultés de compréhension, ils notent qu'une partie des enfants étudiés présentent les deux troubles, que les différents profils ne sont pas toujours nettement séparés et que la population en général présente un spectre continu de difficultés.

Le processus de lecture et de compréhension de texte

Une des solutions proposée par les chercheurs pour diminuer les difficultés éprouvées par les élèves lors de l’apprentissage de la lecture est d’abandonner la méthode globale au profit de la méthode syllabique (Ahmad, Ludin, Ekhsan, Rosmani, & Ismail, 2012; Dehaene, 2007). Cela permettrait aux apprenants de se focaliser sur l’apprentissage des relations graphèmes/phonèmes et renforcerait leurs capacités dans cette activité.

Valdois (2003) propose un ensemble de tâches à faire effectuer aux élèves par les enseignants, toujours pour diminuer les risques de difficultés d’apprentissage de la lecture. Ces tâches concernent :

 le développement des aptitudes langagières, à l’oral en anticipation sur l’apprentissage de la lecture ;

 le développement de la conscience phonologique, avec un entrainement à identifier les syllabes et les rimes dès la maternelle ;

 l’apprentissage du nom des lettres, qui permet à l’enfant de prendre conscience du fonctionnement du système de codage qu’est la langue écrite ;

 l’entrainement visuel, qui passe par une identification d’images, puis de lettres avec par exemple des exercices de discrimination et de reconnaissance de l’orientation des lettres.

Malgré l’importance de l’acquisition des règles de relations graphèmes-phonèmes, il est probable que les jeunes lecteurs débutent leur apprentissage de la lecture de façon implicite, en déduisant eux-mêmes des règles de correspondance entre les sons perçus précocement dans le langage, comme par exemple les rimes, et le début ou la fin des mots auxquels ils sont exposés (Castel, 2008; Delamare, 2012; Jucla, 2009). Ce phénomène a été théorisé par Goswami et Bryant (1990) et nommé « modèle d’apprentissage par analogie ». Les syllabes dont la fréquence d’apparition dans la langue est élevée seraient également acquise précocement, avant les correspondances graphème/phonème selon Maïonchi-Pino et al. (2010). Je présente dans le point suivant quelques exemples d’apprentissage implicite appliqués à la lecture.

2.2.2. Apprentissage implicite

Comme je l’ai évoqué précédemment, l’apprentissage des mots passe par une première phase d’association de sons et de forme écrite qui se fait implicitement. Ensuite au cours de l’apprentissage, au fur et à mesure de l’exposition à des textes, le lecteur mémorise certaines régularités de la langue. Ce phénomène est intrinsèque au fonctionnement de la mémoire, comme le souligne Malard (2013):

"la mémoire non déclarative est composée de la mémoire procédurale qui porte sur les habiletés motrices, les savoir-faire et les gestes habituels. Elle conserve les souvenirs même s’ils ne sont pas utilisés pendant de longues années. Quant à la mémoire à long

terme déclarative, elle comprend la mémoire épisodique qui retient des événements spécifiques de notre vie dans un contexte spatial et temporel et la mémoire sémantique qui enregistre les connaissances du monde, c’est-à-dire les faits, les concepts, les règles et les significations. Ces deux types de mémoire interagissent, car quand nous apprenons un mot, nous le relions à un épisode." (Malard, 2013, p. 19)

Les régularités graphotactiques désignent les règles d’orthographes (lexicales et infra- lexicales) acquises, généralement de manière implicite, par les apprenants natifs d’une langue. Cette acquisition est précoce, elle survient avant tout apprentissage de règles explicites (Danjon & Pacton, 2009). Ces régularités se différencient des règles morphologiques qui sont acquises dans un stade plus avancé de l’apprentissage et qui ne dépendent pas seulement de leur fréquence d’apparition (INSERM (dir.), 2007).

Voici des exemples de règles implicites en langue française :  Un mot ne commence jamais par une lettre doublée.

 Une consonne simple ne peut jamais être suivie d’une consonne double.

Les règles implicites sont parfois perturbées par des règles apprises de façon explicite. Par exemple, il découle des deux règles précédentes qu’il ne peut pas y avoir de « s » doublé après une consonne. Cependant, alors que cette erreur n’est jamais commise dans les stades précoces de l’apprentissage, elle devient courante une fois que l’apprenant a acquis la règle sur la nécessité de doubler le s entre deux voyelles pour obtenir le phonème /s/.

D’autres régularités sont acquises de la même manière sans pour autant être mémorisées comme des règles strictes, par exemple la possibilité de certaines consonnes d’être doublées, ou encore la fréquente transcription de /o/ par « eau » en fin de mots lorsque la lettre précédente est « r » ou « t », mais jamais après la lettre « f » (INSERM (dir.), 2007). Plusieurs études indiquent que la structure orthographique des mots et les régularités graphotactiques interagissent et ont une influence sur les difficultés d’acquisition du lexique (voir Pacton, Fayol, & Lete, 2008). Il semble également que les performances des lecteurs, enfants comme adultes sont dépendantes de leur sensibilité aux régularités graphotactiques, même pour les lecteurs ayant acquis des règles morphologiques ou phono-graphologiques plus générales (voir Danjon & Pacton, 2009; INSERM (dir.), 2007; Pacton et al., 2008).

Selon le type de dyslexie dont ils souffrent, les apprenants dyslexiques vont être capables ou non de faire appel à ces stratégies pour compenser une partie de leurs difficultés et reconnaître les mots bien formés des mots incorrects. De plus, d’après l'étude de Grainger et al. (2003), les dyslexiques montrent une sensibilité normale à l'effet de supériorité. C’est-à- dire qu’ils obtiennent des résultats similaires aux normo-lecteurs dans une tâche de reconnaissance d'une lettre à l'intérieur d'un mot. La reconnaissance de la lettre est plus rapide lorsque le mot est connu, moins rapide pour un pseudo-mot et très lente pour un "non mot". Cela montre que les dyslexiques acquièrent bien des règles implicites de

Le processus de lecture et de compréhension de texte

formation morphologique des mots de leur langue. Dès lors que l’apprentissage explicite de la lecture est entrepris, les compétences phonologiques, orthographiques et morphologiques vont cohabiter et être développées de façon coordonnée. Ce modèle de développement dans lequel interagissent ces trois compétences est appelé théorie de la « Triple Forme du Mot » (M. Sanchez, Ecalle, & Magnan, 2012). Selon leur étude, M. Sanchez et al. (2012) postulent d’ailleurs que les connaissances morphologiques préalables à l’enseignement explicite des correspondances grapho-phonémiques auraient bien une influence dans l’apprentissage ultérieur de la lecture.

Après avoir présenté brièvement différentes théories et résultats sur la première étape du procédé de lecture, autrement dit la tâche de reconnaissance des lettres et des mots, je me concentrerai sur l’étape suivante, c’est-à-dire la tâche d’assemblage des mots, qui est nécessaire à l’accès au sens et donc à la compréhension du texte.