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CHAPITRE II Le cas de Yannick, un sidéen converti au bouddhisme

3. Le cheminement de Yannick, son questionnement et sa conversion

3.2 Suite et fin du cheminement de Yannick

Premièrement, dans la continuation de son parcours où une nouvelle identité se construit, la culture tibétaine qui dit que « toute la vie doit être une préparation à la mort », contribue à la prise de conscience chez Yannick que l’acceptation de la souffrance est une façon de grandir : « En Occident, nous vivons dans la négation de la mort et l’illusion que nous pourrons nous prémunir de la souffrance. […] Intégrer la dimension fondamentale de ma propre impermanence n’a pas été du tout quelque chose de mortifère, mais bien au contraire, cela m’a permis de m’ouvrir à des messages de vie et d’espoir, en adoptant une autre lecture de la réalité des phénomènes qui m’entouraient. »

Maintenant si nous revenons aux principes de non-violence et de non-dualité, en ce qui concerne le cheminement de Yannick par rapport à son vécu de la maladie, ces principes iront jusqu’à lui faire dire : « Changer la représentation mentale que je me faisais de la maladie a rendu la prise d’antibiotiques ou d’antiviraux sans grande signification : je n’étais pas malade. […]. Depuis six ans maintenant, je suis ‘malade sur le papier’, et pourtant bien-portant dans la réalité. » On peut donc clairement remarquer ici que Yannick se retire de cette identité de malade qui lui avait été affiliée des suites de la maladie, en se servant des principes véhiculés par le Bouddhisme.

65 Le virus est un prétexte de croissance et non de mort. « Partant de là, il n’y a plus de place pour la haine. Je crois que nous sommes davantage malades de nos rancœurs, de notre difficulté à pardonner aux autres et à soi-même… » Nous voyons que selon une autre vision de la maladie, évidemment la guérison devient également porteuse d’un sens nouveau. À cet effet, Yannick parle de son choix vers la voie du cœur, ce qui achève en partie son parcours vers la conversion au Bouddhisme : « J’ai fait le choix de cette voie, la voie du cœur, car je pense qu’il y a là un véritable chemin de guérison, de l’âme en tout cas. »

Si nous revenons au principe d’impermanence, celle-ci permet à Yannick d’accepter la maladie voire même les mauvais résultats médicaux puisqu’il a fait le choix « d’une voie où rien n’est tracé, hors des propositions médicales classiques. » Ce qui l’amène à une autre vision de la guérison située à un autre niveau, et il dira : « La notion que j’avais de la guérison est en train de changer profondément. Je pensais, il y a encore peu de temps, que c’était retrouver un état ‘normal’ d’immunité. À l’heure actuelle, je me demande si le défi que nous lance le sida n’est pas de nous amener à placer nos défenses à un autre niveau, non plus dans le combat et la défensive, mais dans l’ouverture à la vie, la confiance. »

Finalement, Yannick anime aujourd’hui des stages où les gens doivent apprendre à exprimer leurs émotions dans le but de se rapprocher toujours plus de « cette dimension de compassion et d’amour inconditionnel du Bouddha. » Cette création d’un stage par Yannick ressemble au rôle du « bodhisattva », représentant un personnage laïc du bouddhisme qui fait vœu d’aider les autres. Yannick espère continuer sur cette voie. C’est donc à ce stade et sur ces mots que s’achève son témoignage. Ira-t-il jusqu’à devenir moine bouddhiste? Quoi qu’il en soit, nous croyons qu’il y a tout de même eu conversion à un mode de vie et de croyances propres au bouddhisme dans le cas de Yannick et que cette conversion a largement contribué au renouveau de son identité.

Jourdenais cite plusieurs dimensions de la vie spirituelle parmi lesquelles nous pouvons clairement remarquer celle de l’identité et, également, situer l’expérience de Yannick :

— « élaboration de l’identité et unification de soi à travers les diverses expériences de la vie, expérience de joie comme de souffrance;

— quête et affirmation d’un sens à la vie, particulièrement d’un sens à sa vie et à ses diverses expériences;

66 — relation avec un absolu qui marque profondément l’identité de la personne;

— valeurs qui orientent la réalisation de soi en même temps qu’elles en témoignent;

— appartenance, vivifiante, à une communauté qui partage la même foi ou les mêmes valeurs;

— expressions symboliques et sociales de ces dimensions à travers des rites. » (1998 : 64). Ces éléments viennent préciser comment le bouddhisme, dans le cas de Yannick, a joué le rôle de marqueur identitaire, particulièrement en fonction des quatre premiers points. En ce qui concerne les deux derniers points, nous tenterons d’élucider et d’approfondir un peu plus loin le nouveau groupe dans lequel pourrait se situer Yannick et à quels rites cela pourrait référer. En fait, à ce stade, nous pouvons admettre que le bouddhisme a été un marqueur identitaire pour Yannick en ce sens qu’il lui a permis d’unifier plusieurs concepts et principes lui permettant d’agir en accord avec lui-même, face à la maladie. Le bouddhisme lui a donné les éléments philosophiques lui permettant de se différencier de la représentation de la maladie et de l’état de « malade » véhiculés dans la médecine traditionnelle occidentale et, par le fait même, de construire une autre identité de malade que celle qui découle naturellement de cette vision plutôt négative de la maladie. La maladie est vécue comme libératrice et devient une occasion d’avancement personnel et non d’échec personnel.

Pour ajouter des éléments à l’exemple de Yannick, nous allons citer certains individus atteints du VIH/sida ayant vécu un cheminement spirituel, et que Joseph Lévy et al. ont interrogé lors de leur étude :

(La séropositivité) c’est peut-être l’une des plus belles choses qui m’est jamais arrivée dans le fond parce que […] ça a changé ma façon de voir, ça m’a ramené les deux pieds sur terre dans l’essentiel […] je me suis mis à jouir de la vie. (2002 : 174). J’ai commencé à nettoyer. […] Je me suis amené à avoir du sérieux, du recul dans ma vie. Et puis j’ai décidé qu’à partir de ce moment-là, peu importe ce qui arrivait, si ma santé dépérissait ou non, je voulais avoir une qualité de vie qui n’est pas donnée par l’extérieur, mais qui était imposée par moi-même. (2002 : 177-178).

Si je n’avais pas été séropositif, je ne pense pas que j’aurais mené une réflexion par rapport à ma vie qui m’amène à me tranquilliser […]. La séropositivité m’a amené à

67 mûrir […]. L’importance de la chose c’était d’améliorer la qualité de vie qu’il me restait à vivre. (2002 : 174).

Nous pouvons remarquer, dans ces citations, une certaine vision plus positive de la maladie et le souci d’apporter une prise en charge plus personnelle de sa santé, comme le mentionnent les auteurs.