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1. Sciences et technologies médicales

1.3 Soins palliatifs : le point de médiation

Selon Foucault, dans la Naissance de la clinique, le milieu naturel de la famille était autrefois l’endroit principal où les malades étaient pris en charge. Toutefois, vers la fin du XVIIIe siècle, il y a déplacement de ce milieu naturel vers l’hôpital qui devient particulièrement important pour les malades sans famille, mais également pour éviter la contagion et traiter les maladies plus complexes. Ainsi, l’hôpital est perçu alors comme un haut lieu de protection : « Protection des gens sains contre la maladie; protection des malades contre la pratique des gens ignorants […]; protection des malades les uns à l’égard des autres. » (2007 : 41). Ce transfert a eu pour conséquence, entre autres, l’institutionnalisation de la naissance au début du XXe siècle et, évidemment, l’institutionnalisation de la mort. Renée Sebag-Lanoe, qui travaille au Service de gérontologie de l’Hôpital Paul Brousse en France, souligne que : « […] la majorité des décès surviennent aujourd’hui en milieu institutionnel et sanitaire et non plus au domicile comme par le passé. Cette migration de la mort vers l’hôpital, caractéristique des sociétés occidentales avancées, touche maintenant les pays de l’Europe continentale, l’Angleterre, le Canada et les États-Unis ayant atteint plus précocement des taux élevés de décès institutionnels. » (1992 : 77).

Bien sûr, la réalité sociologique contemporaine a également joué un rôle important dans cette institutionnalisation. L’urbanisation, le travail des femmes et l’éclatement des familles, entre autres, sont des faits ayant certainement joué un rôle considérable dans cette transformation. Pour Sebag-Lanoe, ces transformations ont eu des conséquences sans précédent sur « les modalités du mourir lui-même qui s’est fortement médicalisé, entraînant ipso facto, la participation croissante des professionnels de la santé […]. » (1992 : 77). Pour le philosophe

43 Hans Georg Gadamer, l’Homme moderne se trouve en quelque sorte dépossédé de sa propre mort. Premièrement, parce que la clinique fait en sorte qu’il n’y a plus de représentation publique de la mort, on ne voit plus la mort, et deuxièmement en séparant le mourant de son milieu familial. Il dira de cette disparition de la mort dans les lieux publics et au sein de la famille que : « Elle fait entrer l’évènement de la mort dans le mécanisme technique de la production industrielle. […] La mort elle-même, devenue semblable à un arbitrage, est désormais dépendante de la décision du médecin traitant. Dans le même temps, ceux qui vivent encore en sont exclus; ils ne peuvent plus ni assister ni prendre part à cet évènement irrévocable. » (1998 : 72).

Actuellement, l’institutionnalisation de la mort pose plusieurs problèmes éthiques dont, notamment, celui de l’acharnement thérapeutique et de l’euthanasie18. Selon plusieurs auteurs, les soins palliatifs représentent un point de médiation entre ces deux pôles et entraînent carrément une remise en question en ce qui concerne la pratique de soins des professionnels de la santé.

1.3.1 Humanisation des soins : le patient redevient sujet

Les soins palliatifs « pallient » aux limites des soins curatifs, voire aux limites des sciences et des technologies médicales, et soulèvent, par le fait même, la réflexion sur le tabou de la mort dans nos sociétés modernes. Comme le mentionne Pascal Hintermeyer, sociologue : « Pour répondre aux questions que soulève le rapport à la mort dans le monde contemporain, les hommes de la fin du IIe millénaire ont élaboré une réponse inédite : les soins palliatifs. Ceux- ci vont à contre-courant d’une évolution de la rationalité médicale qui cherche toujours davantage à anticiper les maux. Les soins palliatifs correspondent au contraire à une situation où c’est la maladie qui a le dessus et va provoquer la mort du malade. » (2007 : 880). Au Québec, les soins palliatifs sont en plein essor depuis les années 70, mais ce n’est que dans les années 90 que plusieurs établissements de soins et également les services de soins à domicile, tendent à offrir des services de soins palliatifs en fin de vie. Selon l’infirmière Claudette Foucault, les soins palliatifs ont pour objectifs: « […] d’offrir des soins globaux, coordonnés

18Une Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité a été créée le 4 décembre 2009 par

l'Assemblée nationale du Québec. Cette commission est formée de 9 députés issus de différents partis politiques et elle avait pour mandat d'étudier la question du droit de mourir dans la dignité ainsi que ses modalités d'application. Cette commission spéciale a déposé un rapport le 22 mars 2012, traitant de ces questions. Tiré du site Internet : http://mourirdansladignite.gouv.qc.ca/historique-des-travaux (consulté le 30 janvier 2014).

44 et compatissants aux personnes atteintes d’une maladie à un stade avancé ainsi que l’accompagnement des proches à la veille de la mort et pendant la période du deuil. » (2004 : 5).

À cet effet, les soins palliatifs sont déjà un réel changement par rapport à la philosophie médicale des soins curatifs, particulièrement, puisqu’ils répondent plus adéquatement aux spécificités multifactorielles de la douleur et de la souffrance des patients. En ce sens, ils représentent des soins plus globaux, traitant le patient non plus seulement selon des modalités d’abord physiques, mais également psychologiques et émotionnelles, voire, spirituelles. Les soins palliatifs ont pour objectif principal d’humaniser les soins de fin de vie et de voir à ce que le patient souffre le moins possible en lui procurant un maximum de bien-être. De plus, ils incluent la famille et les proches du patient dans ce processus de soins. Comme le mentionne Pascal Hintermeyer : « Humaniser la fin de vie suppose la possibilité de lutter contre ce que la souffrance a de dégradant et d’obnubilant afin de préserver une certaine qualité de vie jusqu’à la mort. » (2007 : 881). Toutefois, bien que les soins palliatifs tendent vers une philosophie de soins plus globale ainsi qu’une vision de la mort plus positive, ou du moins pas complètement dénuée de sens, contrairement à la vision des Lumières, il n’en demeure pas moins que ces soins qui critiquent les limites de cette vision sont également influencés par cette vision, selon Hintermeyer (2007 : 884).

À cet effet, Saint-Arnaud, mentionne que : « […] l’approche palliative n’est préconisée qu’à la condition d’avoir expérimenté et reconnu les limites de l’approche curative. Et, pour toutes sortes de raisons […], il arrive que des interventions de type curatif se prolongent indûment […]. » (2006 : 62). Claudette Foucault, quant à elle, souligne que: « […] selon le rapport de recherche Lambert et Lecompte (2000)19, seulement 5% des Québécois qui pourraient bénéficier de tels services y ont actuellement accès. De plus, même si, d’après les sondages, la majorité des Québécois expriment le souhait de finir leur vie à domicile, 87% de ceux-ci meurent à l’hôpital (Conseil de la santé et du bien-être, 2003). » (2004 : 5). Les questionnements ayant trait aux soins palliatifs et à leur mise en pratique n’en sont donc qu’à leur début actuellement. Hintermeyer en mentionne d’ailleurs quelques-uns à leur effet :

19 LAMBERT, Pierrette et LECOMTE, Micheline. État de situation des soins palliatifs au Québec - Le citoyen :

une personne du début à la fin de sa vie, Québec, mars 2000, 467 p., cité dans le rapport de la commission spéciale du 22 mars 2012.

45 On peut notamment se demander s’ils ne véhiculent pas un idéal du bien mourir dans la transparence, la conscience de soi et la sérénité… Ce qui est insupportable pour certains malades en phase terminale. […] On a aussi parfois l’impression que les soins palliatifs servent à masquer et à contourner le problème de l’euthanasie, au moins sous sa forme passive. Certains les soupçonnent par ailleurs de couvrir et de légitimer une réintroduction subreptice du religieux dans un système de soins qui s’en était affranchi. (2007 : 884).

La médiation entre acharnement thérapeutique et euthanasie est donc loin d’être évidente dans la pratique des soins palliatifs qui devront, éventuellement, préciser leurs méthodes et leur orientation.

1.3.2 Sens de la mort et douleurs chroniques : vers une adaptation du système de soins?

En ce qui nous concerne, nous croyons que les soins palliatifs pourraient constituer une évolution du système de soins vers une adaptation, non seulement aux soins de fin de vie, mais également à la problématique de la douleur chronique que ressentent actuellement plusieurs malades atteints de maladies chroniques, dégénératives ou de cancers. Comme nous ne cessons de le mentionner, ces maladies sont à la hausse et constituent un réel défi pour le système de soins. Nous croyons que c’est particulièrement cette nouvelle réalité des malades – causée par l’augmentation de l’espérance de vie, entre autres – entremêlée avec les limites du système de soins et l’adaptation parfois difficile de ceux-ci à ces nouvelles réalités qui engendre une spiritualité nouvelle chez ces malades. Nous verrons, dans la troisième partie de cette thèse, que la médecine tente parfois de s’intéresser au besoin de sens de ses patients, mais avec peu de moyens disponibles à cet effet ainsi que peut-être peu de recul sur les effets possibles des sciences et des technologies médicales sur le vécu de ses patients et de leur possible besoin de sens qui, parfois, se transforme en spiritualité. Toutefois, nous sommes d’avis que sans cette compréhension et cet intérêt, elle ne pourra saisir qu’une partie de la réalité vécue par ses patients et ainsi, par le fait même, être parfois à moitié efficace. Comme le mentionne Gadamer :

[…] la médecine moderne s’est vue en premier lieu confrontée aux maladies chroniques pour lesquelles les problèmes se posent différemment. Là, tout repose sur

46 les soins apportés au malade, lesquels devront nécessairement être accompagnés de soins psychiques. Quel est le rôle nouveau joué par la maladie chronique dans la médecine moderne et quelle en est la valeur? Dans le cas de la maladie chronique, l’homme doit apparemment, apprendre à accepter la maladie, à vivre avec elle si tant est qu’elle le lui permette. (1998 : 87).

Selon Cosette Odier, œuvrant dans un centre de soins continus à Genève en Suisse, la spiritualité permet de regarder la souffrance en face et ainsi d’éviter aux soins palliatifs d’être dans le déni de la souffrance. Dans son article «Y a-t-il des soins palliatifs laïcs? Le soutien spirituel mis au défi », elle dira : « Enfin, entre l’acharnement spirituel et l’ignorance de cette dimension, une réflexion sur le soutien spirituel peut aussi jouer un rôle de garant. Rappelons, tout d’abord, que la souffrance est une expérience constitutive de la vie. […] Vouloir la soulager est indispensable, vouloir la supprimer est illusoire. Il est donc nécessaire d’apprendre ensemble à lutter contre la souffrance tout en sachant la côtoyer. » (1992 : 35). La question est de savoir pourquoi attendre que les patients soient en fin de vie pour faire cette réflexion sur la souffrance. C’est pourquoi nous pensons que la philosophie des soins palliatifs devrait s’étendre à d’autres types de malades. Car pour l’instant, nous croyons que les sciences et les technologies médicales contribuent à générer un besoin spirituel, particulièrement chez différents malades pour qui les limites de l’intervention curative sont claires, mais peut-être, également, chez les individus qui se retrouvent avec la possibilité de générer une maladie future, ceux que l’on nomme les « malades bien portants ». Ces limites génèrent donc du « religieux », ou du moins une quête de sens pouvant se rapprocher de la spiritualité.