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Une société en réseaux : l’individu au cœur d’un nouveau système

CHAPITRE III Le rapport à la santé de l’individu contemporain

1. La clef de la modernité : l’individualisme

1.2 Une société en réseaux : l’individu au cœur d’un nouveau système

Nous citerons ici deux auteurs ayant particulièrement analysé certains changements majeurs dans la notion de société, et liés précisément aux réseaux planétaires : Norbert Elias et Joël de Rosnay33. Si la notion de société change radicalement en ce moment, évidemment l’individu en est affecté. D’abord, Elias parle d’un nouveau processus d’intégration de l’individu moderne à une société planétaire qui fait donc de moins en moins référence à l’état comme il

33 Joël de Rosnay est Docteur ès sciences et nous nous inspirerons, ici, de son livre : L’homme symbiotique.

90 y a cinquante ans. Actuellement, la survie de l’être humain passe par la survie de l’humanité tout entière, l’appartenance à l’humanité est donc inéluctable. Ce qui fait dire à Elias que : « On peut se féliciter ou non de l’intégration croissante de l’humanité. Mais une chose est certaine, c’est qu’elle commence par renforcer l’impuissance de l’individu face à ce qui se déroule au niveau supérieur de l’humanité. » (1991 : 220). Ce qui nous fait dire par ricochet que si l’individu moderne se sent de plus en plus dépassé par les évènements mondiaux, il essayera donc d’avoir un contrôle sur ce qu’il semble le mieux pouvoir contrôler et ce sur quoi sa société semble l’encourager de plus en plus à se responsabiliser : sa santé et son mode de vie ainsi que ses convictions personnelles.

Quant à de Rosnay, il va loin dans sa vision d’« hyperréseaux » planétaires. Plus précisément, il parle de « cybionte » : « Macro-organisme planétaire actuellement en construction. Superorganisme hybride, biologique, mécanique et électronique, incluant les hommes, les machines, les réseaux, les sociétés. » (1995 : 134). Donc l’Homme futur n’est pas qu’un individu à la dérive, il est inclus dans un réseau planétaire qui le dépasse soit, mais qui peut lui permettre d’accéder, selon l’auteur, à « […] d’extraordinaires moyens de connaissance et d’action. » (1995 : 128). Pour de Rosnay, l’Homme du futur est symbiotique. Il considère l’homme, la société et la technosphère34 comme un ensemble coévolutif, c’est-à-dire que l’Homme ne sera pas remplacé par la machine, tant physiquement que mentalement, mais nous allons voir une coévolution entre l’Homme et la technologie qui contribuera à former un Homme nouveau avec d’autres capacités intellectuelles et d’autres possibilités d’actions. Nous n’irons pas plus loin, ici, dans l’explication de cette théorie. Mais ce que nous voulons faire ressortir afin de peaufiner le sujet qui nous intéresse, soit l’identité de l’individu moderne, c’est que loin d’avoir perdu toutes assises sociales, il y a construction d’un nouvel ordre social incluant les individus modernes. De Rosnay élabore dix règles d’or de l’Homme symbiotique. Nous aimerions en analyser deux, particulièrement liées à l’identité de l’individu contemporain.

Premièrement la règle de la subsomption : « l’art de la subsomption consiste à intégrer sa propre individualité dans un ‘plus grand que soi’ pour en tirer avantage et donner du sens à son existence. En abandonnant une part de l’individualisme […], il devient possible de créer des associations symbiotiques. Chacun bénéficie de règles reconnues par tous et peut ainsi

34 Ensemble d’outils, de techniques et de machines (mécaniques et électroniques) assurant la production, la

91 accéder à un niveau supérieur de liberté et de responsabilité. » (1995 : 319). Dans le futur, nous serions donc libres dans le système, un système qui nous dépasse. Cette vision est intéressante, puisque plusieurs auteurs analysant l’identité de l’individu moderne, dont particulièrement Lasch et Lipovetsky, soulignent la banalité qui guette l’individu contemporain en ce sens qu’ayant abandonné toute forme d’idéaux sociaux, religieux et politiques et s’étant replié dans un souci de soi démesuré, sa vie manque de sens et d’envergure. Mais si nous intégrons ce souci de soi à un tout plus grand que nous-mêmes en contribuant à cette construction du macro-organisme dont parle de Rosnay, ceci contribuerait à créer du sens chez l’Homme moderne, mais y sommes-nous vraiment rendus? Nous parlons du futur. Pour Elias, il existe un décalage entre l’« image de nous » de l’individu moderne et « la réalité du réseau d’interdépendances planétaires […]. » (1991 : 294). Selon Elias, c’est l’identité du « nous » qui est en retard. Ce qui pourrait donc expliquer cette ère d’individualisme. Mais comme nous l’avons mentionné l’identité de l’individu est en constante mouvance, à chaque instant nous nous adaptons. Nous pourrions d’ailleurs souligner ici, au passage, les nouveaux réseaux sociaux sur Internet comme les différents Blogs et Facebook, entre autres, qui constituent de nouveaux espaces relationnels où l’on doit bien remarquer une certaine identité collective avec une façon de procéder et certaines règles à suivre35. Mais, encore là, selon les sociologues Vrancken et Macquet, il ne s’agirait pas d’un espace que l’on pourrait concevoir comme une société, mais plutôt simplement comme un espace relationnel à saisir, où l’individu serait constamment en train de s’ajuster à l’autre sans nécessairement s’impliquer davantage par rapport à l’autre. Finalement, ils diront que : « S’exprimant à travers la connexion, la quête de relations souvent éphémères, le Soi [contemporain] irait de pair avec une société en réseaux. » (2006 : 142).

La seconde règle qu’élabore de Rosnay et que nous voulons mentionner en conclusion à cette partie, est celle de « fractaliser les savoirs : communications, éducations et cultures modernes ne peuvent désormais se fonder sur une conception linéaire et encyclopédique des connaissances. La production et la transmission des savoirs complexes et interdépendants nécessitent une approche fractale et hypertextuelle de l’organisation des informations. La fractalisation de ces savoirs crée des germes de connaissances reconstructibles par chacun selon son approche personnelle. » (1995 : 320-321). Et voilà, l’individu moderne en est là,

35 Encore là, ce sujet pourrait constituer une thèse de doctorat en soi et nous sommes conscients que nous ne

faisons qu’effleurer la question. De plus, nous n’avons pas une connaissance approfondie de la littérature sur la question. Nous soulignons cet aspect simplement pour illustrer le fait que la société change constamment de forme et, par conséquent, l’identité et la psychologie de l’individu également.

92 puisque d’une certaine façon son souci de soi est une quête identitaire, à notre avis, et il élabore donc différentes stratégies personnelles à cet effet, dont celle de fractaliser les savoirs et de créer des germes de connaissances qu’il reconstruit en fonction de ses convictions personnelles ou de son mode de vie, entre autres. Mais, et c’est ce que nous analyserons dans le prochain point, l’individu moderne semble se perdre dans cette construction ou, du moins, avoir un lourd poids sur les épaules : celui de sa liberté. Peut-être justement parce qu’elle ne fait pas sens sans l’actuelle identité du nous dont parle Elias.