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Quête de santé : une nouvelle morale individuelle

CHAPITRE III Le rapport à la santé de l’individu contemporain

3. De la santé à la spiritualité

3.1 Quête de santé : une nouvelle morale individuelle

Nous partirons du point que bien que l’individu moderne soit libre de ses choix, de tout temps et dans chaque société, plusieurs règles collectives ont régi les comportements individuels.

111 Nous croyons que le domaine de la santé en est un où les comportements sont bien catégorisés en termes de normaux ou d’anormaux ou de bons ou mauvais. Mais actuellement ces règles comportementales, qui proviennent de l’extérieur de l’individu, ne semblent complètement intériorisées et liées qu’à l’individu souverain maître de lui-même. Elias illustre bien ce fait : « Certes il y a dans toutes les sociétés, quelles que soient les formes qu’ils prennent, des éléments régulateurs des comportements. Mais dans beaucoup de sociétés occidentales, depuis quelques siècles, la régulation est particulièrement intensive, particulièrement diversifiée et omniprésente; et le contrôle social est plus que jamais lié au contrôle de soi, à la répression que s’impose l’individu lui-même. » (1991 : 162). Comment cette imposition procède-t-elle? Y a-t-il une nouvelle morale moderne dont l’individu serait garant? Et qu’en est-il des cheminements personnels très populaires aujourd’hui : quête de sens, épanouissement personnel et quête de santé. Elias parle du fait qu’il y a déjà plusieurs siècles que la régulation des comportements passe par le contrôle de soi. Mais actuellement, ce qui nous semble nouveau, c’est particulièrement cette quête très présente de l’épanouissement personnel lié à la santé et au bien-être individuel. Quête où nous pourrions peut-être remarquer certaines notions et valeurs religieuses ou spirituelles, vécues sous la forme d’une morale personnelle, ce que nous analyserons très clairement dans la deuxième partie de cette thèse.

Danièle Hervieu-Léger a particulièrement étudié la mouvance que subit la religion actuellement ainsi que les phénomènes de pèlerinage et de conversion, et apporte un éclairage certain sur les notions de religion à la carte et d’individualisme religieux (1999). Son travail nous permet de comprendre plus en profondeur cette notion d’individualisme religieux qui nous est cher dans le cadre de notre brève analyse de l’identité moderne. Enfin, dans cette dernière partie nous souhaitons mieux comprendre le rapport que l’individu moderne peut entretenir avec les « phénomènes du croire » et tenterons de lier son rapport à la spiritualité ou à la religion à son vécu moderne et à sa sensibilité thérapeutique.

Il est clair que d’emblée nous observons qu’il y a un lien à faire entre l’individualisme moderne, dont nous avons déjà parlé, et l’individualisme religieux. Hervieu-Léger souligne toutefois le fait que l’individualisme religieux ne date pas d’hier et n’est pas, en soi, un fait moderne : « Ce qui caractérise la scène religieuse contemporaine, ce n’est pas l’individualisme religieux comme tel; c’est l’absorption de celui-ci dans l’individualisme moderne. » (1999 : 162). Pour cette auteure, c’est au sein de la « nébuleuse mystique-

112 ésotérique »37 que ce phénomène d’absorption est le plus facilement repérable. Afin de peaufiner notre analyse de l’identité de l’individu moderne et de son rapport à la santé, et particulièrement à la sienne, nous soulignerons simplement ici l’explication suivante : « Ce qui fait l’unité de cet ensemble, c’est une religiosité entièrement centrée sur l’individu et son accomplissement personnel. » (1999 : 162). La « nébuleuse mystique-ésotérique » est particulièrement intéressante dans l’analyse du religieux contemporain justement par le fait qu’elle est liée de façon intrinsèque aux tendances actuellement observées chez l’individu moderne. Il n’y a aucune vérité qui soit extérieure à l’individu lui-même, on n’adhère pas à une institution ou à un système de croyances et de sens « clés en main » et Dieu est souvent sans nom. Au sein de ces groupes, il y a un accent particulier qui est mis sur l’expérience individuelle dans toute sa subjectivité. De plus, pour ce qui nous intéresse, la limite entre la santé et la spiritualité est particulièrement floue et mouvante, pour ne pas dire poreuse. C’est en ce sens que nous croyons précisément que la santé et la spiritualité se fondent carrément l’une dans l’autre.

Spécifions également, ici, notre positionnement vis-à-vis de deux visions centrales en termes de religieux contemporain et de son analyse, à savoir : est-ce que nous assistons à un renouveau religieux ou à sa décomposition? Et, par ces nouvelles modalités du croire actuelles, voit-on la fin de la sécularisation ou la fin de la religion? Nous sommes d’avis qu’il y a recomposition du religieux par les nouvelles modalités du croire dans les sociétés occidentales contemporaines. La question pour nous est de savoir comment en cerner les contours et comment unifier, dans la mesure du possible, ces différentes modalités du croire. Pour nous, un élément unifiant majeur est la santé,qui pourrait même devenir une religion ou une spiritualité en soi. Spiritualité personnalisée, puisque l’individu seul est garant de son Salut, de son bien-être, de sa santé et de son « autoperfectionnement ». En terminant ce chapitre, nous ajouterons la notion d’« authenticité » à cette liste. Qui n’a pas entendu ce terme aujourd’hui? Il semble être dans toutes les conversations, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Et c’est bien ce qui nous intéresse ici, l’individu moderne se devrait

37 Terme créé par Françoise Champion, sociologue chargée de recherche au CNRS. Elle en donne une définition

sommaire à la page 17 du livre De l’émotion en religion. Renouveaux et traditions, rédigé en 1990 sous les Éditions Centurion à Paris: « C’est dans la seconde moitié des années 70 qu’a commencé de se constituer ce que j’appelle la ‘nébuleuse mystique-ésotérique’. Elle est composée de groupes, de réseaux très divers, pouvant se rattacher à de grandes religions orientales, correspondre à des syncrétismes ésotériques plus ou moins anciens ou à de nouveaux syncrétismes psychoreligieux, ou bien regrouper des personnes autour de la pratique de tel ou tel art divinatoire (astrologie, tarot, Yi-king). »

113 donc également d’être « authentique » vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, cela va de soi.