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La Suisse industrielle et urbaine

L‘entrée de la Suisse dans la révolution industrielle est marquée par un certain nombre de particularités caractéristiques de son tissu économique et de l‘étroitesse de son marché intérieur.

268 Ibid.

269 J.-J. BOUQUET, Histoire de la Suisse, Op. cit., pp. 90 270 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit., pp.81 271 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit. pp .83

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Pendant la période napoléonienne, la Suisse amorce la mécanisation de son industrie textile, avec plus de 155 filatures recensées aux alentours de 1917272.

Dépourvu de charbon, le pays opère son industrialisation sur la base de l‘énergie hydraulique des cours d‘eau, ce qui explique que l‘industrialisation s‘opère largement en dehors de tout contexte urbain lors de sa première phase de déploiement.

Ces facteurs techniques d‘une optimisation de la rentabilité énergétique induisent aussi les débuts d‘une industrie mécanique qui deviendra dominante dès la seconde moitié du XIXe siècle.

C‘est la période napoléonienne et l‘extension de la Révolution industrielle sur le continent, qui constituent une première rupture qui va modifier la physionomie de l‘expansion helvétique dont la caractéristique au XVIIIe siècle, le couple banque- commerce, va quelque peu se dissocier273.

Au lendemain du Traité de Vienne, la plupart des États européens adoptent une politique protectionniste pour se prémunir contre la concurrence étrangère, avant tout britannique. Les grands marchés du Vieux Continent se ferment alors aux produits suisses les uns après les autres. Contraints, les marchands helvétiques tournent désormais leur regard vers les pays extra-européens.

Cette orientation géographique du commerce est une réussite, puisque vers 1845 les deux Amériques absorbent entre 40 et 50 pour cent des exportations totales de la Suisse, tandis que le débouché asiatique, y compris le Moyen-Orient, représente 15 à 20 pour cent de celles-ci. À cet égard, il semble que l‘intensité des relations de la Suisse avec les deux Amériques ait en grande partie résulté du fait migratoire274.

Par la suite, la part du monde extra-européen comme débouché des exportations helvétiques diminuera, mais il convient avant tout de relever que cette large ouverture vers les marchés d‘outre-mer durant la première moitié du XIXe siècle a coïncidé, en Suisse, avec les phases cruciales du démarrage économique, et qu‘à ce titre la

272F. WALTER, Histoire de la Suisse, Op. cit. pp.12

273 T. DAVID, B. ETEMAD, « Un impérialisme suisse ? : Introduction », Op. cit. pp.9 274 T. DAVID, B. ETEMAD, « Un impérialisme suisse ? : Introduction », Op. cit. pp.10

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Confédération est probablement le seul pays du monde développé à avoir réussi sa révolution industrielle en s‘appuyant sur des débouchés lointains275.

Si la construction des chemins de fer intervient relativement tard compte tenu des obstacles techniques inhérents au relief accidenté de ce pays, l‘épine dorsale du réseau est opérationnelle avant 1965, même si les grandes transversales alpines viennent plus tardivement276.

Ces investissements considérables auxquels viennent s‘ajouter ceux liés à l‘équipement hydroélectrique, suscitent des concentrations bancaires qui profilent Zurich comme la grande métropole financière et la capitale économique du pays277.

L‘électricité joue ainsi un rôle important dans le second souffle de la révolution industrielle, où des activités plus traditionnelles se transforment comme dans le cadre de l‘horlogerie, ou bien disparaissent, comme certaines branches du textile.

C‘est donc au prix d‘une mutation technologique considérable que la Suisse va établir sa prospérité, en axant son développement sur une spécialisation haut de gamme à destination des marchés extérieurs.

Ainsi, si le secteur textile prédomine en 1800, avec l‘essor et le succès du secteur haut de gamme de la cotonnerie, de la soierie et de la broderie278, il va aussi donner naissance à toute une industrie suppléante : la chimie pour les colorants, la mécanique et l‘électromécanique pour la fabrication des machines279.

Quant à l‘horlogerie, qui est pourtant organisée dès 1601 dans un système de « fabrique » avec une division internationale du travail entre ceux qui fournissent les capitaux, assurent la gestion et la vente des montres et les différents métiers qui les produisent280, son modèle va être profondément bouleversé. Le Jura s‘étant spécialisé dans l‘horlogerie, la fabrication à domicile ou dans de petits ateliers fait place au travail en usines face au danger que constitue la concurrence américaine, permettant de

275 Idem.

276F. WALTER, Histoire de la Suisse, Op. cit. pp.12 277 F. WALTER, Histoire de la Suisse, Op. cit. pp.12 278 J.-J. BOUQUET, Histoire de la Suisse, Op. cit. pp. 90 279 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit. pp .87 280 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit. pp .84

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produire des montres et horloges d‘une qualité égales et beaucoup moins chères. Ainsi alors qu‘à la fin du XVIIIe siècle, près de 80 000 montres sortent chaque année des cabinets genevois, 7,3 millions de montres suisses sont vendues sur le marché mondial en 1900, dont une bonne partie aux Etats-Unis281.

L‘industrie des machines est née des contraintes du blocus continental sous Napoléon. Mais cette contrainte n‘explique pas à elle toute seule comment un siècle plus tard, « matériel ferroviaire, moteurs Diesels, appareils électriques, instruments de précision d‘origine suisse étaient répandus dans le monde entier »282.

C‘est en effet en utilisant au mieux ses qualités pour ainsi transformer ses handicaps structurels en atouts, que la Suisse a su s‘insérer dans le jeu de la compétition industrielle et commerciale.

Dotée d‘un marché domestique insuffisant et condamnée à exporter dans des quantités modestes au regard de la taille de son appareil de production, la suisse a réussi à s‘imposer par son extrême spécialisation permise notamment par la qualité de son capital humain.

Par une sorte « d‘alliance pour la qualité entre capitalistes et aristocratie ouvrière, dans des industries de de niche et non de masse »283, la Suisse, même si son développement industriel n‘a pas été planifié, a su saisir toutes les opportunités, notamment celles des initiatives individuelles, pour les interpréter au plus juste de l‘esprit du pays, « infiniment compliqué à l‘intérieur, ouvert vers l‘extérieur »284.

Néanmoins, si en 1830, de tous les pays d‘Europe, la Suisse est celui qui exporte le plus en valeur par habitant et qu‘elle figure au 7e rang en valeur absolue, elle est encore

pénalisée par les nombreux droits de douanes ou péages à l‘intérieur du pays ou une vingtaine de monnaies différentes cohabitent.

La Constitution fédérale de 1848, par le transfert de compétences qu‘elle organise, va alors venir achever de favoriser le développement économique du pays en supprimant

281 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit. pp .84 282 J.-J. BOUQUET, Histoire de la Suisse, Op. cit. pp. 91 283 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit. pp .87 284 J. KUNTZ, L‘histoire suisse en un clin d‘œil, Op. cit. pp .88

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les barrières douanières intérieures qui avaient empêché jusqu'ici la libre circulation des personnes, des marchandises et des valeurs pécuniaires.

Ayant trouvé sa place au sein d‘une Europe en pleine mutation, la part des exportations de la Suisse atteint 25% de son PNB en 1850 et en constitue 40% en 1913285.

S‘appuyant sur une solide tradition industrielle, la Suisse − en sachant mettre en avant ses forces et jouer de ses faiblesses au sein du continent européen − aura su conquérir une place enviable sur le marché mondial grâce à la révolution industrielle et, davantage encore, grâce à la paix et à la stabilité politique286.

Cet équilibre existant au sein de la confédération entre les acteurs industriels et financiers au sein d‘une sphère de paix et de prospérité va alors être soumis au choc brutal et violent du premier conflit mondial.