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3 Rupture du premier conflit mondial

La première Guerre Mondiale représente un choc financier pour tous les pays qui s‘y trouvent engagés. Le rôle de l‘Etat et les relations qu‘il entretient avec les citoyens sont profondément transformés par les exigences de l‘effort de guerre. C‘est dans ce contexte que la France expérimente pour la première fois l‘impôt sur le revenu. Celui-ci fait l‘objet d‘un double apprentissage − de la part de l‘administration et des contribuables − tout au long de l‘entre-deux guerres.

La Première Guerre mondiale modifie les conditions idéologiques, sociales et administratives du rapport à l‘impôt. Les sacrifices consentis au front par les « poilus » justifient la mise en place de mesures de compensation destinées à faire participer les plus riches, restés à l‘abri des combats, à la cause patriotique333.

Après deux années d‘attentisme sur le plan financier, c‘est en 1916 que le parlement décrète la mobilisation fiscale, de peur que les soldats ne se découragent face au sort

331C. AMBROSI, L‘apogée de l‘Europe 1871-1918, 5e édition, Masson histoire, 1993, pp.9 332 S. GUEX, « Le secret bancaire suisse : une perspective historique », Op. cit. pp. 10 333 N. DELALANDE, A. SPIRE, Histoire sociale de l‘impôt, Op. cit. pp.40

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clément réservé aux « embusqués »334. La dénonciation des « profiteurs de guerre » conduit à l‘adoption d‘une contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre, votée le premier juillet 1916. Cette contribution (dont l‘application extrêmement délicate) se poursuivra jusque dans les années 1930, vise à imposer des taux progressifs aux entreprises qui ont dégagé des bénéfices du fait d‘activités ou de marchés exceptionnels liés au contexte de guerre. Décidée dans l‘urgence, cette mesure est radicalement nouvelle dans son principe puisqu‘elle suppose que les entreprises déclarent leurs bénéfices à l‘administration fiscale, jusque-là peu habituée à vérifier les comptabilités, souvent lacunaires, de ces dernières335.

Mais c‘est surtout avec la première application de l‘impôt global sur le revenu en 1916 et la création des impôts proportionnels par catégories de revenus en 1917 que la France bascule dans un nouveau système fiscal. L‘impôt sur le revenu est perçu pour la première fois en mars 1916 sur les revenus de 1915.

Essentiellement européenne, si la Grande Guerre a été la manifestation grandiose des engagements les plus violents, elle a aussi été « l‘occasion discrète des abstentions les plus prudentes »336. En effet, la cristallisation incomplète et progressive du vieux concert européen en blocs antagonistes permettait d‘envisager à terme l‘éclatement d‘un conflit général aux contours plus ou moins prévisibles. Néanmoins, certains Etats ont pris depuis longtemps des mesures diplomatiques afin de faire respecter leur volonté de se tenir en dehors d‘une conflagration que ne satisfait selon eux que les intérêts de grandes nations337.

Plusieurs sous-espaces européens tentent ainsi de ne pas se laisser entrainer dans une mêlée qui les écraserait irrémédiablement. Il s‘agit soit de petits blocs issus de la désagrégation d‘empires, ou de territoires-tampons entre les principales puissances du moment.

Il en va ainsi des régions ibériques, scandinaves, belgo-hollandaises, balkaniques, et de l‘agrégat suisse.338Néanmoins, toutes ne vont pas subir le même sort. Ainsi, malgré la

334 Ibid.

335 N. DELALANDE, A. SPIRE, Histoire sociale de l‘impôt, Op. cit. pp.41

336 S. AUDOIN-ROUZEAU, J.-J. BECKER, Encyclopédie de la Grande Guerre, Bayard, Paris, 2004,

pp.854

337 S. AUDOIN-ROUZEAU, J.-J. BECKER, Op. cit. pp.855 338 Ibid.

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proclamation de sa neutralité, la Belgique, autre plaque tournante des capitaux de l‘avant-guerre, est entrainée dans ce conflit. Elle présente, hélas pour elle, le défaut majeur de constituer une zone tampon sur le front de l‘ouest entre les deux blocs de belligérants et de disposer d‘un relief géographique composé de plaines et de plateaux qui la rend aisément accessible.

C‘est ainsi qu‘en application du plan Schlieffen, l‘Allemagne envahit la Belgique pour contourner les armées françaises par le nord, et cela alors que la Belgique, bénéficiait d‘une garantie de respect de son territoire, depuis la déclaration de Londres de 1831 signée par l‘Autriche, la France, la Grande Bretagne, la Prusse et la Russie à laquelle s‘est joint de mauvaise grâce le royaume des Pays-Bas lorsqu‘il reconnut l‘indépendance de son ancienne marché méridionale.

Or, contrairement à la Belgique, la Suisse, dispose de deux atouts naturels majeurs : tout d‘abord sa position périphérique qui en fait un Etat encerclé par les grandes puissances belligérantes mais non un Etat tampon, puis son relief géographique montagneux et accidenté, difficile d‘accès.

L‘intérêt majeur que constitue pour la Suisse elle-même son statut de neutralité va alors être mis en évidence lors de la guerre de 1914-1918. Peu préparée à l‘origine à un conflit de cette envergure, la Suisse neutre va néanmoins réussir à se maintenir à l‘écart de la Première Guerre mondiale non sans que celle-ci suscite de graves tensions entre sa minorité francophone et sa majorité germanophone, ce que l‘on a appelé le « fossé moral » ayant opposé les Suisses latins favorables à l‘entente et les Suisses alémaniques très germanophiles339. Pour la première fois depuis 1815, la Suisse est alors entourée d‘Etats belligérants.

D‘autre part, si elle éprouva de graves inconvénients pour son approvisionnement, surtout à partir de l‘entrée en guerre de l‘Italie, puis des États-Unis et de l‘intensification de la guerre sous-marine, et si l‘industrie suisse − industrie de transformation et d‘exportation avant tout − fut gravement lésée par l‘exigence des belligérants qu‘aucune marchandise importée ne fut réexportée sous une forme

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quelconque à l‘ennemi340, sa neutralité lui permet de sortir relativement épargnée par ce

premier conflit mondial.

Néanmoins, malgré les efforts et les déclarations de principe des autorités, la guerre sous-marine illimitée décrétée par le Reich à partir de 1917 conduit les autorités helvétiques à prendre des mesures drastiques de contingentement mais aussi de rationnement, la Suisse devant en fin de compte aliéner sa souveraineté économique, et mettre en danger la crédibilité de sa neutralité341.

La génération ayant vécu ce conflit s‘en souviendra et veillera à mettre sur pied une véritable économie de guerre à partir de 1936, et à prendre des mesures à même d‘assurer le ravitaillement du pays et à défendre sa neutralité, c‘est-à-dire sa pleine souveraineté.

S‘il semble donc exagéré de considérer que « Sa neutralité permet à la Suisse de traverser sans grands dommages la guerre de 1914-1918 »342, c‘est surtout au regard des dommages humains, moraux, économiques et financiers auxquels sont confrontés les principaux belligérants européens de ce conflit, que l‘on peut estimer que la confédération helvétique a été relativement épargnée.

Le traité de Versailles confirme la neutralité helvétique. De cette époque, date l‘Union douanière, monétaire et postale de la principauté du Liechtenstein avec la Suisse.

§4

La Suisse dans le premier conflit mondial : Eléments

d’intentionnalité et éléments factuels