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1 Les banques et l’Etat en Suisse

La création de la BNS (Banque Nationale Suisse), en 1907 sous une forme para- étatique, combinant des éléments publics et privés, est directement liée au souci de dépolitiser la politique monétaire389.

387 M. MAZBOURI, M. PERRENOUD, « Banques suisses et guerres mondiales », Op. cit. pp.235 388 H.-U. JOST, Le salaire des neutres. Suisse 1938-1948, Denoël, Paris 1998, p. 33.

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Alors que les décisions d‘un organisme public sont toujours susceptibles d‘être débattues, et donc contestées, notamment au Parlement, mais plus généralement dans le champ politique, celles qui émanent d‘une institution à forte connotation privée sont davantage susceptibles de rester confinées aux cercles restreints de ceux qui les prennent390.

Cette déconnexion d‘avec l‘État permet alors de soustraire, au moins partiellement, l‘activité de la Banque nationale au champ politique et ainsi éviter que ses décisions soient l‘objet de polémiques.

Selon Sébastien Guex, cette séparation « fait apparaître les mesures prises par la Banque d‘émission comme des dispositions de nature essentiellement technique, sans implication sociale et politique...»391.

La genèse de la politique bancaire de la Confédération se situe entre 1914, date de la première tentative avortée de législation fédérale globale de ce secteur, et 1927, moment où le problème plus circonscrit de l‘exportation du capital est réglementé par un

Gentlemen‘s agreement, accord oral entre la Banque nationale suisse et les grandes

banques392.

Par cette convention très peu contraignante pour ces dernières393, elles s‘engagent, « avant de consentir des emprunts en faveur de l‘étranger qui pourraient avoir une répercussion sur le change et le marché de l‘argent, [à] en référer à la Banque nationale suisse »394.

La position des banques en la matière découle de leur volonté de poursuivre des placements fructueux à l‘étranger, tout en évitant un contrôle trop poussé de la part de l‘Etat, qui pourrait être demandé par les différents cercles touchés par les répercussions sur les taux d‘intérêt. En ce sens, il est important d‘éviter que le règlement de la question de l‘exportation du capital se fasse sur le terrain du champ politique, c‘est-à-

390 Ibid.

391 S. GUEX, La politique monétaire et financière de la confédération suisse 1900-1920, Payot,

Lausanne, 1993, pp.45

392 Y. SANCEY, Les banques et l‘Etat en Suisse, Op. cit. pp.83

393 Une des principales caractéristiques des Gentlemen‘s agreements (GA) réside dans le fait qu‘ils ne

fondent pas d‘obligation juridique contraignante

394 A. CRUCHON, Le franc suisse pendant et après la guerre, 1914-1930, Lausanne, Payot, 1932, pp.85-

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dire dans un lieu de discussion public car, il est toujours préférable, de leur point de vue, que les tractations sur ce sujet délicat restent confinées dans l‘espace para-étatique quasi privé des réunions entre représentants de la banque et de la BNS, afin d‘éviter que d‘autres milieux aient voix au chapitre en émettant des propositions plus contraignantes395.

Cet accord inaugure une pratique qui va se développer par la suite, conduisant au développement d‘une sphère para-étatique où se règlent de manière quasi privée les différents entre les grandes banques et l‘institut d‘émission396.

Le Gentlemen‘s agreement renverse en quelque sorte l‘image habituelle attachée aux groupes d‘intérêt qui, en étant pensés comme des groupes de pression sont censés représenter une société civile subordonnée à l‘Etat auquel ils adressent leurs demandes397. Au contraire, ce dernier se trouve en position de devoir exercer une persuasion morale envers les banquiers pour obtenir de leur part des informations par l‘intermédiaire de la banque centrale.

À la lumière de la position occupée par l‘État et la BNS dans le fonctionnement de la place financière suisse, on constate que la Confédération occupe une position importante dans le jeu autour de la non-politisation d‘un problème398. Ainsi lorsque la

pression se fait très forte, comme lors des crises bancaires de 1910-14 et de 1934, la Confédération peut prendre des dispositions pour préparer une législation globale de ce secteur par une loi fédérale. Hormis ces moments de vive tension, tant les dirigeants de l‘Etat que de la BNS ne sont pas en tête des mouvements interventionnistes − loin s‘en faut.

Il existe donc une très forte proximité dans la vision du monde entre milieux publics, semi-publics et privés en ce qui concerne l‘importance pour la Suisse du développement de sa place financière. Celle-ci réside dans le fait que, dans un référentiel politique pour la Confédération, et dans un référentiel technique pour la BNS, un équilibre doit être maintenu entre les intérêts en partie divergeant des acteurs intervenant au sein de la place financière helvétique (dans le cas de 1927 il s‘agit de « concilier l‘exportation du

395 Y. SANCEY, Les banques et l‘Etat en Suisse, Op. cit. pp.97 396 Y. SANCEY, Les banques et l‘Etat en Suisse, Op. cit. pp.83 397Ibid.

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capital avec les besoins financiers indigènes de manière à éviter une trop grande tension du marché et de maintenir des conditions d‘emprunt acceptables pour les diverses catégories de débiteurs »399) dans un respect de la sphère privée qui évite de porter atteinte à la compétitivité des grandes banques.

Ce consensus n‘empêche pas les points d‘achoppement entre la BNS et les cercles bancaires, concernant la politique monétaire à adopter, où se profile l‘importance de la frontière entre public et privée, qui légitime une sphère d‘immunité et d‘impunité face aux demandes étatiques400.

§2

Restructuration du secteur bancaire et renforcement du