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2 Restructuration du secteur bancaire et renforcement du secret bancaire

Dès 1929 la crise mondiale frappe la Suisse, puis en 1931, l‘effondrement des banques en Allemagne et en Europe centrale affecte durablement les établissements financiers suisses fortement exposés sur ces pays. A partir de la seconde moitié de 1931 et durant les années suivantes, la Suisse va alors connaitre « la crise la plus grave de son histoire »401.

La crise des années 1930 marque en effet un coup d‘arrêt à la croissance des grandes banques suisses, les plus fortement touchées en raison de l‘importance de leurs transactions avec l‘étranger. Le total de leur bilan diminue de moitié entre 1930 et 1935, et tandis que l‘une d‘entre elles, la Banque d‘escompte suisse de Genève, s‘effondre en 1934, la part au bilan de ces huit « grandes banques » dans le bilan total des banques suisses passe de 41 à 21%402.

Si toutes les autres grandes banques, à l‘exception des deux plus grandes, SBS et Crédit suisse, doivent être réorganisées et consentir des réductions de capital, tandis que la BPS, qui s‘était développée trop rapidement dans les années 1920 doit être sauvée par le

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S. GUEX, La politique monétaire et financière de la confédération suisse 1900-1920, op. cit. p. 241- 242

400 Y. SANCEY, Les banques et l’Etat en Suisse, Op. cit. pp.100

401 S. GUEX, « Les origines du secret bancaire suisse et son rôle dans la politique de la Confédération au

sortir de la seconde guerre mondiale », Op. cit. pp.8

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gouvernement fédéral, les banques cantonales s‘en sortent mieux, en raison notamment de la garantie de l‘État, leur part au bilan de 36% en 1929, remontant à 40% en 1935403.

Aussi − dès l‘été 1931 − la question de l‘élaboration par la confédération d‘une loi sur les banques est posée avec une force d‘autant plus grande, que le mouvement ouvrier, parti socialiste en tête, mais aussi de larges secteurs de la paysannerie et des classes moyennes, exerçant des pressions croissantes en ce sens, exigent que l‘État introduise un contrôle sur les activités bancaires, notamment pour protéger les petits épargnants404. Deux facteurs semblent alors avoir joué un rôle essentiel dans le renforcement du secret bancaire, sans qu‘il soit possible de déterminer avec sûreté, dans l‘état actuel des recherches, « si l‘un prime sur l‘autre »405.

Hésitant, le conseil fédéral, confronté à une crise bancaire grave et durable, s‘est finalement décidé, en janvier 1933, après une longue période de consultation et de tergiversations, à élaborer une Loi introduisant un certain contrôle sur les activités bancaires aux fins notamment de protéger les petits épargnants. En février 1933, un premier projet a été ébauché au sein du département des Finances, projet qui incluait déjà un article sur le secret bancaire406. Si ce projet a été considérablement remanié jusqu‘à l‘adoption définitive de la Loi sur les banques par les chambres, en novembre 1934, Sébastien Guex souligne que « la disposition relative au secret bancaire, elle, n‘a suscité pratiquement aucun débat et n‘a subi, quant au fond, aucune modification notable »407.

L‘inclusion de cette disposition répond au souci de calmer les craintes que suscite, au sein des milieux d‘affaire, la perspective de voir des informations sur la clientèle des établissements financiers fuiter, par l‘intermédiaire de la future surveillance des banques, et parvenir finalement aux autorités fiscales suisses ou, pire encore, étrangères. Expliquant rétrospectivement l‘attitude des cercles bancaires, le directeur général du Crédit suisse de l‘époque justifie qu‘il n‘est donc pas question pour le milieu bancaire

403

Dictionnaire historique de la Suisse, 17/08/2006, Op. cit.

404 S. GUEX, « Les origines du secret bancaire suisse et son rôle dans la politique de la Confédération au

sortir de la seconde guerre mondiale », Op. cit. pp.9

405

S. GUEX, « Le secret bancaire suisse : une perspective historique », Op. cit. pp. 14

406

Voir AFB, E 4110(A)/19/40 et E 6520(A)/I/3. Les deux projets intitulés « Bundesgesetz überdies Beaufsichtigung der Bankenund Sparkassen », signés Eduard Kellenberger, 17 et 24 fév. 1933; H. Bändiger, Die Entwicklung der Bankenaufsicht in der Schweiz, seit dem 19. Jahrhundert, Berne-Stuttgart, P.Haupt, 1986, pp.89-105.

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d‘accepter une « inspection étatique (car) on voulait éviter la mise en danger du secret bancaire qu‘elle impliquait »408.

Mais il convient également de rappeler le contexte politique à l‘époque de l‘élaboration de la loi, celle de l‘affaire des fraudes fiscales de 1932 avec le gouvernement Herriot. Le 27 octobre 1932, sur demande provenant du ministère des Finances, la succursale parisienne de la Banque commerciale de Bâle, l‘une des plus grandes banques suisse de l‘époque, est perquisitionnée, mettant à jour une fraude d‘une ampleur gigantesque, la somme de la fortune échappant au fisc français se situant entre 1 et 2 milliards de francs français de l‘époque, privant ainsi l‘État de recettes de plusieurs dizaines de millions de francs par année409. Durant la semaine suivante, les autorités françaises entreprennent encore deux démarches qui suscitent l‘intérêt du public pour le scandale, en faisant perquisitionner deux autres succursales parisiennes de banques suisses, la banque Lombard & Odier et la Banque d‘escompte suisse, et en rendant public une liste comprenant les noms et adresses des quelques 130 premiers inculpés. Le gouvernement joue ainsi son va-tout en déclenchant l‘affaire des fraudes fiscales, car − en abattant cette dernière carte − il tente de redorer son blason auprès des socialistes et de l‘aile gauche du parti radical410. Le scandale qui éclate à la suite de cette découverte va envenimer les relations franco-suisses, mais surtout introduire une brèche dans l‘inconscient de la clientèle des banques helvétiques quant à la capacité de la confédération à garantir la confidentialité des informations. En effet, en faisant perquisitionner l‘agence de la Banque de Bâle et en essayant ainsi de mettre la question de la fraude fiscale au centre de l‘agenda politique, le gouvernement Herriot adresse un sévère avertissement aux banques étrangères, en particulier aux institutions helvétique qui attirent depuis la Grande Guerre un volume de fonds français toujours plus volumineux411. Si la chute du gouvernement Herriot, le 14 décembre 1932, va contribuer à enliser l‘affaire, l‘avertissement aura été sévère pour la Suisse.

Sébastien Guex rappelle fort justement que cet épisode des années 1930 avait eu un précédent412. Au début de l‘année 1914, suite aux difficultés rencontrées par une série

408 AFB, E 6520(A)1/1, lettre du directeur général du Crédit suisse au chef du Département fédéral des

finances, 9 fév.1935.

409 S. GUEX, « 1932 : l‘affaire des fraudes fiscales et le gouvernement Herriot », l‘Economie politique,

2007/1 n°33, pp.91

410 S. GUEX, « 1932 : l‘affaire des fraudes fiscales et le gouvernement Herriot », Op. cit. pp.96 411 Ibid.

412 S. GUEX, « Les origines du secret bancaire suisse et son rôle dans la politique de la Confédération a

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d‘établissements financiers relativement importants, le conseil fédéral envisage d‘introduire une surveillance des démarches en ce sens. Craignant déjà qu‘une telle surveillance n‘aboutisse à un affaiblissement de la pratique du secret bancaire, les cercles financiers − Banque nationale suisse et Association suisse des banquiers en tête − avaient alors exprimé leurs vives réticences « pour ne pas dire leur refus »413. En

raison de cette vive opposition, suivie du déclenchement du conflit mondial et de l‘amélioration de la situation des banques grâce à la conjoncture de guerre, l‘affaire a alors été abandonnée414.

Le consensus autour du Gentlemen‘s agreement est alors de nouveau menacé par cet interventionnisme étatique des années 1930, pour les banques de la place financière helvétique.

Que le premier projet de loi sur les banques élaboré par les autorités fédérales ait alors contenu une disposition renforçant le secret bancaire ne surprend donc guère, alors que la menace venant de France commence à peine à s‘estomper. Du point de vue des milieux dirigeants suisses, il s‘agit avant tout de donner « un message clair à la clientèle étrangère quelque peu dé-sécurisée par les démarches françaises »415− celui qu‘à l‘avenir ce secret serait défendu avec davantage de rigueur. En faisant de la violation du secret bancaire un délit pénal poursuivi d‘office, en principe, par les autorités suisses, la loi de 1934 va ainsi ériger une véritable muraille contribuant à restaurer la confiance de la clientèle étrangère envers l‘ensemble des institutions suisses.

À l‘abri de son secret bancaire désormais renforcé, la confédération va alors traverser avec succès les années périlleuses de 1938 à 1946 malgré les inquiétudes motivées par les crises et la guerre mondiales416, en appliquant avec minutie la stratégie ébauchée lors du premier conflit mondial.

413 Idem.

414 H.BANZIGER, Die Entwickung…, op. cit, pp.38-49; S. GUEX, La politique monétaire et financière

de la confédération suisse 1900-1920, Op. cit. pp.217-219.

415 S. GUEX, « Les origines du secret bancaire suisse et son rôle dans la politique de la Confédération a

sortir de la seconde guerre mondiale », Op. cit. pp.17

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Chapitre 3

L’Émergence des pavillons de

complaisance

Si l‘essor de la libre immatriculation date de l‘après Seconde Guerre mondiale, c‘est la période de l‘Entre-deux-guerres qui marque réellement la naissance de cette pratique. Celle-ci résulte d‘une approche avant tout géopolitique qui s‘exerce principalement sous la sphère d‘influence des États-Unis − ce qui met déjà en lumière à l‘époque, les rapports qui unissent ces espaces dérogatoires aux grands centres de l‘économie mondiale d‘où émane la demande de dérogation417. Dans le cas présent, les États-Unis

contribuent grandement au développement des espaces dérogatoires majoritairement du fait de leur proximité et du contrôle étroit qu‘ils exercent sur la région.

Section 1

Enjeux de l’entre deux-guerres

S‘il manque encore des éléments essentiels qui caractérisent la libre immatriculation contemporaine − à savoir l‘approche économique et l‘importance quantitative du phénomène − l‘usage par les compagnies maritimes d‘un État donné de navires immatriculés dans un autre État demeure une affaire généralement politique, lié au contexte politique de plus en plus tendu de l‘entre-deux-guerres, ou répondant à la logique de multinationales étasuniennes choisissant de faire usage de l‘isthme de l‘Amérique centrale afin de contourner certaines restrictions locales.

§1

Enjeux

En effet, si jusqu‘à la Première Guerre mondiale la libre immatriculation au sens contemporain n‘existe pas réellement, certaines situations s‘en approchent à travers les registres d‘outre-mer, les accords bilatéraux conclus entre États ou encore les facilités offertes par certains pays neutres ou non belligérants lors des conflits.

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Ainsi les navires civils battant le pavillon d‘États en conflit sont pris à partie dans le cadre des zones dites « d‘exclusion maritime » de plus en plus larges et livrées à une guerre sous-marine intense418 durant le premier conflit mondial, ce qui les conduit à se protéger en immatriculant leurs navires sous la pavillon d‘États neutres ou, du moins, non belligérants.