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Section I : Obligations typiques

B) Substituts au paiement

577. Lors de l’analyse du contrat de courtage, nous avons exposé que le courtier avait droit à son salaire si le mandant et le tiers concluaient le contrat visé ou un contrat « économiquement équivalent ». Nous allons maintenant déterminer si cette notion peut être utilisée dans le contrat de recouvrement.

578. A priori, cette transposition n’a pas lieu d’être. Rien ne peut remplacer l’argent si ce n’est l’argent. Toutefois, certaines constructions juridiques offrent au créancier une sécurité quant au fait qu’il sera payé, par la consignation du montant (1), la constitution de sûretés (2) ou – dans une moindre mesure – par la reconnaissance de la dette (3). Le rapport de base peut également être modifié par transaction (4). Il est donc nécessaire d’examiner dans chacune de ces hypothèses si le recouvreur a correctement exécuté son incombance et peut prétendre à sa rémunération.

579. Le contrat peut régler spécifiquement la totalité ou une partie de ces hypothèses. Dans tous les cas, il convient d’abord de se reporter aux stipulations contractuelles, et les préférer aux solutions que nous proposons.

1) Consignation

580. Le refus de payer opposé par le débiteur peut résulter d’autres facteurs qu’une situation financière difficile ou une exception résultant du contrat. En cas de demeure du créancier – art. 92 al. 1 CO – ou lorsqu’il existe un doute sérieux sur la personne à qui la prestation est due – art. 96 ou 168 al. 1 CO – la voie de la consignation permet au débiteur de se libérer sans risque.

581.On remarque certaines similitudes dans la formulation de ces articles.

L’art. 92 al. 1 CO, auquel renvoie l’art. 96 CO, a la formulation suivante :

« 1 Lorsque le créancier est en demeure, le débiteur a le droit de consigner la chose aux frais et risques du créancier et de se libérer ainsi de son obligation. »

123 Quant à l’art. 168 al. 1 CO, qui traite du cas de la titularité litigieuse d’une créance cédée, il prévoit que :

« 1 Le débiteur d'une créance dont la propriété est litigieuse peut en refuser le paiement et se libérer par la consignation du montant en justice. »

582.Un autre cas de consignation se trouve dans la règlementation du contrat de bail, en cas de défaut de la chose louée. L’art. 259g al. 2 CO dispose que « [l]es loyers consignés sont réputés payés. »

583. Il ressort de l’ensemble de ces dispositions légales que le législateur a voulu que la consignation soit équivalente au paiement, en cela qu’elle « libère » – formulation employée par les articles 92 al. 1 et 168 al. 1 CO – le débiteur et le protège des conséquences néfastes d’un défaut644. Nous ne pouvons pas nous écarter de ce raisonnement en matière de recouvrement, d’autant plus que le créancier ne saurait réclamer le paiement au débiteur d’un montant déjà consigné. Le recouvreur n’a alors plus aucune marge de manœuvre. La consignation se trouvant dans un lien de causalité avec l’action du recouvreur ouvre par conséquent le droit au paiement du salaire.

584.Si la consignation n’est pas valable, le débiteur n’est pas libéré645, et le créancier ne pourra pas obtenir l’argent bloqué. Il n’y a, à notre sens, pas de raison de retenir une quelconque équivalence avec un paiement. Le recouvreur n’a donc pas de droit à son salaire et doit poursuivre ses activités s’il veut y prétendre.

585.La consignation d’une partie seulement de la dette – ou une consignation qui ne serait que partiellement valable – doit logiquement être traitée comme un paiement partiel, selon les principes précédemment développés646.

2) Sûretés

586.Vu les faibles montants en jeu dans le contrat de recouvrement, il est peu probable que le débiteur prenne la peine de fournir des sûretés plutôt que de payer directement son dû. Toutefois, cette hypothèse n’est pas inenvisageable.

Le contrat de recouvrement peut contenir une provision spécifique sur la question, mais cela nous paraît peu probable.

644 En cas de demeure du créancier : CR CO I-LOERTSCHER, CO 92 N 12.

En cas d’incertitude : CR CO I-PROBST, CO 468 N 6 ; ATF 134 III 348, JdT 2010 I 687, consid. 5.1.

Dans le bail à loyer : CR CO I-LACHAT, CO 259g, N 8 ; LACHAT, N 7.4.6 ; TERCIER/FAVRE, N 2173 ; ATF 124 III 201, JdT 1999 I 367, consid. 2d ; ATF 125 III 120, JdT 2000 I 622, consid. 2b.

645 ATF 125 III 120, JdT 2000 I 622, consid. 2b ; TF, 4A_163/2007, consid. 4.2.1 ; Chambre des recours/VD, JdT 2009 III 15, consid. 4.2.

646 Supra N 555 ss.

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587.Nous avons déjà traité de l’exception d’insolvabilité de l’art. 83 CO, qui permet au créancier de retenir sa prestation, voire de résilier le contrat si des sûretés ne sont pas fournies647. Cet article n’a plus d’utilité lorsque le créancier a déjà exécuté sa prestation, mais il montre cependant que le législateur considère favorablement la possibilité de fournir des sûretés.

588.Une fois les garanties apportées par le débiteur – qu’elles soient réelles ou personnelles – la créance est sécurisée. Il convient à notre sens de considérer, sous réserve de l’existence du lien psychologique, que le recouvreur a permis au créancier d’obtenir son dû, même de façon indirecte. Le paiement du salaire est donc justifié.

589.Dans le cas particulier où la créance n’est que partiellement garantie, nous sommes d’avis de conserver le même système que celui développé en rapport avec le paiement partiel de la créance648, à savoir que la rémunération du recouvreur se calcule au prorata du montant couvert.

590.La constitution d’une sureté est une reconnaissance de dette au sens de l’art. 135 ch. 1 CO, ce qui permet d’interrompre la prescription649. En revanche, il ne s’agit pas d’un document écrit reconnaissant la dette, ce qui ne permet pas de l’utiliser comme titre de mainlevée provisoire650. Si un gage a été constitué, le créancier pourra toutefois agir par la voie privilégiée de la poursuite en réalisation du gage (art. 151 ss LP)651.

3) Reconnaissance de dette

591.Nous envisageons ici le cas où le recouvreur n’obtient pas le paiement du débiteur, mais où ce dernier consent à reconnaître sa dette – au sens de l’art. 82 LP – c’est-à-dire dans un document écrit, signé ou passé par acte authentique652. Dans la procédure de poursuite, il s’agit d’un titre permettant d’obtenir la mainlevée provisoire653. Une fois celle-ci obtenue, ce sera au débiteur d’agir, par la voie de l’action en libération de dette, pour éviter la saisie ou la faillite654.

592. Il faut distinguer cette reconnaissance de dette de celle prévue à l’art. 17 CO. Les conditions de cette dernière sont bien moins strictes. Il s’agit

647 Supra N 220 ss.

648 Supra N 555 ss.

649 CR CO I-PICHONNAZ, CO 135 N 8.

650 CR LP-SCHMIDT, LP 82, N 18 ss.

651 MARCHAND, Poursuites, p. 213 ; CR LP-FOËX,LP151N1,10 SS.

652 KRAUSKOPF, p. 25 ; MARCHAND, Poursuites, p. 66 ; CR LP-SCHMIDT, LP 82 N 18 s. ; CR CO I-TEVINI, CO 17 N 5 ; ATF 136 III 624, consid. 4.2.2.

653 MARCHAND, Poursuites, p. 66 ; CR LP-SCHMIDT, LP 82 N 1, 14, 18 ss ; SPÜHLER, N 332 ; CR CO I-TEVINI, CO 17 N 5.

654 MARCHAND, Poursuites, p. 71 ss ; CR LP-SCHMIDT, LP 82 N 15 ; SPÜHLER, N 347 ss.

125 d’une déclaration unilatérale, qui n’est soumise à aucune forme. Un acte concluant pourrait même suffire655. Elle est sujette à réception et à acceptation, et n’est par conséquent pas valable si elle est adressée à un tiers, à moins que celui-ci soit un représentant du destinataire prévu656.

593.En soi, on ne saurait dire qu’une reconnaissance de dette – même au sens de l’art. 82 LP – équivaut au paiement. En effet, elle n’a pas de valeur pécuniaire en elle-même, mais peut faciliter des démarches ultérieures. Son obtention ne suffira pas au recouvreur pour réclamer son salaire.

594.Le créancier pourrait par la suite utiliser cette reconnaissance de dette dans le cadre d’une procédure de poursuite, qui brise normalement le lien psychologique entre l’action du recouvreur et le paiement, évitant ainsi d’avoir à payer le salaire. Le recouvreur a donc tout intérêt à prévoir spécifiquement cette hypothèse dans le contrat.

4) Transaction

595.Dans le cadre d’une négociation pour parvenir au paiement, il peut être utile de mettre à la disposition du recouvreur la possibilité de passer une transaction avec le débiteur.

596.La transaction est un contrat sui generis, qui suppose des concessions réciproques entre les parties en vue de mettre fin à un litige ou une incertitude657. Le recouvreur ne peut évidemment transiger pour lui-même dans le contexte qui nous occupe, mais agira comme représentant direct du créancier, aux conditions que nous allons analyser658.

597.On ne saurait ici appliquer les règles du courtage, le courtier n’ayant pas le pouvoir de conclure lui-même un accord avec le tiers. Ne reste donc que les règles sur le mandat et sur la représentation. L’art. 396 al. 2 CO pose la présomption que le mandataire peut effectuer des actes de représentation directe659, mais l’alinéa 3 de cette même disposition exclut plusieurs actes de cette présomption, dont la transaction et les donations, y compris les remises de dette660. Le recouvreur devra être spécialement autorisé par le créancier s’il veut y procéder.

655 MUSTER, p. 77 s. ; CR CO I-TEVINI, CO 17 N 4.

656 MUSTER, p. 90.

657 TERCIER/FAVRE, N 8103 ss, 8114.

658 Supra N 333.

659 ENGEL, Contrats, p. 483 ; HUGUENIN, N 3241 ; MÜLLER, Contrats, N 1940 ; TERCIER/FAVRE, N 5078 ; CR CO I-WERRO, CO 396 N 7.

660 HUGUENIN, N 3242 ; MÜLLER, Contrats, N 1947 ; TERCIER/FAVRE, N 5086 ; CR CO I-WERRO, CO 396 N 13.

De façon générale, pour tous les « actes spéciaux, réputés importants » : ENGEL, Contrats, p. 483.

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598.Le droit au salaire en cas de transaction s’analysera en fonction des pouvoirs conférés par le créancier. Selon nous, si le recouvreur parvient à la transaction souhaitée – ou à tout le moins autorisée – par le créancier, il convient de reconnaître ce droit de façon pleine et entière, et non au prorata de la somme recouvrée. L’attribution spéciale de pouvoirs doit prendre le pas sur l’accord général entre les parties.

599.Accorder un délai de paiement ou convenir d’un échéancier est déjà de la transaction661 si les concessions sont réciproques. À défaut, il s’agira d’une simple remise de dette. Le recouvreur doit donc être autorisé à procéder à de tels actes, sous peine de nullité. Celle-ci a un effet très particulier. Les actes que le débiteur a consentis, par exemple le versement d’un acompte, devraient être frappés de nullité et les montants restitués. Toutefois, ils ont une autre cause – le rapport de base – dont la validité est indépendante.

600.Ainsi, il nous apparaît que le débiteur qui transigerait avec un représentant dépourvu de pouvoirs ne sera pas protégé vis-à-vis du créancier, les hypothèses de protection de la bonne foi restant réservées (art. 33 al. 3 et 34 al. 3 CO – celles-ci supposent toutefois une improbable communication desdits pouvoirs par le créancier)662. Le débiteur pourrait toutefois se retourner contre le recouvreur, aux conditions de l’art. 39 CO663.

601.Si la « transaction » consiste uniquement à réduire ou supprimer la créance, sans que l’on y retrouve des concessions de la part du débiteur, il s’agira d’un cas de remise de dette. Nous y reviendrons dans notre Chapitre 7664.