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3. Sémiologie d’une morphosyntaxe déficitaire et d’une morphosyntaxe simplifiée

3.4. Caractérisation morphosyntaxique des structures sources de complexité

3.4.2. La subordination et les relatives en particulier

3.4.2.1. Subordination : taux de subordination, LME, densité propositionnelle

Les travaux qui ont examiné l’évolution du langage après la période critique d’acquisition, c’est-à-dire après la phase de développement rapide du langage (donc après 6-7 ans), ont mis en évidence le fait qu’on ne notait pas l’apparition de nouvelles structures108, mais plutôt une augmentation de la complexité des énoncés avec notamment un degré d’enchâssement plus profond. Ainsi, Loban (1976) a mené une analyse longitudinale d’échantillons de langage spontané (consistant en des conversations avec l’expérimentateur) de 105 enfants et adolescents anglophones âgés de 6 à 18 ans, suivis sur une période de 13 ans. Il a mis en évidence un accroissement du taux de subordination avec l’âge ainsi qu’une augmentation de la longueur moyenne des énoncés (LME109) et de la densité propositionnelle, cette dernière mesure correspondant au nombre total de propositions—subordonnées et principales— rapporté au nombre d’énoncés verbaux. Pour illustration, la LME moyenne était de 6,9 à 6 ans, de 9,8 à 11 ans et enfin de 11,7 à 18 ans. De même, la densité de subordination augmentait significativement avec l’âge : entre 0,16 subordonnées par énoncé à 6 ans, 0,37 à 11 ans et 0,43 à 14 ans.

On peut également citer Leadholm & Miller (1992) qui ont observé une augmentation de la LME avec l’âge chez 167 enfants anglophones âgés de 3 à 13 ans : les enfants de 5 ans présentaient une LME de 5,7 à 5 ans, de 5,9 à 7 ans, de 6,5 à 9 ans, de 7,6 à 11 ans et enfin de 7,0 à 13 ans (données de langage spontané recueillies lors de conversations libres avec l’adulte). Toujours dans les travaux de Leadholm & Miller, les échantillons de langage spontané obtenus cette fois lors d’un récit d’histoire (donc dans un contexte plus dirigé) laissaient apparaître des LME plus élevées, et d’autant plus élevées que les sujets étaient âgés. Selon les auteurs, cette différence entre les contextes de recueil peut être imputable aux contacts répétés avec l’écrit110 (et à ses récits formalisés) ainsi qu’au développement tardif des capacités discursives et pragmatiques.

Hass & Wepman (1974) ont analysé les relations entre l’âge et différentes mesures syntaxiques chez 180 enfants anglophones âgés de 5 à 13 ans dans un recueil de langage spontané dirigé (récit d’histoire). Parmi les différentes dimensions syntaxiques analysées

108 Autrement dit, les enfants tout-venant, à partir de l’âge de 6 ans, disposent déjà de tout l’éventail (ou du

moins d’une très grande partie) des structures permettant l’enchâssement (avec les différents types de subordonnées, les complémenteurs appropriés, etc.).

109 A noter : la LME augmente de façon concomitante au taux de subordination, le fait d’utiliser davantage de

subordonnées augmentant logiquement la longueur des énoncés.

110 D’autres chercheurs soutiennent l’hypothèse selon laquelle le contact de plus en plus fréquent avec l’écrit

chez les enfants et adolescents d’âge scolaire facilite et accélère l’utilisation à l’oral de certaines constructions, comme les constructions formelles passives (Jisa, 2004).

(comme l’utilisation des différentes catégories grammaticales et la variété des constructions utilisées), une seule—l’enchâssement—était corrélée de façon importante avec l’âge. Ce dernier aspect regroupait les mesures suivantes : variété et longueur des NP, nombre et proportion des modificateurs de noms, variété des phrases et nombre de propositions par phrase (=densité propositionnelle). Les auteurs concluaient alors sur le langage des enfants les plus âgés : “older children differ not so much in that they talk more, but in that they organize

what they say in larger transformational packages” (p. 465).

Si l’on applique désormais l’analyse de la subordination à des populations au développement atypique, il apparaît que ces sujets présentent très fréquemment des taux de subordination plus faibles que ceux de sujets témoins. Hamann et al. (2007)111 ont analysé les échantillons de langage spontané (recueillis en situation conversationnelle libre) de 28 enfants et adolescents avec TSL (répartis en deux groupes : 10 enfants âgés de 5;5 à 10;5 ans et 18 adolescents âgés de 10;11 à 15;7 ans112). Ces participants présentaient un taux d’énoncés complexes (contenant au moins une subordonnée) significativement inférieur à celui des enfants tout-venant âgés de 6 à 11 ans. De plus, alors que ce taux augmentait avec l’âge chez les enfants tout-venant (26% à 6 ans, 28% à 8 ans et 32% à 11 ans), il stagnait, ou tout du moins, restait peu élevé dans les groupes de sujets avec TSL (17,5% chez les 5-10 ans et 22,5% chez les 11-15 ans). Van der Lely (1998, cité dans Van der Lely, 2004) a observé des résultats similaires chez des sujets anglophones avec TSL grammatical (âgés de 9 à 20 ans) qui produisaient peu de subordination dans une tâche de récit.

Avec la même méthodologie que celle de Hamann et al. (op. cit), nous avons mené une étude comparative du langage spontané de deux groupes cliniques (Tuller et al., 2006)113 : un groupe de 15 enfants présentant une épilepsie à pointes centro-temporales114 âgés de 7;2 à 11;10 ans, et un groupe de 15 enfants SML115 âgés de 7;4 à 11;11 ans. Les résultats obtenus révélaient une augmentation de la LME et du taux de subordination (correspondant au nombre de subordonnées rapporté au nombre d’énoncés verbaux) avec l’âge dans les deux groupes présentant un développement atypique. Cependant, les SML, même les plus âgés, conservaient un taux de subordination plus faible que celui des témoins les plus jeunes (avec un taux de 13,9% pour les SML de 9-11 ans versus 16,2% pour les témoins de 6 ans).

111 Voir aussi Henry, 2006 ; ces études s’inscrivent dans un projet inter-pathologies que notre laboratoire a initié

(groupe langage et handicap, Université François Rabelais de Tours, UMR INSERM U930).

112 Les résultats en spontané de certains de ces adolescents, âgés de 10 à 13 ans (Henry, 2006), seront présentés

dans la partie résultats, section 5.3, pour la comparaison avec les SML.

113 Ce travail s’inscrit également dans un projet inter-pathologies de notre laboratoire. 114 Sous-groupe de la population de thèse étudiée par Monjauze (2007).

On peut également citer Audollent & Tuller (2003) qui rapportent les résultats, obtenus en langage spontané (sur des échantillons de plus de 600 énoncés par sujet), de deux jeunes adultes, l’un avec TSL, l’autre sourd profond. Alors qu’un locuteur adulte tout-venant présente un taux d’énoncés complexes approchant les 50% (autrement dit, la moitié de ces énoncés comporte au moins une subordonnée), les deux adultes obtenaient des taux inférieurs à 30% : 28,5% pour le sourd profond et 29,4% pour le sujet avec TSL.

Toujours dans une étude inter-pathologies, Reilly et al. (2004) ont caractérisé le développement de la complexité syntaxique par une augmentation du taux de subordination, conjointement à une diminution du taux de coordination. Les auteurs ont comparé les récits (recueillis grâce à un support imagé : “Frog, where are you ?”, Mayer, 1969) de 73 enfants tout-venant, 44 enfants avec TSL et 52 enfants ayant souffert d’une lésion corticale, focale, précoce et unilatérale. Les sujets étaient divisés en fonction de l’âge en trois sous-groupes : les 4-6 ans, les 7-9 ans et les 10-12 ans. Etaient codés le nombre de propositions, la fréquence des erreurs morphologiques, la fréquence des énoncés complexes (qui incluaient les énoncés contenant des coordonnées, des subordonnées ainsi que des constructions passives) et la diversité syntaxique (c’est-à-dire la répartition des différents types de phrases complexes utilisées). La longueur du récit, définie par le nombre total de propositions produites, augmentait avec l’âge dans les trois groupes mais le nombre de propositions, dans les deux groupes atypiques (TSL et lésions focales), restait inférieur à celui des tout-venant et ce, quelle que soit la tranche d’âge considérée. Quant aux erreurs morphologiques, elles démontraient le même pattern : une diminution avec l’âge chez les trois groupes, ce qui entraînait une normalisation pour les enfants avec lésion focale (qui ne différaient plus, à 10- 12 ans, des témoins du même âge). Cependant, les sujets avec TSL, même pré-adolescents, continuaient à produire davantage d’erreurs morphologiques que les témoins. Concernant la complexité syntaxique, les résultats montraient que la fréquence de phrases complexes et la diversité syntaxique augmentaient avec l’âge dans tous les groupes. Là encore, les adolescents avec lésion focale rattrapaient le niveau des témoins, alors que les déficits des sujets avec TSL étaient décrits comme plus sévères et plus persistants.

Enfin, pour Scott (2003, voir aussi Scott & Windsor, 2000), l’indice le plus révélateur de la croissance syntaxique à l’adolescence, dans un contexte d’acquisition typique ou atypique du langage, concerne la connectivité inter-propositionnelle, c'est-à-dire la capacité à combiner des propositions : “An important feature of language development is learning to connect

clauses within sentences to convey more complex meanings. Indeed, in “school” language, spoken and written sentences are frequently 5 or more clauses in length”. Scott (op. cit) a

comparé les corpus de langage spontané, oraux et écrits, sous forme soit d’une narration soit d’un texte argumentatif, de 20 sujets âgés de 10 à 12;6 ans présentant des troubles langagiers116 à ceux de sujets contrôles. L’auteur rapporte que les premiers ont des performances significativement inférieures aux seconds pour différentes mesures, parmi lesquelles la LME, le taux d’erreurs morphosyntaxiques et le taux de connectivité inter- propositionnelle (qui incluait les propositions subordonnées comme coordonnées).