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2. La surdité moyenne et légère

2.5. Langage

2.5.2. Répercussions langagières spécifiques chez les enfants SML

2.5.2.4. Langage écrit et séquelles langagières à l’adolescence

A notre connaissance, les études portant spécifiquement sur le langage écrit des enfants SML sont relativement rares. On peut tout de même se référer, pour des sujets francophones, à l’article de Le Capitaine et Korb (2000) qui décrit chez des enfants SML des confusions de mots proches sur le plan phonologique et des retards dans les productions écrites se caractérisant notamment par l’omission des morphèmes fonctionnels, ces difficultés étant à mettre en rapport avec les imprécisions du langage oral. Ont également été relevées par Bellec (1996), chez des sourds moyens, des difficultés importantes en orthographe, essentiellement sur les dictées de phonèmes et de logatomes, difficultés à associer là encore à des déficits phonologiques à l’oral. Cependant, ces auteurs se fondent soit sur des observations cliniques, soit sur des études n’incluant que des enfants suivis pour des troubles du langage.

34 Les 100 premiers énoncés d’un corpus de chaque enfant ont été transcrits et analysés.

35 Voir chapitre 3, section 3.4.2.4 pour une analyse syntaxique approfondie des subordonnées relatives et une

Dans des études ne sélectionnant pas particulièrement des enfants en cours de rééducation, il semble qu’on ne retrouve pas de tels troubles du langage écrit. Ainsi, dans un travail précédemment évoqué, Briscoe et al. (2001) ont évalué, entre autres mesures langagières, les performances d’enfants SML âgés de 6 à 11 ans en compréhension de lecture et en lecture de mots et non-mots, épreuves pour lesquelles ils n’ont pas retrouvé de différences entre les résultats des SML et ceux des témoins normo-entendants du même âge. Sahlén et al. (2004) et Hansson et al. (2004) n’ont pas davantage relevé de différence significative en précision de lecture (de mots et non-mots) et en compréhension écrite entre enfants SML (8-13 ans), locuteurs du suédois, et témoins ; ils mettent cependant en évidence une dissemblance en vitesse de lecture, les SML étant significativement plus lents pour lire les mots que les témoins. Des difficultés en vitesse de lecture36 ont également été relevées par Josse-Tiercin (1997) chez des pré-adolescents sourds moyens scolarisés en 6ème : 94,4% des sujets présentaient un niveau de lecture inférieur à celui d’un élève de CM1 (contre 75% chez les témoins) et 5,6% un niveau inférieur à celui d’un élève de CE1 (contre 1,7% des témoins).

Par la suite, Halliday & Bishop (2006) ont étudié les relations entre la détection de modulation de fréquence et les troubles de langage écrit en appariant 16 sujets anglophones monolingues dyslexiques avec 16 sujets contrôles et 16 enfants et adolescents SML, âgés de 8 à 14 ans (PTM comprise entre 24 et 70 dB, M = 44 dB). Il apparaît que les SML ont, tout comme les dyslexiques, des difficultés dans la détection de modulation fréquentielle37, mais qu’ils ne diffèrent pas des enfants contrôles pour les tâches de langage écrit (tests de lecture de mots et non-mots). Halliday & Bishop (op. cit.) concluent que les difficultés de perception et de discrimination fréquentielle ne sont pas suffisantes pour induire des troubles du langage écrit. Un lien purement causal semblait donc à écarter. Enfin, bien que leur travail n’ait pas été ciblé sur les performances en langage oral, les auteurs mentionnaient un point intéressant : les sujets SML présentaient des scores déficitaires (en moyenne -1,7 ET) dans l’épreuve de répétition de non-mots (qui était corrélée aux résultats en discrimination de modulation fréquentielle) et différaient alors significativement des témoins et des dyslexiques qui, tous deux, avaient des scores dans la norme. On retrouve donc là encore les troubles liés au domaine phonologique. Il nous paraît aussi intéressant de mentionner que, dans une étude

36 Testée par le test de l’Alouette (Lefavrais, 1967) qui évalue la vitesse de lecture d’une poésie lue à haute voix

et qui a été proposée à 18 sourds moyens et 60 témoins appariés en âge et niveau scolaire (incluant donc autant de redoublants que chez les sourds). Il faut tout de même préciser que les normes de ce test sont très anciennes et que : « la poésie l’Alouette paraît difficile d’accès, le vocabulaire est peu courant » (Josse-Tiercin, 1997 : 44).

37 Comme attendu, ces difficultés sont corrélées au degré de perte auditive chez les SML ; elles sont aussi

publiée en 2005, ces même auteurs ont répliqué ces résultats en comparant 22 enfants38 SML âgés de 6 à 13 ans (PTM comprise entre 21 et 67 dB, M = 46,4 dB) et 22 enfants contrôles sur des tâches de discrimination fréquentielle et sur des épreuves étalonnées de vocabulaire, de compréhension morphosyntaxique (TROG-2 Bishop, 2003), de lecture et de répétition de non-mots. Les participants SML présentaient d’une part, davantage de difficultés que les témoins en discrimination fréquentielle tout en obtenant des scores normaux en vocabulaire, compréhension morphosyntaxique39 et lecture et d’autre part, ils différaient des témoins pour l’épreuve de répétition de non-mots. Enfin, les auteurs soulignaient un point intéressant qui n’est pas en accord avec la littérature existante : l’absence d’une variabilité inter-individuelle importante chez les enfants SML ; en effet, si l’on mettait de côté la répétition de non-mots, les participants SML présentaient non seulement des scores proches de ceux des témoins, mais aussi des déviations standards similaires : “a result that runs contrary to previous

reports of wide individual variation in the language abilities of children with hearing loss (Briscoe et al., 2001)” (p. 1194).

Les travaux d’Antia et al. (2005) ont tout de même identifié des faiblesses en langage écrit chez des élèves sourds moyens. Leur étude portait sur l’évaluation du langage écrit chez 110 sujets sourds anglophones intégrés dans un cursus général et scolarisés du CE2 à la terminale, tous degrés de surdité confondus (de la surdité unilatérale à la cophose). Il apparaissait dans les résultats que le groupe de sujets porteurs d’une surdité comprise entre 26 et 45 dB obtenait un meilleur score global (quotient global = 93, la moyenne étant à 100, pour le test TOWL-3 Hammill & Larsen, 1996) que celui des participants porteurs d’une surdité comprise entre 46 et 65 dB (score = 79) et entre 66 et 85 dB (score = 82)40. Ces deux derniers groupes présentaient un score global inférieur à -1 ET (« écart-type »), ce qui n’était pas négligeable et incitait les auteurs à la vigilance en cas de surdité, même moyenne : “The data indicate that

attention needs to be paid to the writing ability and instruction of many public-school students

38 A noter : 7 enfants SML ont participé aux deux expériences menées par Hallyday & Bishop (2005, 2006) et 12

ont participé à la fois aux études publiées en 2005 (Halliday & Bishop, 2005) et en 2000-2001-2002 (Bishop et al., 2000 ; Briscoe et al., 2001 ; Norbury et al., 2001, 2002).

39 Il faut également préciser que les enfants SML inclus dans l’étude de Briscoe et al. (2001) présentaient

également, en tant que groupe, des scores normaux au TROG (Bishop, 1989), y compris dans le groupe déficitaire au niveau phonologique.

40 Pour l’anecdote, il est intéressant de relever que les sujets porteurs de surdités plus profondes avaient en

moyenne un score plus élevé (88). Les auteurs proposaient deux explications à ces différences : les élèves sourds profonds seraient intégrés dans un circuit général seulement s’ils en ont les capacités alors que tous les enfants et adolescents sourds moyens-sévères seraient intégrés, quel que soit leur niveau d’efficience scolaire. Ensuite, les sourds moyens et sévères pourraient ne pas avoir accès à autant d’informations en classe que leurs camarades sourds profonds car ces derniers bénéficient souvent d’interprètes.

regardless of degree of hearing loss” (p. 244). Enfin, Antia et al. soulignent le peu

d’influence du degré de surdité sur les performances en langage écrit, le degré de surdité expliquant seulement 4% de la variance totale en langage écrit, bien après le niveau socio- économique et la classe fréquentée.

Le devenir langagier d’adolescents ou d’adultes sourds profonds est caractérisé par la persistance de troubles langagiers, touchant essentiellement les aspects morphosyntaxiques (voir, par exemple, Tuller, 2000). De telles séquelles ont-elles été mises en évidence en cas de surdités de moindre importance ? Une récente étude (Tuller et al., 2007), menée au sein de notre laboratoire, a évalué le langage de collégiens sourds moyens, sévères et profonds, à l’aide d’une batterie étalonnée, informatisée et audio-visuelle (BILAV, Khomsi et al., 2007) axée sur le langage oral (phonologie, morphosyntaxe et vocabulaire) et le langage écrit. Sur les 60 adolescents testés, 11 sujets (âgés de 11 à 16 ans) étaient porteurs d’une surdité moyenne (PTM 50,6-70 dB). Pour ces adolescents, les moyennes des notes z obtenues signaient des difficultés importantes en phonologie (-3,3 écarts-types en moyenne pour l’épreuve de répétition de mots de complexité phonologique croissante) ainsi qu’en morphosyntaxe (entre -1,8 et -3,3 écarts-types pour les 3 épreuves ciblant des traitements morphosyntaxiques). Les performances en vocabulaire, en compréhension orale et dans les deux épreuves de langage écrit se situaient quant à elles dans la norme inférieure. Par ailleurs, l’étude des corrélations a fourni des indices intéressants : ainsi des corrélations entre le degré de surdité et les performances obtenues ont été mises en évidence pour la majorité des épreuves de langage oral chez l’ensemble des sourds (aucune corrélation pour le langage écrit). Lorsqu’on s’intéresse uniquement aux résultats des sourds moyens, une seule corrélation apparaît : entre le degré de perte auditive et le score en jugement de grammaticalité à l’écrit, épreuve testant la morphosyntaxe41. Enfin, comparant les résultats des adolescents sourds moyens (N = 11), sévères (N = 15) et profonds (N = 33), les auteurs ont souligné l’absence de différence significative entre le groupe d’élèves sourds moyens et celui des sourds sévères ; ces deux groupes fonctionneraient ainsi de la même façon. Toutefois, il faut relativiser ces résultats : ces jeunes sourds moyens, intégrés en cursus ordinaire, mais tout de même tous suivis par des centres spécialisés dans la surdité, ne

41 Avec des variables de complexité différente, telles que la position des adverbes de négation, le choix du

pronom relatif dans des subordonnées relatives ou bien encore les accords en genre et en nombre des clitiques accusatifs.

peuvent être représentatifs de l’ensemble des adolescents sourds moyens42. Il faut également préciser que l’étude ne ciblait à l’origine que les surdités sévères et profondes. Les professionnels (orthophonistes et professeurs spécialisés) en contact avec les jeunes nous ont adressé des adolescents sourds moyens parce qu’ils les croyaient sourds sévères ou qu’ils les considéraient comme tels du fait de leurs difficultés linguistiques.

Les études portant exclusivement sur une population d’adolescents SML sont très rares ; on pourra citer celle de Wolgemuth et al. (1998), centrée sur les métaphores chez 13 adolescents SML (âgés de 10;0 à 15;7 ans, PTM moyenne = 50,2 dB). L’utilisation et la compréhension des métaphores se sont révélées similaires à celles des normo-entendants. Cependant, seuls les adolescents SML obtenant des scores dans la norme à des tests langagiers avaient été inclus dans cette étude, ce qui ne permet pas à notre avis de réelle généralisation sur le langage des SML à l’adolescence. Dans l’étude de Tuller & Jakubowicz (2004) précédemment citée, on retrouvait 3 adolescents âgés de 12 et 13 ans mais ce petit effectif ne légitimait évidemment pas l’extrapolation des performances sur une population d’adolescents SML plus importante.

La question des séquelles ou de la normalisation de langage chez les adolescents SML restait donc posée et relativement incertaine car « tiraillée » entre deux tendances : dans une grande partie de la littérature sur les enfants SML, un effet d’âge avait été observé. Les résultats s’améliorant avec l’âge des enfants, il était alors question d’une normalisation du langage tardive mais bien présente, signifiant alors qu’il s’agirait là plus d’un retard, qui se comblerait, que d’un trouble durable du développement du langage. Toutefois, dans les travaux de Tuller & Jakubowicz (2004), certains enfants—même relativement âgés— gardaient des troubles morphosyntaxiques sévères. Dans les différentes études ciblées sur l’avenir des enfants dysphasiques, un très grand nombre de sujets garde, à l’adolescence, des séquelles tant au niveau du langage oral qu’au niveau du langage écrit (voir Reed, 2005, pour une revue de la littérature sur les troubles langagiers à l’adolescence). Si l’on met en parallèle certaines faiblesses langagières d’enfants SML avec celles d’enfants dysphasiques, il apparaît de fortes similitudes. Ces similitudes se retrouvent-elles pour ce qui est des séquelles langagières à l’adolescence ?

Voulant investiguer cette problématique, nous avons évalué, dans un précédent travail (Delage & Tuller, 2007), les performances d’adolescents SML âgés de 11;9 à 15;1 ans (PTM comprise entre 27,1 et 69,2 dB). L’objectif était de déterminer s’il y avait normalisation du

42 Ainsi, dans notre précédente étude (Delage & Tuller, 2007), seuls 8 adolescents SML sur 19 étaient encore

langage à l’adolescence et, dans le cas contraire, d’identifier les domaines déficitaires et de rechercher les relations entre les différentes variables cliniques et les troubles du langage. A l’aide d’une batterie informatisée et standardisée du langage oral et écrit (six subtests du BILO3C, Khomsi et al., 2007 ; deux subtests du BLI, Khomsi & Khomsi, 2002), nous avons mis en évidence des troubles langagiers modérés à sévères pour plus de la moitié de la population (52,6% présentaient au moins deux scores inférieurs à -1,65 ET sur les 8 épreuves du bilan) ; nous avons dès lors exclu l’hypothèse d’une normalisation généralisée du langage à l’adolescence. Les adolescents SML étaient comparés à 52 sujets témoins appariés en âge, sexe et niveau scolaire et à 12 adolescents dysphasiques âgés de 11;2 à 19;3 ans (M = 14;5 ans) ; 7,7% des témoins et 100% des dysphasiques présentaient également au moins deux scores inférieurs à -1,65 ET. Les séquelles langagières (identifiées par l’obtention de scores inférieurs à -1,65 ET) touchaient majoritairement la phonologie (pour 63% des sujets) et la morphosyntaxe (pour 32% des sujets)43, comme chez les adolescents dysphasiques qui étaient comparés aux SML, mais avec une sévérité moindre. En revanche, tout comme dans les travaux de Tuller et al. (2007), le langage écrit n’était pas affecté chez les adolescents SML.

De manière générale, les adolescents SML ne rattrapaient donc pas un langage cible même si leur langage oral progressait d’un point de vue développemental. Ainsi, les items, reconnus comme étant déficitaires chez des SML plus jeunes, à savoir les clitiques accusatifs, testés par un protocole expérimental spécifique, restaient déficitaires, mais dans une moindre mesure. Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle, pour les adolescents en difficulté, cette non normalisation du langage était liée à un décalage du développement linguistique en rapport avec la déficience auditive. Ainsi, pour ces sujets chez qui le rythme de développement était plus lent, certaines compétences langagières ne seraient pas entièrement automatisées en fin de période critique pour l’acquisition du langage.

En ce qui concernait les liens entre les variables cliniques et les performances langagières, nous n’avons pas retrouvé d’effet d’âge significatif : les adolescents auraient atteint un « niveau plafond » et les différences de développement seraient alors abolies. Nous avons cependant mis en évidence un effet significatif de la perte auditive sur les performances en phonologie et en morphosyntaxe ; cette dernière corrélation n’avait généralement pas été retrouvée dans la littérature qui, nous l’avons vu, contient des études portant quasi- exclusivement sur des enfants SML. Selon notre hypothèse finale, l’effet de la perte auditive

43 La phonologie était évaluée (uniquement sur le versant expressif) par une épreuve de répétition de mots de

complexité phonologique croissante, la morphosyntaxe par une épreuve de jugement de grammaticalité de phrases entendues et par une tâche de complétion de phrases.

pourrait être masqué pendant l’enfance du fait des différences inter-individuelles de maturation, mais elle apparaîtrait ensuite, notamment dans les domaines vulnérables qui sont sensibles aux effets de période critique (comme la morphosyntaxe, cf. section 3.1.2).

Pour conclure sur les performances observées en langage écrit chez les enfants comme chez les adolescents SML, il semble que ce domaine soit peu ou pas affecté en cas de surdité moyenne ou légère. C’est d’ailleurs une différence fondamentale entre les sujets SML et les dysphasiques, comme l’ont souligné Delage & Tuller (2007) chez des adolescents et Briscoe et al. (2001) chez des enfants44. Afin d’expliquer ces différences, nous avons argumenté dans notre précédent travail de 2007 que les épreuves que nous avions utilisées pour évaluer le langage écrit étaient limitées à une tâche de vitesse de lecture et à une tâche d'identification de mots écrits, tâches dans lesquelles des traitements morphosyntaxiques n’étaient pas impliqués. On pouvait alors concevoir que la production écrite de textes s'avérerait plus problématique pour des sujets SML éprouvant de réelles difficultés en morphosyntaxe. En outre, nous supposions que les individus SML compensaient très probablement leurs difficultés à l’oral en s’appuyant sur la langue écrite qui fournit un modèle plus fiable que l'input oral dégradé.

2.5.3. Tentatives d’explication de la variabilité inter-individuelle des