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Concurrence et stabilité en Union européenne

1.3 Structure de marché et stabilité

1.3.1 Fondement et démarche . . . 82 1.3.2 La procyclicité du crédit et son hétérogénéité en Europe . . . . 88 1.3.3 Un tétraptyque pour évaluer les structures bancaires et

finan-cières en Europe . . . 90 1.3.4 Données et modélisation P-VAR . . . 96 1.3.5 Présentation des résultats . . . 101 1.3.6 Test de sensibilité et extensions . . . 108

de la période récente. L’expérience de la « Grande récession » offre une illustration tangible de cet état de fait et rappelle à quel point les crises bancaires se révèlent être dévastatrices.

Les données du FMI sur le recensement des crises bancaires de nature systé-mique permettent de saisir l’étendue du phénomène. Comme l’illustre le graphique 1.1, jamais, au cours des quatre dernières décennies, le nombre de crises bancaires systémiques simultanées n’a été si important. L’instabilité financière n’est pas, pour autant, un trait spécifique à la période présente. Le graphique témoigne que l’éco-nomie mondiale a été, au cours des dernières décennies, frappée par une multitude d’épisodes de crises bancaires systémiques, comme, chronologiquement, la crise des économies d’Amérique latine, des économies en transition, des économies d’Amérique centrale et finalement des économies asiatiques en 1998. L’examen des crises bancaires sur une très longue période ne ferait du reste que confirmer la récurrence des crises bancaires à travers le temps1. Kindleberger (2000) montre, en effet, que l’histoire financière est ponctuée de crises bancaires, laissant penser qu’il s’agit d’une caractéristique inhérente au capitalisme.

FIGURE1.1 – Inventaire du nombre de crises bancaires systémiques à travers le temps

Source : La figure représentée est tirée de l’article de Valencia et Laeven (2012).

Les efforts considérables déployés pour comprendre mais aussi pour restreindre 1. L’examen de séries longues mettrait de surcroît en évidence l’existence de cycles de crises. D’après les recensements effectués, les crises bancaires ont, en effet, été peu nombreuses sur la pé-riode 1890-1914 ou encore sur la pépé-riode 1945-1970, par exemple.

l’instabilité financière observée ces dernières années s’expliquent sans aucun doute par l’universalité du phénomène et, en particulier, par son influence sur l’occident, mais également par l’ampleur des répercussions sur la sphère réelle. La question du coût des crises peut être abordée de deux manières distinctes, soit en analysant les répercussions budgétaires, soit en estimant les pertes de croissance à court, moyen ou long terme. Sur le volet budgétaire tout d’abord, les statistiques du FMI indiquent que les stratégies de sauvetage des banques, durant les crises bancaires recensées sur la période 1980-2011, ont eu un coût médian évalué à six pour cent du PIB. Si l’on prend en considération, en prime, les coûts budgétaires indirects induits par l’épisode récessif suivant la crise bancaire ou par l’augmentation des taux de refinancement souverains, on constate que les crises bancaires pèsent beaucoup plus lourdement sur les finances publiques. Toujours sur la période 1980-2011, il apparaît que l’augmentation médiane de la dette publique sur les quatre années qui suivent une crise s’élève à 14% (Claessens et al., 2012 ; IMF, 2015)2. Outre l’incidence budgétaire, les crises bancaires ont également un fort effet récessionniste et pourraient avoir des effets d’hystérésis (Blanchard et Summers, 1986) en affectant le potentiel de croissance par une multitude de canaux (réduction de l’accumulation de capital, destruction de capital humain, etc.). En guise d’illustration, Reinhart et Rogoff (2014) rapportent qu’en moyenne, les économies mettent huit ans après une crise bancaire systémique pour recouvrer leur niveau de revenu d’avant crise.

Les statistiques avancées sont éloquentes sur le caractère dispendieux des crises bancaires. La recherche économique a, en conséquence, cherché à isoler les facteurs explicatifs de ces crises en vue d’en limiter les manifestations à l’avenir. Les explications données aux crises bancaires s’avèrent très hétérogènes en recouvrant différents champs d’analyse, qu’ils soient microéconomiques ou macroécono-miques. Ainsi, au niveau macroéconomique, des facteurs tels que les déséquilibres mondiaux (de la demande globale, par exemple) ayant fait suite à la crise asiatique ou à la faiblesse des taux d’intérêt aux États-Unis sont souvent cités comme étant la cause de la formation des bulles sur les marchés immobiliers notamment, mais éga-lement sur les marchés boursiers qui ont conduit à la crise financière de 2007-2008 par exemple. Au niveau microéconomique, la pensée dominante a pointé le suren-dettement des agents, les systèmes de rémunération tels qu’ils ont pu se développer dans l’industrie bancaire ou encore certaines innovations financières comme autant d’éléments en mesure d’expliquer la propension des agents à alimenter ces bulles et à prendre des risques excessifs à l’origine de la crise traversée.

Outre ces différents facteurs, la libéralisation financière et de manière plus spécifique, la concurrence bancaire ont également été présentées (suite à la crise financière de 2007-2008, mais également dans le prolongement de nombreuses crises précédentes) comme des facteurs déterminants de l’instabilité financière. La question posée dans ce chapitre est alors : quelle est l’influence de la concurrence 2. Ces statistiques masquent une grande hétérogénéité. Les crises les plus coûteuses ont, en effet, entraîné une augmentation de plus de 40% de la dette publique.

Disons-le d’emblée, la concurrence a traditionnellement été perçue, tant par les régulateurs que par les académiques, comme une source d’instabilité. Selon la thèse de la franchise value (Marcus, 1984 ; Keeley, 1990), le pouvoir de marché réduirait les incitations à la prise de risque. Les entités financières protégeraient leur situation de rente en investissant dans des actifs moins risqués ou en se couvrant davantage. L’unanimité de cette idée a longtemps conduit la régulation bancaire à se montrer prudente vis-à-vis des vertus de la concurrence, lucide sur le fait que cela pourrait être un obstacle à la stabilité financière et que cela pourrait desservir son objectif principal. Carletti (2008) souligne, en ce sens, que la politique concurrentielle des banques en Europe a bénéficié, dès l’origine, d’exceptions aux principes hiératiques de la concurrence. Les faits, et en particulier la crise des savings and loan, les caisses d’épargne américaines, en 1987, ainsi que la crise japonaise durant la décennie quatre-vingt-dix, suivant immédiatement la mise en concurrence des marchés ban-caires, ont accrédité la méfiance à l’égard de la concurrence et ont semblé justifier le statut spécial accordé aux banques ; d’autant plus que la littérature consacrée s’accordait alors sur les méfaits de la concurrence en termes d’instabilité (Keeley, 1990 ; Matutes et Vives, 2000 ; Hellmann et al., 2000).

Cette quasi-unanimité a toutefois été plus récemment contestée. Boyd et De Ni-coló (2005) insufflent une nouvelle tournure à la littérature théorique, en soulignant que la concurrence pourrait réduire les risques dans le secteur bancaire. La baisse des taux, engendrée par la concurrence, inciterait les entreprises, selon le modèle développé, à investir dans des projets moins risqués - la baisse des taux réduisant l’aléa de moralité. D’autres émettent l’idée que la concurrence pourrait contenir les problématiques d’aléa de moralité dues au too-big-to-fail (Mishkin, 1999) ou augmenter la diversité du système, et, de ce fait, limiter l’instabilité financière.

Ces controverses théoriques sur les liens entre concurrence et stabilité n’ont pas pu être tranchées sur le volet empirique. L’abondante littérature empirique parvient, en effet, à des résultats contradictoires. Ainsi, alors que les études de Berger et al. (2009), Turk-Ariss (2010), Jiménez et al. (2013) et Fungavcova et Weill (2013) par exemple, concluent à l’existence d’un arbitrage entre concurrence et stabilité, les travaux de Boyd et al. (2006), Schaeck et al. (2009), Uhde et Heimeshoff (2009) et Schaeck et Cihák (2014) aboutissent à des résultats opposés et réfutent donc l’existence d’un tel arbitrage. Le graphique 1.2 qui suit, issu de la méta-analyse d’Havranek et Zigraiova (2015) constitue une illustration probante de la disparité de la littérature empirique.

Les ambiguïtés de la recherche économique sur la relation entre concurrence et instabilité financière ont conduit à s’intéresser de près à cette question, afin d’apporter de nouvelles réponses, nourries de l’expérience de la crise financière de 2007-2008 et des réflexions qui ont suivi. Le propos de ce premier chapitre est ainsi

FIGURE1.2 – Concurrence et stabilité : des résultats hétérogènes

Note : La figure représentée est tirée de l’article d’Havranek et Zigraiova (2015) et fait part de l’hé-térogénéité des effets estimés de la concurrence sur la stabilité dans la littérature en se basant sur un panel de 37 études publiées sur le sujet. Sur l’axe des abscisses figurent les coefficients estimés des 37 études. L’axe des ordonnés indique la précision des estimations (1/SE).

de livrer une analyse des effets de la concurrence bancaire et plus largement des structures de marché sur la prise de risque individuel et sur le risque à caractère systémique. C’est d’ailleurs sur ce second aspect du risque que se concentreront principalement les développements de ce chapitre.

En effet, on peut regretter que jusqu’alors la littérature, dont nous avons brossé un tableau concis, ait eu une lecture de l’instabilité financière majoritairement fondée sur une conception micro-prudentielle des risques, c’est-à-dire reposant sur des mesures de risque établies au niveau des entités bancaires, même si celles-ci sont parfois agrégées. Or, un des enseignements incontestables de la crise est que les méthodes micro-prudentielles présentent des lacunes pour mesurer fidèlement les risques. En effet, le risque de système ne peut pas être considéré comme une juxtaposition de risques individuels, qui impliqueraient l’indépendance des risques d’une entité à l’autre, et donc l’absence d’interactions entre les différents acteurs du système financier. Aussi, l’intérêt porté de longue date déjà par Borio (2003) ou Aglietta (2003) pour des indicateurs de risque plus englobantes et évaluant le risque systémique, a été renouvelé et décuplé suite à la crise. Alors que la littérature a longtemps été confrontée à de grandes difficultés, tant conceptuelles que statis-tiques, pour définir le risque systémique, la crise financière de 2007-2008 a conduit à l’émergence d’une littérature abondante sur ce sujet, permettant d’améliorer l’évaluation du risque.

De ce qui précède, il découle que la relation entre concurrence et vulnérabi-lité pourrait se trouver modifiée en considérant des mesures de risque macro-systémique, ce qui justifie, dès lors, de nouvelles recherches. Dans cet esprit, nous

effets de la concurrence sur la stabilité. Cette analyse duale s’explique par le fait que le risque de système peut être appréhendé à travers deux dimensions principales : (i) la stabilité du système en coupe, c’est-à-dire la distribution du risque à travers les différents acteurs du système ; (ii) la stabilité du système à travers le temps, qui renvoie à la procyclicité de nos systèmes financiers et à l’apparition de bulles financières3. Dans le cadre de notre analyse, cela conduit à distinguer, d’une part, l’étude des effets de la concurrence sur la stabilité financière et, d’autre part, les effets de la concurrence sur la volatilité macroéconomique.

Le premier axe de recherche étudie ainsi la répartition du risque agrégé à travers les individus composant le système bancaire européen et met en évidence l’effet déterminant du pouvoir de marché dans la distribution de ce dernier. On constate, en effet, que les banques disposant d’un pouvoir de marché plus important contri-buent de manière plus prépondérante à l’accentuation du risque systémique. Le signe de la relation trouvée accrédite ainsi la thèse d’une concurrence stabilisatrice. Plus intéressant est le fait que nous observons, par ailleurs, des effets différenciés du pouvoir de marché sur la prise de risque individuel et celle d’ordre systémique. Ainsi, cela corrobore l’idée d’une déconnexion structurelle entre risque individuel et sys-témique. Au demeurant, cela remet en question les résultats des études antérieures, dans lesquelles la démarche de test reposait sur des mesures de risque individuel.

Dans la mesure où le risque systémique admet une double dimension, notre second axe de recherche étudie l’influence de la concurrence bancaire sur la dimen-sion chronologique du risque systémique. Dans ce cadre, notre attention se porte sur la procyclicité du système financier et, donc, sur la volatilité macroéconomique. En effet, la procyclicité renvoie à une mauvaise perception des risques et, en particulier, une sous-estimation de ces derniers dans la phase d’expansion, qui entrainera, tôt ou tard, des ajustements susceptibles d’engendrer des fluctuations réelles. Partant de ces éléments, l’objet de notre étude est de caractériser les répercussions de la concurrence bancaire sur la prise de risque procyclique. Pour ce faire, nos travaux mettent en relation l’hétérogénéité de la concurrence bancaire avec les différences d’ampleurs de propagation d’un choc réel à la sphère financière pouvant être obser-vées dans l’union européenne. Nos résultats mettent alors en évidence le fait que les systèmes bancaires plus concurrentiels ont une offre de crédit moins cyclique, dans le sens où, les fluctuations du stock de crédit, suite à un choc de PIB, seraient moins importantes. La limitation des effets de propagation à la sphère financière induirait par conséquent un mécanisme d’accélérateur financier (Bernanke et Gertler, 1989) de plus faible ampleur, là où la concurrence est forte. L’hypothèse avancée est que la concurrence améliorerait la perception des risques de crédit, c’est-à-dire qu’elle 3. Plutôt que considérer la typologie, stabilité en coupe - stabilité dans le temps, on pourrait tout aussi bien adopter la typologie dressée par Aglietta (2003), choc exogène - développement endogène dans le cycle financier, ou celle de De Bandt et al. (2015), dimension structurelle - dimension cyclique.

réduirait les divergences entre valeur de marché et valeur fondamentale du crédit, ce qui peut traduire des effets positifs de la concurrence sur l’efficience bancaire.

Par la conjonction de ces deux angles d’analyse, ce premier chapitre permet de rejeter l’existence d’un arbitrage entre concurrence et stabilité. À l’échelle microéco-nomique, la concurrence réduit la contribution des banques au risque systémique, et donc à l’instabilité du système financier, tandis qu’à l’échelle macroéconomique, la concurrence est synonyme de réduction des fluctuations du crédit et, par ce biais, de la volatilité macroéconomique.

Ce chapitre s’organise de la manière suivante. La section 1 présente une revue de littérature sur les liens entre concurrence et stabilité, structurée en un axe théorique et un second axe empirique. Les effets de la concurrence sur la stabilité financière sont ensuite exposés dans la section 2. La section 3 étudie l’influence de la concur-rence sur la procyclicité. Enfin, la section 4 synthétise nos différents résultats.

1.1 Concurrence et stabilité : Une synthèse de la