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Structure de l’apparaître comme champ de possibilités

Dans le document La conception phénoménologique de l'espace (Page 122-125)

§9 La valeur ontologique de l’étant donné face à la réduction

III. Structure de l’apparaître comme champ de possibilités

§11.

La continuabilité de l’expérience : les donations possibles

La nature transempirique de l’étant qui se donne de telle façon qu’il permet toujours d’autres expériences encore nous mène vers une notion de continuabilité de l’expérience188. Si le moi peut continuer toujours son

expérience, ce n’est que grâce à l’étant qui se donne en tant que permettant ou même exigeant toujours d’autres expériences. En d’autres mots, le fait phénoménal que le moi peut toujours continuer son expérience ne serait pas possible sans étants transempiriques qui l’invitent à la continuation en se montrant de manière principiellement non-exhaustive. Sur cette base, l’expérience du moi peut se dérouler de façon continuelle, à savoir, sans interruptions et sans lacunes.

La nature non-lacunaire de l’expérience du moi, qui correspond à la nature transempirique de l’étant, est un facteur crucial quant à l’identité et l’unité du moi et des étants donnés. Au cours de ses donations variables et changeantes, mais en même temps s’enchaînantes, l’étant se donne comme une unité, à savoir comme identique à soi-même ; il n’est donc pas saisi par le moi comme un assemblage unifié d’aspects différents. Par conséquent, même si l’appréhension de l’identité d’un étant donné présuppose la continuité de notre expérience avec cet étant, la continuité de notre expérience présuppose à son tour la continuabilité

de l’expérience, enracinée dans la nature transempirique des étants sensibles. Renaud Barbaras l’exprime ainsi : « La continuation de l’expérience comme condition de l’objet présuppose la pré-donation de la continuabilité de cette expérience. »189 Donc s’il est vrai que l’étant se

montre comme une unité singulière au cours des donations continuelles au moi, il n’est pas moins vrai que le moi ne peut continuer son expérience sans qu’il y ait des étants qui ont le pouvoir inépuisable de l’interpeller. Comme le souligne Renaud Barbaras, la continuabilité ne peut pas être expliquée entièrement comme une potentialité du moi percevant, elle lui est plutôt donnée190. En même temps, nous pouvons

ajouter que la continuité de l’expérience est cruciale aussi pour l’identité du moi percevant : ce n’est que dans le courant ininterrompu des expériences que le moi peut se constituer comme un, à savoir comme un étant qui garde une certaine identité au cours des variations perceptives à travers lesquelles il s’éprouve.

Cette problématique peut être traitée au moyen du vocabulaire des

possibilités : les possibilités du moi de percevoir l’étant de différents

points de vue ou sous plusieurs perspectives191 trouvent leur contrepartie

ontologique nécessaire dans la nature transempirique de l’étant qui invite le moi à continuer son expérience en tant qu’il est caractérisé par les possibilités de se donner toujours encore autrement. Chaque donation actuelle de l’étant renvoie à ses autres donations, non-actuelles, mais néanmoins présentes comme possibles. Il serait clairement illégitime de réduire les possibilités de l’étant (les possibilités de se donner à…) aux possibilités du moi (les possibilités de percevoir quelque chose, d’en être

189 R. Barbaras, La vie lacunaire, p. 94.

190 R. Barbaras, Dynamique de la manifestation, p. 42.

le destinataire), au même titre que le serait de réduire vice versa les possibilités du moi aux possibilités de l’étant qui se donne. L’idée d’une co-originalité des deux moments est articulée chez Patočka, bien qu’il évite ici (probablement sous l’influence encore trop vive de l’héritage heideggérien) de parler de « possibilités », si ce n’est dans le cas du moi : « Il est bien évident que c’est uniquement parce que je peux que les choses se découvrent à moi [...] ; mais, de même, si le moi peut se montre dans son ‘pouvoir’, c’est uniquement parce que les choses comportent des appels à la réalisation. Les données des choses et les appels à la réalisation sont co-originaires. »192 En d’autres mots, si le moi peut être

déterminé comme un pouvoir de faire expérience de quelque chose, il a forcément besoin des étants qui comportent « les appels à la réalisation » de ce pouvoir.

Entre les deux « ordres de possibilités », il y a donc une correspondance nécessaire que Merleau-Ponty invoque comme « un rapport d’harmonie préétablie » sans lequel toute expérience serait impossible193. Patočka parle dans ce contexte du « complexe de renvois

ontologiques concernant aussi bien le rencontrant que le rencontré »194.

Il y a donc une unité originelle du réseau relationnel où les possibilités du

moi renvoient toujours aux possibilités corrélatives de l’étant donné et vice versa. Ainsi, les conditions de possibilité de l’expérience continuelle

ne peuvent être clarifiées ni uniquement à partir du moi, ni uniquement

192 J. Patočka, [Corps, possibilités, monde, champ d’apparition], p. 120.

193 M. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, p. 1758. Cf. aussi M. Merleau-Ponty,

Le visible et l’invisible, p. 1759 : « Il faut qu’entre l’exploration et ce qu’elle

m’enseignera, entre mes mouvements et ce que je touche, existe quelque rapport de principe, quelque parenté. »

à partir de l’étant donné195. L’interdépendance et la co-originalité de ces

deux moments nous interdit de réduire l’un à un aspect de l’autre et nous force à reconnaître l’importance fondamentale de leur rapport. La structure de l’apparaître peut donc être comprise comme une structure de potentialités qui englobe les deux moments relatifs et que Patočka traite sous le nom de champ de possibilités.

Dans le document La conception phénoménologique de l'espace (Page 122-125)