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structure conceptuelle renvoie bien à une constitution esthétique du corps fonctionnant comme un transcendantal incorporé Ce qui implique que la déconstruction ains

Dans le document Irréalisme et incorporation (Page 169-171)

remétabolisée culmine en décorporation : comment faire-décorporer, comment rendre

possible de décorporer ces complexions, ces constitutions qui donnent forme à la

pensée ? C'est par exemple le problème de "l'enreligement" de la pensée pour

reprendre le terme de Meillassoux, mais plus profondément encore de sa

théologisation : il ne suffit pas d'avoir dédivinisé la pensée et la nature, encore faut-il

déthéologiser les corps. C'était le problème nietzschéen de la mort de Dieu qui

impliquait cette critique : si l'ombre de Dieu plane encore sur le monde, si son Lieu

vide est demeuré en place prêt à être investi par la figure de l'Homme, c'est que la

mort du divin n'implique pas la déthéologisation des constitutions esthétiques des

corps, à la fois noétiques, affectives, perceptives. Dieu demeure par-delà la mort,

mais c'est comme transcendantal incorporable, avec tous les schèmes et la chair

schématique qui le constituent. C'est comme le cri de Nietzsche, le cri sans cesse

poussé des nietzschéens – vos corps sont encore théologiques jusqu'au bout des

ongles. Dieu a beau être mort, son ombre ne cesse de ressusciter comme constitution

schématico-schématique des corps, alliance de la chair et de l'organisme formant des

transcendantaux particuliers, et par suite des complexions esthétiques a priori

théologisées sur un mode monstrueux : ce sont des corps taillés pour la religion, mais

dans un monde où Dieu est mort – d'où le nihilisme moderne qui ne cesse de produire

des transcendements à vide, dans l'art, l'hysteresis affective, l'échappée statique, pour

cette raison que les corps continuent à ascender vers Dieu en ne faisant plus d'autre

expérience que celle de sa mort, impliquant alors de se trouver des substituts. Tel est

bien l'enjeu de la pensée de Nietzsche : rendre possible la décorporation des schèmes

théologiques, des constitutions ou des transcendantaux qui fonctionnent encore sur un

mode théologique, même quand ils se veulent voire s'éprouvent athées (on n'en finirait

plus par exemple d'inventorier tout ce que la poésie en particulier, mais aussi bien la

musique, le cinéma, la peinture, charrient de théologisme diffus, de modèles et de

stéréotypes théologiques, soit comme évocation de la présence, soit dans la pensée de

l'incarnation). De sorte qu'il ne suffit pas de dire que c'est Nietzsche, qui accomplit bel

et bien la critique kantienne en la poussant jusqu'au fond du corps (et non de la

chair

185

), il faut dire surtout que la critique change totalement de sens du fait de cet

approfondissement, qu'elle ne vise plus à "intervenir", décrire, en fait à critiquer mais

bien à sélectionner, à décorporer, à métamorphoser. C'est le sens initial et médical de

krisis qui se voit restauré : diagnostiquer pour opérer, pour décorporer l'élément

maladif ou métamorphoser la métabolisation même. Diakrisis : non pas critique à

travers, mais sélection, sélection transversale aux corps. Il s'agit bien, si l'on veut,

d'un criticisme radical : une Critique du corps pur – pur comme processus proprement

impur. Barbara Stiegler voyait chez Nietzsche un approfondissement et même une

réalisation véritable de la critique kantienne devant devenir critique de la chair. Mais

comme on le verra, le Leib nietzschéen n'est précisément pas la chair (ce qu'implique

l'expression Einverleibung : on ne peut comme le fait B. Stiegler choisir de traduire ce

terme par incorporation tout en traduisant Leib par chair

186

). Comme chez Derrida et

185 Cf. Barbara Stiegler, Nietzsche et la critique de la chair, op.cit., p. 33 sqq.

186 Ibid., p. 31. Il nous semble que cette décision inaugurale, terminologiquement mais surtout

conceptuellement contradictoire, de traduire Leib par chair et Einverleibung par incorporation grève les profondes analyses de B. Stiegler, en tout cas leur confère un sens, une tonalité, une connotation

son "corps propre sans chair" dont nous avons parlé à propos du spectre, il s'agit

précisément de décaper le corps de cette encarnation réalisée à son propos par la

phénoménologie post-husserlienne, qui met de la chair partout, jusqu'au fond des

images et des mots. Le "fil directeur" nietzschéen, le Leitfaden devenant Leibfaden ou

fil du corps qui est aussi fil du vivant au sens strict, est tout entier conçu contre les

organicismes et les incarnativismes : machine de guerre du corps sans chair, sans

organe, loin du pathos phénoménologique et son pacifisme charnel, ses noces tardives

avec le christianisme de l'Agapê. Le corps se dit : polemos, agôn, volonté de

puissance. Ou chez les stoïciens : tonos et pneuma, tension, tonalité, teneur et tenant

non substantiel, mais aussi souffle igné qui n'est justement pas l'esprit homologique en

quoi le métamorphosa le christianisme (de pneuma à spiritus). La génésiologie

cherche alors à comprendre l'incorporation des transcendantaux eux-mêmes à travers

l'incorporation des schèmes comme organa (on parlera d'endorgana et d'exorgana) et

du schématisme comme milieu charnel d'organicisation des schèmes. Si comme le dit

bien Barbara Stiegler c'est Nietzsche qui accomplit la tâche du criticisme kantien, c'est

parce qu'il rend raison, sur fond d'aconstitution générique, de la constitution de la

raison elle-même et de son transcendantal. Il rend compte de l'incorporation même du

transcendantal en en faisant la généalogie depuis une esthétique pré-transcendantale,

celle des volontés de puissance se schématisant et formant des constitutions ou des

complexions physiologiques. Nietzsche trans-scrit l'incorporation, la formation, la

formalisation du corps et de la raison plutôt qu'il n'en décrit et constate la constitution

statique et statutairement prédéterminée (constatution). La génésiologie implique de

déterminer comment naissent des configurations, des figures, des moutures dans la

pensée : comment naît le corrélationnisme selon diverses acceptions et conceptions

dérivées, mais comment naît le relationnisme lui-même ? Comment naît le primat de

l'être conçu comme unique mode de facticité ? Comment même naît l'idée d'une

facticité unique ? Mais chacune de ces configurations de la pensée est en même temps

une configuration du corps, qui nécessitera donc une logique des schèmes et du

schématisme, une schémiologie non-transcendantale qui selon nous accomplit au sens

strict l'entreprise critique : rendre raison des limites de la raison, mais en montrant

comme ces limites se constituent, se déplacent, sont des dé-limitations stabilisées

qu'on a coupées de leur genèse. C'est ce qu'on tentera par exemple de mettre en

lumière avec un cas remarquable : l'expérience du divin, la disposition à la

transcendance, en montrant qu'il n'y a pas de transcendance dans la pensée par la vertu

seule de cette pensée, mais parce que la mouturation de la pensée implique une

constitution schémico-schématique associée, un transcendantal incorporé. C'est ce

qu'impliquait Nietzsche : cesser de croire que la pensée ne rencontre la pensée, que la

pensée du philosophe n'est pas déjà émanation de ses complexions corporelles, de

sorte que ce sont déjà les volontés de puissance formées, stratifiées et hiérarchisées

étrangère à la philosophie de Nietzsche qui ne cesse de mener la lutte contre l'incarnation à travers l'incorporation. C'est le crible de la phénoménologie, qui vient ici limiter l'esthétique corporelle

qui ventriloquent la pensée même la plus idéaliste, la plus transcendante et

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