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mais sa métabolisation dans le monde, ou plus exactement à travers son mélange avec les autres corps et le continuum de corporéité en général Un en-jeu, c'est un horizon

Dans le document Irréalisme et incorporation (Page 161-163)

métabolique permettant une intensification de la vie, sur un mode ou sur un autre

(toute la question étant de savoir si c'est sur un mode affirmatif ou réactif) : en-jeu de

la création pour l'artiste, en-jeu du pouvoir pour le corps malade qui n'affirme sa

puissance qu'en parasitant celle des autres, en-jeu amoureux, etc. Un enjeu, c'est dans

le jeu métabolique de la corporéité un seuil d'intensification, un horizon (et pas une

fin) et un processus à la fois par lequel la tension (le tonos stoïcien) s'intensifie en

tendant vers elle-même. En définitive, l'en-jeu, pour le corps défini comme

tonologique, c'est toujours le tonos lui-même. L'en-jeu du corps et de sa

métabolisation c'est sa propre tension, sa tonalité, sa teneur dans le monde : intensifier

sa tension, étendre sa tonalité, maintenir ou sous-tendre sa teneur. Mais l'en-jeu

tonologique se présente toujours sur un mode ou sur un autre, plus exactement à

travers un mode ou un autre : seul le sage parvient à faire du tonos même un en-jeu

direct non plus présenté comme mode particulier, mais comme le jeu de la modalité.

La modalité fait le jeu métabolique des corps, mais le mode c'est l'en-jeu, ce qui est

dans le jeu, ce à travers quoi on va saisir le jeu. Comment vont être créées les valeurs

sur cette base ? En contractant l'en-jeu, en le stabilisant, en lui donnant forme : la

valeur est un enjeu calcifié, fossilisé un horizon métabolique constitué. Le corps de

l'insensé va par exemple éprouver de véritables intensifications de sa tension, mais

extrinsèques à son propre tonos : dans l'opinion, la passion, la réaction, son tonos va

effectivement être tendu et même hystérisé, au sens où la tension ne venant pas de lui

et de son "tendre" propre, alors il ne sera ni approprié, ni ajusté, ni accordé à cette

intensification. Mais croyant trouver, éprouvant effectivement que sa tension est

extrinsèquement hystérisée par ce qui ne dépend pas de lui, l'insensé va en faire

métaboliquement des enjeux, et par suite des valeurs : passion, réactivité, opinion,

bons jugements des autres vont devenir les valeurs de l'insensé comme enjeu refroidi.

A l'inverse, le sage sait que la seule valeur qui vaille, le bien ou la vertu, n'est pas une

transitivité de nature ou de degré, mais l'usage modal que je fais de mon tonos et rien

d'autre : le principe du bien n'est pas lui-même éthique et ontologique, mais esthétique

et tonologique. De sorte que le sage n'a qu'un enjeu – le jeu lui-même, et qu'une valeur

– la valuation elle-même comme différenciation de l'événement ontologiquement

indifférent par l'usage tonologique que j'en aurai et ferai. La véritable distinction de

l'insensé et du sage, c'est que le premier croit à des valeurs transitives (telle passion,

telle opinion, telle réaction épidermique qui hystérise sa tension extrinsèquement)

tandis que le sage ne croit qu'à la valuation transversale et modale des indifférents

ontologiques que sont les corps (qu'ils soient indifférents ontologiquement veut dire

qu'ils sont en même temps différenciés esthétiquement ou tonologiquement). Si l'on

veut en effet comprendre la genèse de la valeur esthétiquement, si l'on veut

remétaboliser la compréhension de la valeur, il faut d'abord y voir une émanation, ou

plutôt une immanation du jeu des corps : la valeur est la manière dont un corps

s'affecte et fait impression sur lui-même dans une métabolisation. Ce que le corps doit

incorporer pour s'intensifier, se tendre et s'é-tendre (diateinein) comme dans le

stoïcisme, va en quelque sorte être constitué en nourriture en soi, en valeur à part

entière. Ainsi, le corps qui s'intensifie en ayant pour enjeu la création artistique, va à

son corps défendant valuer cet enjeu même qui va devenir la création comme valeur

(création pour la création, parnassianisme du créer-pour-créer) ; de même, le corps

malade qui ne trouve à s'intensifier, à soutenir sa puissance que dans le parasitage de

la puissance des autres corps, va faire de son enjeu qu'est le pouvoir une valeur en soi

: l'hysteresis va devenir esthesis. L'horizon métabolique va devenir la valeur comme

finalité, le processus métabolique va devenir adéquation à la valeur. Ainsi, chez

Nietzsche, les valorisations et les évaluations ne sont elles-mêmes possibles que parce

qu'une volonté de puissance a créé une valeur qui lui était nécessaire pour s'affirmer

elle-même (même si cette valeur est réactive, elle part toujours de cette affirmation).

Repérer une histoire des valorisations derrières l'économie des fonctions, une

politique des évaluations derrière les relevés d'indice, une esthésiologie des valuations

derrière le diagramme des fonctionnements : la généalogie double l'enquête, qui porte

sur le fait et série les problèmes, de la problématique des valeurs. Si elle historicise les

fonctions, symptomatologise les indices, et esthésie les fonctionnements, c'est pour

dégager respectivement des usages, un critère, une logique. C'est peut-être là qu'on

voit le mieux la différence de nature entre l'Histoire et la généalogie : ce qui arrache la

généalogie à l'histoire qui est natalement une enquête, c'est de coupler la nosographie

à l'indicialité. C'est de rapporter les indices et l'indicialité elle-même à une logique du

sensible. Telle est peut-être la limite inaugurale que l'Histoire s'est fixée à elle-même

en se considérant à juste titre comme l'enquête de toutes les enquêtes, plutôt que

comme récit, écriture, c'est-à-dire comme narrativisation du temps toujours habitée

par un schème linéaire. En se faisant enquête, l'Histoire semblait dès le départ se

refuser à être seulement diégétique, elle ambitionnait de relever dans l'historique les

indices d'autre chose que l'historique (et chez les Grecs, cette "autre chose", c'est la

cosmologie). Mais c'est par constitution que l'Histoire est incapable de se dépasser par

elle-même vers la logique dont elle relève pourtant les indices, c'est dès le départ

qu'elle ne peut au mieux qu'exprimer le cosmologique dans l'historique sans pour

autant accéder au cosmos hors de ces figures adventices qu'elle saisit (même si l'on

cherche derrière la guerre du Péloponnèse une logique, on ne peut tomber que sur une

logique politique ou une anthropologie : appétit de pouvoir, agôn des cités, expansion

territoriale dictée par des problème économiques infrastructurels etc.) De sorte que

c'est bien une différence de nature qui gît entre la généalogie et l'Histoire : c'est la

généalogie seule qui pousse à bout la procédure d'enquête, là où l'Histoire ne peut en

accomplir quelque chose qu'à se métamorphose en autre chose (archéologie,

dialectique, herméneutique...) C'est peut-être chez Paul Veyne qu'on voit le mieux à

l'œuvre ce trouble de l'Histoire à se considérer elle-même comme une enquête, et pas

comme une écriture : le paradoxe, c'est peut-être que plus l'Histoire s'est-elle même

historicisée, plus elle a enquêté sur elle-même en se faisant historiographie, et plus

elle s'est conçue comme récit ou, plus encore, comme ce que Meschonnic nomme le

récitatif (on pourrait dire, autrement qu'il ne le fait, que le récitatif est ce milieu

esthétique dans lequel toute continuité noétique ou sensible est constituée selon le

schème linéaire de la récitation, c'est-à-dire dans un rapport d'emblée représental au

temps). Dans Comment on écrit l'Histoire

170

, P. Veyne insiste surtout sur la nature

170 Seuil, 1978, p. 385 sqq. Voir p. 43 sur l'usage régulateur de l'idée d'Histoire ; p. 52 sur le lien

nécessaire du fait et de l'intrigue ; p. 57 sur la constitution d'intrigues à partir du champ événementiel ; p. 64 sur les histoires partielles ; p. 85 sur l'histoire comme "connaissance par traces" ; p. 128 sur la distinction histoire-causalité ; p. 131 sur les récits ; p. 163 sur l'histoire comme science descriptive et non théorique (la théorie est "résumé d'intrigues préfabriquées") ; p. 167 sur types et concepts comme "résumés d'intrigues" ; p. 169 sur l'histoire comparée comme heuristique ; p. 175 sur la "dramatique conceptuelle" en histoire ; p . 195 sur la rétrodiction (l'Histoire n'existe pas, il n'y a que des matières à intrigues) ; p. 209 sur fait et rétrodiction ; p. 211 sur histoire et narration ; p. p. 301 sur l'élargissement de l'enquête historique opposée à son progrès ; p. 307 sur l'Histoire comme répétition.

scripturaire et scénographique de l'Histoire, sur sa puissance de reconstitution, de telle

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