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1. La naissance du réseau

2.4. Structuration du réseau, éléments de conclusion

En formalisant et structurant les relations inter-organisationnelles nées précédemment, cette seconde phase s’inscrit dans la suite logique de la première. La structuration permet d’améliorer le niveau de néguentropie du réseau en apportant une certaine logique structurale. Cette logique s’élabore principalement par le biais des règles et des routines régissant les échanges dans le réseau (Dorn et al., 2016; Larson, 1992; Stervinou & Legrand, 2008; van de Ven & Walker, 1984). Elle donne naissance à deux types de structurations possibles : la configuration verticale, dont la logique relationnelle entre les nœuds est complémentaire ; et la configuration horizontale, dont la logique relationnelle entre les nœuds est additive (Douard & Heitz, 2003; Heitz, 2000). Malgré cette formalisation des échanges, les organisations conservent leur autonomie et indépendance (Assens, 2013), caractéristique indissociable des nœuds impliqués dans un réseau d’entreprises.

Dans ces deux types de structurations, les échanges entre les nœuds peuvent être coordonnés par une structure centrale qualifiée de pivot. La fonction de cette structure peut être assurée soit par un des nœuds du réseau, soit par la création d’une structure nouvelle codétenue par les membres du réseau (dénommée coentreprise ou joint-venture dans les travaux anglo-saxons) et spécialement dédiées à cette fonction. Dans les réseaux qui se dotent de cette structure centrale, son rôle est relativement important et ne se réduit pas à la coordination des échanges mais s’inscrit dans une perspective plus large. Elle assure le développement et le fonctionnement des actifs spécifiques sans qu’ils ne lui appartiennent nécessairement. Ces actifs spécifiques sont spécialement construits d’une part, pour assurer les objectifs du réseau (réponse à certaines motivations à s’organiser en réseau) et d’autre part, pour assurer le fonctionnement du réseau. Le caractère idiosyncratique des actifs spécifiques constitue une véritable identité pour chacun des réseaux. Dans cette perspective globale, le pivot peut être

62 considéré comme un « méta actif spécifique » qui regrouperait l’ensemble des actifs spécifiques du réseau, dont l’objectif est de s’affranchir des contraintes de l’environnement, mais également de développer des avantages compétitifs pour le réseau lui-même et pour ses membres (Harrigan, 1988; Kogut, 1988).

Par l’ensemble de ses fonctions, le pivot, en particulier lorsqu’il est uniquement dédié au réseau, devient un outil facilitateur pour les dirigeants des nœuds du réseau qui ne disposent généralement ni des ressources, ni des moyens nécessaires à la mise en place des normes régissant le fonctionnement du réseau (Bories-Azeau et al., 2011; McEvily & Zaheer, 2004). Dans une vision court-termiste, la mise en place de cette structure centrale peut augmenter les coûts de fonctionnement du réseau, notamment par les investissements nécessaires au développement des actifs spécifiques relatifs au fonctionnement du réseau (routines organisationnelles, systèmes d’informations, capital social, etc.). Sur une vision de long-terme, le pivot peut cependant contribuer à la baisse des coûts de fonctionnement. C’est notamment le cas lorsque les actifs spécifiques facilitant les échanges qui sont mis en place répondent aux besoins du réseau et de ses membres. Dans ce cas, les actifs spécifiques peuvent augmenter la valeur du partenariat (Albers et al., 2016).

La structuration du réseau, la création d’une fonction de pivot régissant le fonctionnement du réseau, et le rôle des liens dans leur globalité soulèvent une autre question, celle du changement d’état des liens entre les membres du réseau au sens de Granovetter (1973). Lors des premiers rapprochements, les liens entre les nœuds sont faibles. Par la suite, par la récurrence des échanges, les liens changent et deviennent de plus en plus forts (Stervinou & Legrand, 2008). Ce changement d’état des liens contribue au développement du capital social du réseau et les trois dimensions qui le composent (Nahapiet & Ghoshal, 1998) ainsi que de l’espace commun (Barlatier & Thomas, 2007). Le changement d’état des liens entre les nœuds du réseau, que Jones, Hesterly, & Borgatti (1997) attribuent à l’existence d’un processus de socialisation, à la mise en place d’un dispositif de communication entre les nœuds et à l’existence d’évènements collectifs (sous-entendu des relations denses entre les nœuds), contribue également à l’apparition d’une culture commune à l’ensemble des membres du réseau. Cette culture commune qualifiée de « macro-culture » (Abrahamson & Fombrun, 1994) est idiosyncratique au réseau (Mandard, 2012) et observables par les pratiques homogènes qui se mettent en place entre les membres du réseau14. De manière tangible, la macro-culture d’un réseau peut s’observer par le biais de trois composantes : la convergence des attentes entre les membres, le développement d’un langage commun et l’apparition de règles tacites dans le réseau. Ces trois composantes viennent régir l’action collective de ses membres (Jones et al., 1997).

Au-delà de la structuration sociale interne au réseau que permettent les liens inter-organisationnels, ces mêmes liens permettent aussi au réseau de s’ouvrir sur de nouvelles sphères sociales en supprimant

14 Par l’ensemble de ses caractéristiques, le concept de macro-culture est un prolongement à la théorie

63 certains trous structuraux (Burt, 2004). En conservant leurs indépendances (Assens, 2003, 2013), chacun des nœuds conserve son propre réseau social. Les liens privilégiés qui s’établissent entre les nœuds permettent au réseau de bénéficier de ces réseaux sociaux. Ces bénéficies peuvent se faire à deux niveaux : au niveau du réseau lui-même (dans le champ de ses propres actions et objectifs) et au niveau des membres du réseau à titre individuel (dans le champ de leurs propres actions et objectifs). La structuration est une étape nécessaire pour le réseau, mais qui n’est pas sans risque (Jiang et al., 2008). Le principal risque de la structuration porte sur le maintien d’un équilibre entre flexibilité et rigidité du réseau. La flexibilité est principalement due à l’autonomie des nœuds membres du réseau (Assens, 2003, 2013), caractéristique indissociable du concept de réseau d’entreprises. La flexibilité constitue selon Das & Teng (1999), l’un des principaux avantages d’une organisation en réseau, à la différence des formes de partenariats dont l’organisation est plus hiérarchique. Cette flexibilité fait face à un certain niveau de rigidité du réseau dans son ensemble. Ce niveau de rigidité est permis par les actifs spécifiques d’une part, mais également par l’ensemble des processus de structuration sociale du réseau (développement d’un capital social, d’un espace commun, d’une macro-culture à l’ensemble du réseau). Les actifs spécifiques et les processus de structuration sociale du réseau sont essentiels au fonctionnement du réseau. Ils permettant d’apporter une cohérence à l’ensemble constituant le réseau, ce que Assens (2003) qualifie de « dénominateur commun ». Ils permettent également de conduire les membres du réseau dans une direction identique (i.e. ses objectifs) et ceci malgré leur indépendance et leurs intérêts parfois divergeant.

Cette balance entre flexibilité et rigidité peut avoir des conséquences sur le fonctionnement du réseau. L’une d’elles concerne le niveau de plasticité du réseau, sous-entendu son niveau d’ouverture et de fermeture. La plasticité est donc contrôlée par les barrières à l’entrée et à la sortie du réseau et se réfère à la spécificité de ses actifs et à ses processus de structuration sociale. Plus ils seront importants, plus les coûts d’adaptation pour des entrées et des sorties seront eux aussi importants pour les nouveaux entrants et pour les sortants. A l’inverse, plus ils seront faibles et plus le turnover des membres du réseau sera important, rendant ainsi difficile la construction d’un projet commun et d’une vision commune dans un temps raisonnable pour ses membres (van de Ven & Walker, 1984). Liée à la plasticité du réseau, la balance entre flexibilité et rigidité pose également la question du niveau d’encastrement des organisations membres. Dans les cas où la balance se dirige vers une rigidité relativement importante au détriment de la flexibilité, le niveau d’encastrement des organisations sera plus important que dans les cas où la balance se dirige principalement vers la flexibilité. Un fort niveau d’encastrement dans le réseau traduisant un faible niveau d’ouverture de l’organisation sur son environnement (Uzzi, 1997) et peut avoir des conséquences sur l’organisation elle-même en réduisant son « environmental fit » et donc le niveau d’adaptation à son environnement. Par ailleurs, un niveau d’encastrement trop faible peut être préjudiciable pour le réseau en réduisant l’investissement global des organisations dans le réseau.

64 Cette seconde partie a permis d’apporter un éclairage sur les forces permettant au réseau de se structurer par l’organisation des nœuds dans l’espace correspondant au réseau dont nous avons discuté l’apparition dans la première partie. La prochaine et dernière section s’intéresse aux dynamiques qui se mettent en place dans les relations entre les membres du réseau.