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1. Les approches par les paradoxes et par les dialectiques comme approche par les oppositions

1.2. L’approche par les paradoxes, présentation et déconstruction du concept

1.2.3. Les principaux paradoxes organisationnels identifiés dans la littérature

Les travaux menés sur les paradoxes organisationnels ont permis d’identifier différents types de paradoxes aboutissant à différentes catégories d’oppositions paradoxales. Dans leurs travaux s’intéressant à l’approche par les paradoxes comme métathéorie, Lewis & Smith (2014) mettent en exergues trois grandes « méta-catégories » en fonction de l’origine des paradoxes. La première catégorie est qualifiée de paradoxes de boucles autoréférentielles qui se caractérisent par des résultats ironiques contradictoires apparaissant d’une action spécifique. La seconde catégorie est qualifiée par les auteurs de paradoxes de messages confus. Dans cette catégorie les oppositions portent principalement sur les langages et discours confus donnant potentiellement naissance à des oppositions paradoxales, mais renforçant également certaines contradictions. La troisième porte sur les oppositions paradoxales liées à des systèmes en contradictions. Cette dernière catégorie comprend l’ensemble des paradoxes apparaissant par le fonctionnement complexe d’un système. C’est par exemple le cas de l’exploration versus l’exploitation, la centralisation versus la décentralisation, etc. Dans le cas de nos

106 recherches, les oppositions paradoxales présentant un intérêt dans la construction des réseaux par le double niveau inhérents aux organisations en réseau se situent dans la troisième catégorie proposée par Lewis & Smith (2014). Nous nous concentrerons donc uniquement sur ce type d’oppositions paradoxales.

Les paradoxes apparaissant des fonctionnements complexes de systèmes tels que les organisations ont donné lieux à un certain nombre de travaux ayant permis de les catégoriser et de les décrire avec une certaine précision. Les travaux de Lewis (2000) sont les premiers à proposer une catégorisation des paradoxes par la suite complétée par les travaux de Lüscher & Lewis (2008). Ce sont ainsi quatre catégories de paradoxes organisationnels qui sont identifiés et discutés dans la littérature (Lewis, 2000; Lüscher & Lewis, 2008; Putnam et al., 2016; Smith & Lewis, 2011).

- Les paradoxes d’apprentissage (« learning paradoxes »). Les paradoxes de cette catégorie

émergent principalement dans les périodes de changement ou de transition mettant en opposition les anciennes pratiques et anciennes stratégies face à de nouvelles pratiques et stratégies. Les acteurs concernés sont donc confrontés aux oppositions entre la stabilité que procurent les anciennes pratiques et les changements qu’apportent les nouvelles (Lewis, 2000: 765). Pour Jarzabkowski, Lê, & Van de Ven (2013) ce type de paradoxe peut être difficile à identifier isolément par le fait qu’il peut être à l’origine des autres types de paradoxes.

- Les paradoxes d’organisation (« organizing paradoxes »). Ce type de paradoxe met en

exergue les oppositions issues des différents sous-systèmes indépendants que peut comprendre une organisation où l’ensemble de ces sous-systèmes sont en interdépendance. L’exemple tangible dans cette catégorie de paradoxes peut se porter sur les tensions issues des oppositions entre différenciation et intégration (Lawrence & Lorsch, 1967). D’une manière générale, ce type de paradoxe conçoit les organisations comme des espaces sociaux continuellement déchirés par des directions multiples et contradictoires (Bouchikhi, 1998). - Les paradoxes d’appartenance (« belonging paradoxes »). Ce troisième type de paradoxe est

également qualifié de « paradoxe d’identité » (Bollecker & Nobre, 2016). Il s’intéresse aux acteurs membres d’une organisation dont les valeurs et croyances sont en opposition avec celle des sous-systèmes composant l’organisation ou avec l’organisation dans son ensemble (Lewis, 2000: 769; Smith & Lewis, 2011: 383).

- Les paradoxes d’exécution ou de fonctionnement « performing paradoxes »). Cette dernière

catégorie porte sur les oppositions entre les pratiques de l’organisation et celles attendues ou souhaitées par l’environnement organisationnel tel que les parties prenantes, donnant ainsi naissance à des pratiques parfois multiples, antagonistes ou contradictoires (Smith & Lewis, 2011).

107 Afin d’illustrer de manière tangible chacune de ces catégories, nous proposons quelques exemples d’apposition paradoxales pour chacune d’elles dans le Tableau 10 ci-dessous.

Tableau 10 : Exemples d’oppositions paradoxales pour chacune des catégories de paradoxes identifiés dans la littérature (d’après Smith & Lewis (2011))

Paradoxes Exemples d’oppositions qualifiant la catégorie

de paradoxe Paradoxes d’apprentissage Exploration vs Exploitation Stabilité vs Changement Court-terme vs Long-terme Paradoxes d’organisation Alignement vs Flexibilité Contrôle vs Autonomie/Flexibilité Routine vs Changement

Paradoxes d’appartenance Individuel vs Collectif

Paradoxes d’exécution/fonctionnement Coopération vs Compétition

Par ailleurs, Smith & Lewis (2011) vont au-delà de la catégorisation proposée par Lewis (2000) et Lüscher & Lewis (2008) et montrent que des liens existent entre ces différentes catégories de paradoxes ajoutant ainsi six catégories transversales. Chacun de ces liens sont décrits dans le Tableau 11.

Tableau 11 : Liens entre les différentes catégories de paradoxes organisationnels (d’après Smith & Lewis, (2011))

Catégories de

paradoxes Paradoxes d’apprentissage Paradoxes d’organisation

Paradoxes d’appartenance

Paradoxes d’organisation

Conflits entre les routines organisationnelles et la capacité

à chercher de la stabilité, de la clarté et de l’efficience alors qu’il faut également permettre à

l’organisation d’être dynamique, flexible et agile Paradoxes

d’appartenance

Conflits entre le besoin d’adaptation et de changement et le désir de conserver un sens ordonné de soi et de son but

Conflits entre le niveau individuel & agrégé et l’action

individuelle & collective

Paradoxes d’exécution

Conflits entre la construction de compétences pour le futur tout

en assurant le fonctionnement présent

Interactions entre les moyens et les fins, les demandes des salariés et les demandes des

clients et entre les engagements importants et les

performances importantes

Conflits entre l’identification et les objectifs des acteurs au

niveau individuel avec les exigences sociales et

professionnelles Cette catégorisation est une agrégation de différentes oppositions paradoxales et permet de clarifier les différents types de paradoxes inhérents aux organisations et à leurs fonctionnements. Elle montre également la diversité et la richesse d’oppositions paradoxales pouvant être inhérentes aux organisations.