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1. Les approches par les paradoxes et par les dialectiques comme approche par les oppositions

1.2. L’approche par les paradoxes, présentation et déconstruction du concept

1.2.1. Les fondements théoriques de l’approche par les paradoxes

Le concept de paradoxe est ancien et date de l’Antiquité. L’une des plus anciennes descriptions est celle des paradoxes de Zénon19 datant du Vème siècle av. JC qui seront par la suite rediscutés par

19 Paradoxes théorisés par Zénon d’Elée (environ 490 - 430 av. JC) pour soutenir la doctrine du philosophe

100 Aristote. Les approches plus modernes des paradoxes sont ancrées dans les approches philosophiques (travaux de Kierkegaard, Hampden-Turner, et ceux du courant taoïste) et dans les approches psychologiques (travaux de Freud, Bateson, Watzlawick). La conception des paradoxes est un mélange des cultures orientales (avec le taoïsme) et occidentales (Lewis & Smith, 2014; Schad et al., 2016) permettant d’aboutir à l’idée centrale selon laquelle un paradoxe est constitué de deux éléments différents en oppositions mais inter-reliés et en interdépendances (Lewis, 2000; Schad et al., 2016). Ces deux caractéristiques que l’on retrouve dans la définition des paradoxes sont indissociables et fondamentales au concept d’opposition paradoxale. C’est l’association de la contradiction/l’opposition et l’interdépendance (supposant l’existence de liens indissociables entre les éléments oppositions) qui confère l’état paradoxal (Schad et al., 2016). L’opposition et l’interdépendance font appellent aux trois principes aristotéliciens auxquelles doivent répondre les éléments en opposition paradoxale à savoir : le principe d’identité, qui établit les choses qui sont ou ne sont pas (A est A / non-A est non-A) ; le principe de non contradiction (A est A et ne peut pas être non-A), et le principe de tiers-exclu (l’intervalle compris entre A et non-A est un ensemble vide).

Comme nous l’avons mentionné précédemment, dans cette conception l’approche par les paradoxes permet de dépasser les approches traditionnelles telles que les théories de la contingence permettant de répondre à la question « sous quelles conditions les managers choisissent A ou B (A et B étant les

éléments en opposition paradoxale) ? » (Vlaar et al., 2007). Ce type d’approche et de choix rationnel

étudie les choses sans nécessairement en conserver toute la complexité qui peut notamment se trouver dans l’association de ces deux éléments en opposition. Les approches traditionnelles cherchent à identifier les avantages et les inconvénients des éléments en opposition pour par la suite identifier celui proposant le fit le plus optimal (meilleur alignement entre la problématique et les éléments de réponses proposés) (Lewis & Smith, 2014). Dans le cas des paradoxes, la question posée est différente

« comment supporter/concilier A et B simultanément ? » et permet de s’interroger sur les possibilités

de conserver les deux forces en opposition (Lewis & Smith, 2014; Schad et al., 2016; Smith & Lewis, 2011). Dans cette approche, la recherche du meilleur fit (c’est-à-dire le choix de l’un ou de l’autre des deux éléments dans le but d’un effet positif sur les performances) disparait au profit de la coexistence des deux forces opposées sans nécessairement faire le choix entre l’une des forces permettant ainsi de transcender les approches rationnelles telles que les théories de la contingence. La question soulevée par l’approche par les paradoxes permet ainsi d’apporter des éléments de réponses face à des situations interdisant de procéder à un choix (Josserand & Perret, 2003). Plus généralement, l’approche par les paradoxes est liée à la nécessité d’intégrer des intérêts différents, mais cependant nécessaires d’être pris en compte dans une décision, un choix. La pratique des paradoxes permet alors de découvrir de nouvelles hypothèses, de décaler les perspectives et de poser les problèmes dans les questions et fondamentales différentes (Poole & van de Ven, 1989) facilitant la compréhension de problématiques jugées complexes (Lewis, 2000).

101 Avant de continuer les développements portant sur l’approche par les paradoxes, nous proposons de définir quelques termes récurrents dans le champ lexical des oppositions : les dilemmes, dualisme/dualités, les contradictions, les tensions et les conflits. Pour ce, nous retenons les définitions de Putnam et al. (2016) qu’ils proposent à la suite d’une revue de la littérature approfondie sur le sujet.

- Les dilemmes. Les dilemmes se réfèrent à l’un ou à l’autre des deux éléments en opposition ou

des choix dans lesquels une alternative doit être sélectionnée parmi les options représentant les plus grands intéressants. Les dilemmes font implicitement référence au choix auxquels font appel les théories de la contingence.

- Dualisme et dualités. Le dualisme se réfère à des pôles dichotomiques en opposition, en

relations binaires ou bipolaires. Les oppositions dualistes ne sont pas exclusives, elles peuvent exister en même temps. Les dualités sont liées au dualisme et se réfèrent au caractère interdépendant des deux éléments contraires.

- Les contradictions. Les contradictions comprennent la notion de dualisme. Elles se réfèrent à

des opposés polaires interdépendants pouvant potentiellement s’annuler. Les contradictions font référence à la notion de binarités.

- Les tensions. Les tensions font référence à un état ressenti et s’expriment au niveau individuel.

Elles se traduisent par des états de stress, d’anxiété, d’inconfort. Les tensions peuvent être ressenties à différents niveaux conduisant à de la frustration, des craintes, de la méfiance, des blocages, de l’incertitude et de la paralysie. Elles peuvent donner lieu à une certaine rigueur, une dureté dans la prise de décision ainsi que dans les perspectives futures des organisations. Dans le cas de nos recherches, comme nous le verrons ultérieurement, les tensions ont un rôle particulier dans la perspective où ils se situent à l’interface de l’approche par les paradoxes et de l’approche par les dialectiques.

- Les conflits (selon Gnyawali, Madhavan, He, & Bengtsson (2016)). Les conflits se définissent

comme frictions ou des discordes entre les acteurs soumis aux tensions paradoxales. A l’inverse des tensions qui sont internes aux acteurs, les conflits sont visibles et s’expriment à des degrés et intensités différents en fonction des situations et des organisations.

Les principales caractéristiques que nous venons d’évoquer permettent de discuter des hypothèses sous-jacentes à l’approche par les paradoxes dans les recherches organisationnelles (Lewis & Smith, 2014; Smith & Lewis, 2011) et nous permettrons de mieux comprendre certains aspects de cette approche que nous déconstruisons dans les prochains paragraphes. La première hypothèse de base postule que les contradictions sont inhérentes et ubiquitaires à la « vie organisationnelle ». Ces contradictions naissent d’interactions complexes et dynamiques. Le caractère complexe s’explique par les différents sous-systèmes existant dans une organisation et dont le succès dépend de leurs interdépendances. Les contradictions émergent alors des différences entre ces sous-systèmes tels que

102 des changements d’objectifs, des fonctionnements différents ou plus largement des attentes différentes. La seconde hypothèse postule que les paradoxes sont issus d’une construction sociale due à deux éléments en contradictions (Smith & Tushman, 2005; Sundarämurthy & Lewis, 2003), laissant sous-entendre que leurs origines peuvent être diverses et variées.