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2.2 Le structuralisme

2.2.2 Structuralisme européen

Les travaux des linguistes du Cercle Linguistique de Prague (CLP) qui s’ins-crivent dans la continuité du CLG marquent un tournant décisif et posent les

fonde-ments de la phonologie structurale fonctionnaliste en Europe. La forme est définie uniquement par la fonction.

Troubetzkoy (1939), qui se base sur l’étude de plus de 200 systèmes, en formule les grands principes et précise les définitions de Saussure. La phonétique étudie les sons de la parole alors que la phonologie étudie les sons de la langue. Il clarifie les notions de phonème et de variante et introduit celles de traits, de neutralisation et d’archiphonème en étudiant de manière systématique les différents types d’oppo-sitions phoniques dégagées dans les systèmes phonologiques des langues. Ces op-positions qui « peuvent différencier les significations intellectuelles de deux mots » semblent reposer sur des traits, unités sous-phonémiques. Les traits sont des « par-ticularités phonologiquement pertinentes que comporte une image phonique », et le phonème qui est « la plus petite unité phonologique (distinctive) de la langue étu-diée » en est la « somme ». Troubetzkoy énonce des règles qui permettent de définir les variantes libres et les variantes combinatoires d’un même phonème, ou si deux sons sont deux phonèmes différents, et propose une classification des oppositions.

Avec Jakobson (Jakobson et al., 1952 ; Jakobson, 1963), les traits deviendront l’unité ultime de l’analyse phonologique. Le phonème est un faisceau de traits tinctifs, éléments différentiels et simultanés. Au sein d’un système, les traits dis-tinctifs sont organisés en oppositions binaires. Le véritable apport de Jakobson, qui sera repris dans le modèle SPE, réside dans le caractère universel d’une part, et bi-naire d’autre part, qu’il confère aux traits distinctifs. Ainsi toutes les langues, tous les locuteurs, partagent un ensemble de traits binaires parmi lesquels les langues choisissent leurs oppositions. Mais contrairement à Troubetzkoy dont les traits ar-ticulatoires sont ancrés dans la réalisation, Jakobson montre déjà une vision plus abstraite et propose des traits acoustiques.

Martinet (1949, 1960, 1965) formule le concept de double articulation selon le-quel tout énoncé est décomposable en ses plus petites unités de sens, les monèmes, qui constituent le premier niveau d’articulation. Les monèmes – ou morphème dans la terminologie la plus courante aujourd’hui – sont à leur tour décomposables en unités sonores non porteuses de sens, les phonèmes, qui constituent le deuxième niveau d’articulation. L’approche fonctionnaliste de Martinet s’inscrit dans un réa-lisme descriptif qui implique de partir des faits observés. Il refuse le caractère

uni-versel des traits qu’il ne considére pas comme un troisième niveau d’articulation. Le phonème est bien l’unité fondamentale dans la phonologie fonctionnaliste de Mar-tinet, même si le recours aux traits pertinents est courant pour expliquer certains phénomènes.

L’école de Copenhague (Hjelmslev, 1953) propose une théorie phonologique fonctionnaliste très abstraite, la phonématique, au sein d’une théorie linguistique plus large, la glossématique qui se présente comme une algèbre du langage. Au-cun caractère physique, physiologique ou psychologique ne peut être utilisé pour décrire les phonèmes qui doivent être définis par des éléments linguistiques unique-ment, c’est-à-dire fonctionnels dans ce courant de pensée. De manière très logique, l’intuition du locuteur ne peut être prise en compte dans les descriptions phonéma-tiques puisque la langue n’est pas un phénomène psychologique. Martinet rejette cette position qui exclut la prise en compte de la nature phonique de la langue.

Les théories structuralistes européennes ont été développées à partir de la des-cription de langues (indo-)européennes essentiellement, qui disposaient d’une écri-ture historique, constituant ainsi une trace du système phonologique, et dont les des-cripteurs étaient aussi le plus souvent locuteurs. L’école de Londres (Jones, 1929, 1950) va se former à partir de la description de langues africaines et orientales dans la première moitié du 20e siècle. La description de langues sans écriture amène à une démarche très pragmatique puisqu’il s’agit en premier lieu de pouvoir noter les langues et donc de segmenter le flux sonore. Le linguiste (anglais / anglophone) se trouve alors dans une démarche d’abstraction de la réalité phonique lorsqu’il procède à la notation phonétique. La description de telles langues confrontée à de nouveaux besoins va faire évoluer le système de notation de l’API (Association Phonétique Internationale, créée en 1886) qui vise à noter phonétiquement toutes les langues avec un même symbole pour noter le même son. La nature des langues décrites va aussi amener les linguistes (Firth, 1948 ; Robins, 1957) à s’intéresser davantage aux relations syntagmatiques et à accorder une place centrale à la proso-die pour appréhender les phénomènes suprasegmentaux qui concernent la syllabe, le mot ou la phrase, préfigurant ainsi l’apparition de la notion de domaine et de la phonologie autosegmentale qui ne sera développée qu’à la fin des années 70 (Goldsmith, 1976). Dans cette perspective, il ne s’agit pas d’expliquer les procédés psychologiques du langage mais de décrire des langues.

2.2.3 Structuralisme américain

L’école nord-américaine qui n’a pas subi l’influence de Saussure est néanmoins profondément structuraliste. Par rapport au structuralisme européen, l’école améri-caine influencée par le behaviorisme est pragmatique et orientée vers la description objective des langues. Elle s’intéresse avant tout à l’environnement et à la distribu-tion des sons. A l’instar de l’école de Londres avec les langues africaines et orien-tales, la description des langues amérindiennes poussent les linguistes américains à être très proches des faits, ce qui leur vaudra le qualificatif de « taxinomistes » de la part des générativistes.

L’intuition phonémique des locuteurs peut être considérée comme l’influence des systèmes d’écriture alphabétiques. On peut aussi tenir le raisonnement inverse et poser que la dimension phonologique des écritures alphabétiques est le reflet d’une conscience phonologique des locuteurs. Sapir, précurseur de la linguistique structurale américaine, montre avec ses enquêtes de terrain la conscience phonéma-tique de ses informateurs qui sont locuteurs de langues sans écriture. Pour Sapir, la parole montre une réalité observable continue qui correspond au niveau linguistique à une structure discontinue dans laquelle « les différentes positions phonétiques sont séparées par des barrières psychologiques nettement dessinées ». Les sons mêmes apparentés seraient caractérisés par une sorte d’« isolement psychologique » l’un par rapport à l’autre : « Cette discontinuité entre les différents sons d’une langue est aussi nécessaire à leur définition (. . . ) que les traits articulatoires et acoustiques qui sont d’ordinaire utilisés pour les décrire » (Sapir, 1921).

Bloomfield (1933) puis les phonologues néobloomfieldiens distributionnalistes accordent beaucoup d’importance à la méthode et focalisent leur attention sur la forme sans prendre en compte le contenu sémantique, hormis Pike qui suit Sapir dans son approche fonctionnaliste. Pike (1947) insiste particulièrement sur le fait que toute analyse phonologique doit être précédée d’une analyse des données gram-maticales. Par ailleurs, les néobloomfieldiens, préoccupés uniquement par l’envi-ronnement et la distribution des sons, rejettent les notions de neutralisation et d’ar-chiphonème introduites par Troubetzkoy, notions qui marqueront dès lors une vision européenne de la phonologie. Nous verrons l’incidence de ce refus dans la phono-logie des LS, particulièrement dans la définition de l’allophonie par les chercheurs

LS américains.

2.3 Innéisme et grammaire universelle

A la fin des années 50 s’amorce une nouvelle révolution en linguistique : le pro-jet de la construction d’une grammaire universelle et innée dont tous les locuteurs de toutes les langues seraient dotés biologiquement. Les disciplines linguistiques deviennent les modules de cette grammaire. Fondée sur l’intuition linguistique des locuteurs et non plus sur des corpus restreints, cette grammaire doit pouvoir simuler ou générer les formes linguistiques correctes réalisées par le sujet parlant (compé-tence).